Oubliant hier pour vivre demain
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Chapitre 4 03

Partie 3

- A boi de yo. Me dit Emeline en pointant son minuscule index vers son verre d'eau. Elle veut le boire toute seule comme une grande mais je ne la laisse pas faire. Hier, elle a failli s'étouffer en le faisant. Heureusement que nous n'étions que deux quand cela s'est produit. Quelle aurait été ma punition si tantie avait été là ?

- Boum!!!!

Je lui souris. C'est le bruit que je fais quand je la fais tourner dans les airs. Elle applaudit de ses petites mains et a un sourire aux lèvres quand je la pose au sol. Je l'aide à marcher dans le jardin puis je la mets au dos car je dois aller récurer mes casseroles et préparer le déjeuner de Yann et Emeline.

Je dressais la table quand la sonnette retentit. Sûrement Yann qui est de retour de sa matinée chez les voisins. Je lui dis que le repas est prêt mais c'est comme si je parlais dans le vide. Il pose son ballon de football sur l'un des canapés du salon avant de se diriger vers la cuisine. Je m'empresse de l'enlever, vais le ranger dans leur espace jeux avant de revenir nettoyer le canapé. Je faisais manger Emeline quand je l'entendis crier mon nom.

- Fofo Yann, je suis dans la cuisine. Je fais manger Emeline.

- Et je dois attendre que tu finisses pour que je puisse manger ?

- Non fofo Yann.

Avec Emeline dans les bras, je suis obligée de faire deux aller-retour pour porter le riz et la sauce à Fofo Yann. Je donnais une énième bouchée à la petite quand Fofo Yann m'appela à nouveau.

- Oui fofo Yann

- Ce que tu as préparé est trop salé.

- Trop salé ? Demandé-je étonné

- Oui. C'est salé. M'affirme-til le visage fermé. Prépare autre chose pour moi et vite.

-Fofo Yann. Tantie m'a dit de ne pas toucher aux réserves de nourriture sans sa permission.

- Tu veux qu'elle sache que je n'ai pas mangé ce midi ?

Cette fois-ci il me regarde avec des yeux pleins de malice, ce regard qu'il avait quand il a lancé son assiette contre le mur, il y a deux semaines. Je n'ai pas compris pourquoi il avait fait ça mais est-ce qu'il y avait vraiment quelque chose à comprendre ?

- Fofo Yann je peux au moins finir de donner à manger à Emeline sinon elle va pleurer .

- Ok mais fais vite. J'ai faim !

Emeline finit son déjeuner .Je fais du riz et une omelette pour fofo Yann. Je suis soulagée de savoir que c'est à son goût cette fois-ci. Je ne me voyais pas en train de faire un autre repas. La vaisselle faite, je balaie la cour puis nettoie la douche.

Aux environs de seize heures, les amis de fofo Yann arrivent . Ils jouent un peu puis quand ils ont faim, je vais leur acheter des beignets comme tantie me l'avait demandé. Je leur sers de la limonade avant d'aller nettoyer la cuisine.

-Oh ! Tu fais aussi le ménage ?

Je sursaute. Je n'avais pas entendu l'amie de Yann arriver.

- Je fais ce que tout enfant devrait faire dans la maison de ses parents. Dis-je un sourire en coin.

-Tu as quel âge ?

- 9 ans et toi ?

Je baisse la tête. Je n'aurais pas dû lui poser cette question.

- J'ai douze ans. Mais pourquoi tu as les cheveux courts ? Tu n'aimes pas te tresser ?

Je lève mes yeux vers sa touffe de cheveux. J'avais la même en arrivant chez les Alindé mais tantie m'a rasé la tête. Elle dit que je ne dois pas chercher à être... Elle a utilisé un mot dont je ne me souviens plus.

- Quand je me tresse, j'ai des boutons dans les cheveux.

- Tu n'es pas une vraie fille.

J'aurais aimé être un garçon ou ne pas venir au monde. Je n'aurais pas connu toutes ces souffrances.

- Tu as envie de pleurer ?

Je secoue la tête. Je ne veux pas qu'elle sente les trémolos dans ma voix. Je plonge la serpillère dans le seau et elle comprend le message que je veux lui faire passer puisqu'elle retourne au salon. De longues minutes plus tard,Emeline engloutissait son pot de yaourt quand fofo Yann vint me retrouver dans la cuisine.

- Tu as bientôt fini ?

- Oui fofo Yann. Tu veux quelque chose ?

