- Si ça s'trouve, ton père est déjà au courant... constate August, sur la banquette près de moi et qui est lui aussi parvenue à la même conclusion.
Je cesse de fixer les édifices de ce district que nous traversons et je me tourne en sa direction. Demain, je vais avoir 40 ans, et je rejoindrai mes amis August et Riddleman dans le club des doms «d'un autre âge»... Au tournant de la quarantaine, j'ai le sentiment inexorable que mon fichu statut de célibataire endurci et de dom d'expérience a quelque chose de... définitif.
Heureusement, je n'ai pas un seul cheveu gris... contrairement à August, qui a les tempes un peu grisonnantes. Mais le très honorable comte anglais Xavier August ne s'en cache aucunement. Il faut dire qu'il a les cheveux blond cendré, ce qui aide à camoufler les quelques mèches grisonnantes.
August ne cache pas non plus son penchant pour les jeunes femmes qui ont la moitié de son âge et le fait que ce pur sadique aime bien avoir non pas une, mais plusieurs soumises à la fois. Il aime aussi partager... et moi-même, parfois, je ne dis pas non. Nous avons déjà dominé des soumises ensemble... 'C'était assez amusant!
Même s'il arrive qu'August me fasse un peu flipper, je suis rassuré de le savoir ici, au Japon avec moi. Quand j'ai mentionné devoir rentrer au pays, pour de bon cette fois, ai-je précisé, Auguste n'a pas hésité à me suivre.
Même si cela impliquait de rompre avec cette petite soumise, une Italienne, que le dom fréquentait à Londres...
Le criminaliste de renom est un atout majeur dans ma manche. August est le meilleur des meilleurs dans son domaine. Sa firme d'avocats-conseils est une des plus reconnues de tout l'Empire britannique. Évidemment, ce n'est plus lui qui la dirige maintenant, mais son propre fils. Une autre chose que nous avons en commun. Nous sommes tous deux des parents... Seulement, lui est divorcé tandis que moi je n'ai jamais été marié avec la mère de Jun...(mon fils).
Jun est mon plus grand secret... Le fruit d'un crime atroce qui n'est pas le mien. Mais peu de gens le savent. Tous sont persuadés qu'il est une erreur de jeunesse. Mon erreur.
August est aussi un fin stratège et il fait toujours très bien ses devoirs avant d'engager un combat. Ce rapport qu'il vient de me faire le prouve d'ailleurs hors de tout doute.
Notre chauffeur ralentit brusquement, ce qui nous prend par surprise, pour laisser passer une voiture de luxe, une décapotable d'un modèle très couteux, de couler gris métallisé, qui faisait du slalom en plein dans cette zone de la ville, qui est particulièrement achalandée à cette heure.
Je l'observe disparaitre au loin comme une fusée alors que notre chauffeur klaxonne fortement, énonçant un chapelet d'insultes, avant de réaliser qu'il vient de faire preuve d'impolitesse devant le boss...Et je déteste que mes subalternes disent de vilains mots ou manquent de respect envers la gent féminine par exemple. Contrairement aux autres supérieurs, je suis réputé pour appliquer notre code d'honneur avec sévérité. Tous les membres de notre organisation le savent très bien.
Rapidement, il jette un regard inquiet dans le rétroviseur:
- Désolé Boss! Je ne recommencerai plus c'est promis! Ce sont tous ces jeunes avec leurs voitures de sport, qui vont finir par me rendre cinglé! Ils pensent que la route leur appartient! se plaint le yakuza d'un rang inférieur.
Irano est un de mes cousins distants et ses talents seraient mieux employés ailleurs... mais mon frère ainé a trouvé moyen de l'aliéner et mon père ne lui fait pas une confiance aussi totale. Ce qui n'est pas mon cas. C'est pourquoi je l'ai pris pour subordonné il y a quatre ans... et jusqu'ici, je n'ai jamais eu à le regretter. Son équipier, sur le siège du co-pilote, est un homme plus taciturne.
Raven.
Ce n'est pas son vrai nom, mais c'est ainsi que tous les autres membres de sa section au Phoenix, le surnomment. Le gang du Phoenix est une sous-division du groupe Tanaka-Gumi, qui se compose exclusivement de mercenaires très aguerris. Raven est responsable de ma protection, quoi que je n'en ai pas vraiment besoin. Mais comme mon père insistait... je n'ai rien pu y faire quand il a attaché ce gangster de grande envergure à ma protection, il y a quelques années, quand je m'étais exilé à l'étranger. Ma mère n'aurait jamais été rassurée de me savoir là-bas sans protection, surtout après la mort de ma sœur ainée qui l'avait beaucoup affectée. C'est la raison qui m'avait finalement convaincu d'accepter Raven parmi les hommes que j'avais choisis de prendre avec moi, peu avant mon départ...
La voiture s'arrête enfin devant le restaurant où nous avons fait une réservation. Raven en descend et vient nous en ouvrir la portière côté passagers. C'est un des restaurants les mieux cotés de ce secteur de la ville, qui est très huppé. Du coin de l'œil, je remarque une voiture stationnée un peu plus loin, le long de la petite rue marchande et qui semble être celle qui nous avait coupés sur la route un peu plus tôt.