- Si tu finis, viens regarder la télévision avec nous.

Je secoue la tête, surprise par ses paroles. Moi , regarder la télévision ?

-Je n'en ai pas le droit, fofo Yann.

- Moi je dis que si. Dépêche-toi, il y aura un nouveau dessin animé dans quinze minutes.

Emeline ouvre grand la bouche attendant sa cuillère de yaourt et moi je regarde fofo Yann rejoindre le salon. Est-ce que je dois y aller ? J'y réfléchissais quand une autre amie de Yann vint me chercher. Ils m'attendaient tous au salon, voulaient que je regarde le dessin animé avec eux.

J'accepte de les rejoindre et m'assois à même le sol. Ils regardent fofo Yann, interloqués.

- Dotou, assieds-toi à côté de Michel. Me dit-il.

Je m'assois sur le canapé, la peur au ventre. Si tantie me voyait ! Je regarde le dessin animé avec entrain. Je souris, je ris. Il y a longtemps que je n'avais pas fait ça. Avant dix-huit heures, je mets fin à ce moment de distraction , le premier en l'espace d'un an. Je dis au revoir au petit groupe parce qu'ils seront partis quand j'aurai fini mes tâches. Je lave Emeline avant d'aller préparer le repas du soir.

Je coupe oignons et tomates, nettoie le poisson. J'entends la sonnette retentir et mon coeur fait un bond. Mon visage s'attriste immédiatement car je sais que tantie est de retour. Je me lave les mains et vais à sa rencontre. Je prends ses paquets et me dirige vers la cuisine.

De longues minutes plus tard, je l'entends crier puis m'appeler. Elle respire bruyamment quand j'arrive à son niveau.

-Oui tantie ! Dis-je de la manière la plus douce qui soit ne sachant ce qui m'attendait

- Pourquoi tu es impolie comme ça ? Me demande-t-elle en me donnant une gifle qui aurait pu m'arracher l'oreille. J'ai acheté mon canapé pour toi ? Hein, c'est pour toi que j'ai acheté mon canapé ?

-Non tantie. Réponds-je la main sur l'oreille et l'oeil droit fermé

-Alors pourquoi tu poses tes sales fesses dessus ?

Je n'ai pas le temps de répondre que fofo Yann qui était près de sa mère dit :

-Maman, ce n'est pas tout. Elle a aussi regardé la télévision.

J'ai juste fermé l'autre oeil en entendant ça. Oh ! Non ! Je n'aurais pas dû lui faire confiance. J'étais dans mon coin, n'ai pas demandé à m'asseoir sur ce canapé ni à regarder la télévision. Pourquoi me fait-il ça ?

- Et elle ose pleurer ?

Comment ne pas pleurer ? Mon corps sait d'avance ce qui l'attend et il est fatigué de recevoir des coups. Quand est-ce que ça va s'arrêter ?

Tantie me tire brutalement jusqu'au canapé, me demande de m'y asseoir.

- Je ne dois pas m'asseoir tantie.

-Je n'ai pas entendu.

- Je ne dois pas m'asseoir sur le canapé, tantie.

- Pourquoi tu ne dois pas le faire ?

-Parce que je ne suis pas chez moi et ...

-Donc c'est avec moi que tu joues ? Tu le sais et ...elle me donne une taloche... tu le fais quand même...une deuxième taloche...Ça doit être ton habitude mais tu vas l'oublier très vite.

Elle attache bien son troisième pagne, me tire par l'oreille jusqu'au jardin.

- A genoux !

Mes genoux rencontrent les graviers froids et durs du jardin. Elle me laisse là et pars je ne sais où. J'espère en mon for intérieur que ma punition s'arrêtera là. J'espère... J'espère en vain. J'ai la chair de poule en la voyant revenir avec un gros morceau de bois avec des clous. Non pas ça !

- Enlève ton haut.

-Tantie, pardon !

-Je savais bien que je ne devais pas te laisser toute seule dans ma maison. Qu'est-ce que tu fais d'autre qui t'est interdit quand je ne suis pas là ?

-Rien tantie. C'est la...

J'ai l'impression que mon dos se déchire quand elle y porte le premier coup.

-Tantieeeeeeeeeeeeee !

-Ferme ta sale bouche, sorcière !

Je crie de toutes mes forces quand je sens un clou pénétrer dans ma chair.

- Tantie, pardon !

- Je vais t'ôter l'envie de ne pas respecter mes règles.

Elle s'acharne sur moi. Je continue à l'implorer, crier et pleurer à chaudes larmes mais ça ne l''émeut pas tantie. Les coups continuent, les clous continuent à s'enfoncer dans ma chair. A un moment, je m'écroule sur les graviers. Je n'ai plus de force pour rester à genoux, plus de force pour supporter les coups, plus de force pour pleurer, plus de force pour respirer.

-Lève-toi !

J'essaie de me relever mais je n'y arrive pas. J'ai le tournis et ai du mal à respirer.

- Imbécile ! Tu n'entends pas ce que je dis ?

Avec peine, j'arrive à me mettre à nouveau à genoux et pose mes mains sur les cailloux pour m'empêcher de tomber.

- Écoute moi bien, petite sorcière. La prochaine fois que mon fils te surprend en train de faire une chose que tu ne devrais pas faire, tu vas voir de quel bois je me chauffe. Va te laver et ensuite tu continues tes tâches !

La morve au nez, le dos en sang, je me dirige vers ma douche, les pieds tremblants. Je me débarrasse de mon pagne, me savonne. Je lâche des cris quand je rince mon dos. Ça fait si mal !

Je pleure en rejoignant le débarras. Mon dos me brûle et la douleur s'intensifie. Qu'est-ce que je pourrai faire pour ne plus avoir mal ? Avec le chiffon qui me sert de serviette, je m'évente . Je m'habille rapidement et me rends à la cuisine. Quand je finis de cuisiner, je dresse la table puis vais donner à manger à Emeline. Je retiens mes larmes quand à sa dernière bouchée, elle m'ouvre ses bras en souriant. Personne ne m'a ouvert ses bras depuis si longtemps. De toute la famille, elle est la seule à avoir un geste d'affection envers moi.

Je lui rends son sourire mais c'est un sourire triste parce que je ne suis pas sûre qu'elle ait la même attitude envers moi dans quelques années.

****

- Dotou !

- J'arrive tantie.

Je prends une dernière bouchée de ma croûte de riz et me dirige à toute hâte vers le salon. La table débarrassée et nettoyée, le salon balayé , je vais faire la vaisselle. Tantie m'amène toute la vaisselle de l'argentier pour que je la relave.

Mes corvées s'enchaînent : nettoyage de l'arrière cour et des toilettes, cirage des paires de chaussures de tonton et des garçons. Je n'ai pas le temps de souffler. Je vais prendre Emeline chez tantie pour qu'elle puisse faire réviser les enfants en toute tranquillité.

Charline fait des calculs au tableau quand je les rejoins. Je voudrais faire ces calculs avec elle ou lire comme Hermann mais je ne peux pas. Je n'ai plus ce droit...

Je joue avec Emeline jusqu'à ce qu'elle s'endorme. La table pour le petit déjeuner des enfants apprêtée, leurs habits trempés, je peux enfin rejoindre ma couche, dormir pendant quelques heures et surtout rêver de mon école, là où j'étais parmi les meilleurs...

Le lendemain, dix-huit heures

Tantie rentre du travail. Elle n'est pas toute seule. Tonton Sessi l'accompagne. C'est l'un des cousins de maman. Il m'adresse un sourire quand je les salue. Je ne suis pas très contente de le voir. Il n'a pas été gentil avec maman. Je l'ai entendue une fois lui demander de lui prêter de l'argent pour les soins de papa et il a refusé en lui disant qu'elle n'avait qu'à faire comme les autres.

Je prends les paquets de la main de tantie qui me demande de servir un plateau de rafraîchissements au salon.

La soirée s'écoule. Les cent pas que je faisais avec Emeline me mènent au jardin. Je rebrousse chemin quand j'entends les voix de tonton Alindé et tonton Sessi :

- Tu devras revenir à Cotonou pour une autre série d'examens alors ?

- Je suis bien obligé et j'espère que le diagnostic sera beaucoup plus optimiste. Je suis trop jeune pour mourir n'est-ce pas?

- Tu dis vrai.

Il y a un moment de silence puis :

- La petite Dotou se comporte bien ?

Je prête encore plus l'oreille quand j'entends mon nom.

- Oui, c'est une petite respectueuse et travailleuse. Nous sommes contents de l'avoir.

- Ses parents seront contents de l'apprendre. Ils s'inquiètent beaucoup de son intégration dans la ville. Sa mère surtout, tu connais la sensibilité des femmes...

- Non, c'est une enfant bien.

- Ah, tu m'en vois heureux. Je ne regrette pas d'avoir exhorté ma soeur à la placer chez vous. Tu sais au moins, ils ont pu prendre des manoeuvres pour les récoltes et c'est avec ça qu'elle s'occupe de sa famille... Tu sais, son mari n'a pas pu se remettre entièrement de son accident...

J'affiche un large sourire. Mes parents s'inquiètent pour moi. Ils ne m'ont pas oubliée...

J'y pense encore en retrouvant ma couche. Mon ventre se met à gargouiller. Chez mes parents, je n'étais pas privée de nourriture, de sommeil ou de l'école. Je veux retrouver ma famille, tous ces gens pour qui je compte. Je porte mes yeux sur les casseroles au dessus de ma tête. Il faut que je trouve un moyen de quitter cet endroit. Je dois retrouver les miens.

Une semaine plus tard

Je mets l'eau des enfants à chauffer. Tonton est en voyage et quand c'est comme ça, tantie dort tard et rentre tard du bureau. J'ai réfléchi, je vais rentrer chez moi. Je suis sûre que ma maman ne sait pas ce que je vis ici, sinon elle viendrait me chercher directement. Mes pas me portent vers l'entrée de la maison. J'ai déjà préparé mon discours pour Akuègnon, le gardien.

- Où vas-tu de si bon matin, Dotou ? Me demande Akuègnon

- Je vais acheter des aiguilles pour tantie. Son chemisier a perdu un bouton et c'est celui qu'elle veut mettre aujourd'hui.

Il m'ouvre la porte, me demande de ne pas traîner en route. Je ne vais pas traîner. Je vais faire le plus vite possible pour rejoindre mes parents.

Je prends la route de la mercerie , arrive sur la chaussée quelques minutes plus tard. Je vais devoir marcher jusqu'à la gare car je n'ai pas d'argent pour le taxi. Le sourire aux lèvres, je hâte le pas. A la gare, je pourrai raconter mon histoire à des gens. Je suis sûre qu'il y aura au moins une personne pour payer ma place.

Mais en réalité je ne sais pas vraiment ou je vais ni comment je vais pouvoir rejoindre la gare. Mes sens sont en alerte si quelqu'un me reconnaît, je risque d'être ramenée chez tantie. Je quitte la voie principale pour marcher dans les ruelles en suivant mon instinct.

Je continue ma route jusqu'à ce qu'une voiture gare et que la dame à l'intérieur me demande de m'arrêter. J'ai les jambes en coton quand je découvre le visage de la femme. Je pense à courir quand je la vois descendre du véhicule. Joignant l'acte à la parole, je m'élance.

-Arrêtez là c'est une voleuse. Cette petite m'a volée et elle essaie de s'enfuir.

Je cours sans regarder en arrière et à un moment je sens des bras puissants me saisir et stopper net ma course.

- Tonton pardon ! Ne me ramène pas à cette femme. Lui dis-je les yeux plein de larmes.

-A qui tu montres les larmes de crocodile là ? Tu as peur ? Tu recevras la punition qui sied à des petites voleuses comme toi.

Je l' implore mais il reste de marbre. Je m'attrape la joue quand il me ramène auprès de tantie Josette. Elle vient de me gifler.

- Tu partais où comme ça ? Mais tu es une vraie petite sorcière, ma parole ! Merci monsieur ! Que DIEU vous bénisse.

- De rien madame. Il faut bien la punir pour ne plus qu'elle recommence.

- Ne vous en faites pas. Toi, tu vas recevoir la punition de ta vie.

- Tantie, pardon je dois retrouver ma famille. Ne me ramène pas chez tantie Alindé.

Elle reste sourde face à mes supplications. Mais qui m'écoute encore dans cette vie ? Elle verrouille sa voiture, me tient fermement d'une main. De l'autre, elle tient son téléphone qu'elle porte à son oreille.

- Ghislaine, tu ne devineras jamais qui j'ai trouvé sur la route, derrière le carrefour Tunde?

-...

- Appelle au bureau pour dire que tu auras du retard. L'affaire est urgente.

Je lui adresse des yeux implorants quand elle raccroche mais cela ne l'émeut pas. Elle est comme tantie. Mon coeur bat plus vite que la normale quand nous arrivons devant la maison. Ma vessie se remplit quand le gardien ouvre le portail. J'ai peur, j'ai peur. J'ai peur de ce qu'elle me fera, mais plus encore j'ai peur de mourir dans cet endroit, de mourir sans revoir mes proches, ma maman, mes soeurs, mes frères...

            
            

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