Je hausse un sourcil interrogateur. Sont-ils descendus dans le même restaurant que nous?
Bah! Qu'est-ce que j'en ai à faire!
Le manager du restaurant vient nous accueillir personnellement et nous conduit dans une petite section un peu plus privée que les autres. Les sièges sont à même le sol et la table en merisier est assez basse. August a un peu de mal à s'adapter à nos coutumes et à notre mode de vie japonais depuis son arrivée. Il préférer en général quand je choisis des restaurants avec des tables et des chaises un peu plus semblables à ce pub londonien où nous avions l'habitude de diner en semaine. Mais ce soir, je ne sais pas! J'avais envie d'une ambiance un peu plus traditionnelle. Je vous avoue que depuis mon retour au japon, je me régale de notre cuisine locale, tout particulièrement celle de ce restaurant qui est dans ma famille depuis longtemps et qui me manquait si souvent à l'étranger!
August fait un peu la grimace en s'asseyant, croisant les jambes sur le sol et trouvant le dossier de son siège un peu trop rigide. Il n'est pas aussi souple que moi! Parfois je le taquine un peu... lui qui a dépassé le cap de la quarantaine!!! Je ris intérieurement face à ce Britannique ultra guindé. C'est d'autant plus amusant quand il baisse les yeux sur les baguettes en face de lui, dans un petit présentoir au centre de la table. Il est très soulagé de voir aussi une fourchette et d'autres ustensiles que le serveur met devant lui quand il vient poser les napperons en face de nous et nous remettre le menu.
August parle couramment le japonais, comme que je le lui ai enseigné dans nos temps libres, au fil des dix-sept dernières années que j'ai passé en Angleterre, où nous sommes devenus très bons amis... Mais il a encore du mal parfois avec certains mots, alors il scanne le menu avec une attention particulière.
Une fois que le serveur a pris notre commande et est reparti, il redevient très sérieux.
- Alors, que comptes-tu faire au sujet de Rēngo?
-Il faut le mettre sous surveillance, lui, ainsi que tout son entourage... Il nous faut des preuves en béton avant de porter des accusations parce que mon père et le sien sont de vieux amis... As-tu fait ce que je t'ai demandé, pour les tripots de jeux dans le Golden Gai?
August me répond par l'affirmative. Il a déjà réussi à infiltrer plusieurs de nos hommes sur place... et très bientôt, il devrait être en mesure de mettre la première phase de mon plan à exécution.
Nous cessons de parler un court moment quand le serveur vient déposer nos entrées en face de nous. August passe à un autre sujet après son départ. Tous les plans que je peux avoir concernant les territoires que mon père avait confiés à mon frère ainé ultérieurement ne sont pas pour des oreilles indiscrètes. Nous arrêtons donc de discuter de ce genre d'affaires pour parler de celles qui sont un peu plus légales.
- Au fait, est-ce que tu as fait ton choix, pour la nouvelle gérante de la galerie? Est-ce que tu as examiné les CV que Shizo nous a fait parvenir par courriel? Il y a une des candidates qui me semble particulièrement prometteuse...
Prometteuse. Oui. Je me doute à son intonation que cette fille lui est tombée dans l'œil!
Au même moment où il me pose la question, dans une section voisine de la nôtre, j'entends des éclats de rire qui me distraient quelque peu. Je détourne le regard dans la direction du bruit et j'aperçois alors ma cousine Yoko qui partage son repas avec une amie sans doute. C'est du yosenabe, ou si vous voulez, une sorte de hot pot japonais. Toutes deux s'en donnent à cœur joie avec leurs petites fourches pour y piquer la nourriture, et se battent apparemment pour un bout de viande...
Quand la jeune femme qui l'accompagne glisse sa main dans ses cheveux pour les ramener en arrière, j'en ai le souffle coupé. Quelque chose chez elle me parait familier... Je ne suis en mesure que d'entrevoir son profil... Mais ce petit menton volontaire... ce teint de porcelaine et ses cheveux noirs avec des reflets bleutés... sont à couper le souffle.
Je ressens brusquement un sentiment que je ne croyais jamais être en mesure de ressentir de nouveau... même après toutes ces années...
Koi No Yokan.
C'est un sentiment irrésistible et délicieux.
Comme lorsque la personne qui vous est destinée se trouve en face de vous... et que... vous savez hors de tout doute que l'amour est inévitable.
Comme une fatalité.
J'ai ressenti ce sentiment par le passé... une seule fois!
Mais elle était... Elle n'était pas pour moi... Elle était bien trop bien pour moi.
Je continue de fixer cette femme mystérieuse qui partage ce repas avec ma cousine. Ses manières me semblent élégantes, raffinées, comme si elle était de la haute noblesse.
Elle est sans doute trop bien pour moi, elle aussi... et très certainement super vanilla!
Ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé.
Je secoue la tête négativement. Elle doit aussi être très jeune... le même âge que ma cousine... Dans la vingtaine.
AH! Koto, tu ne changeras donc jamais!
Tu désires toujours ce que tu ne peux avoir!
Je me tourne de nouveau en direction d'August, qui me dévisage avec intérêt. Il a sans doute constaté que j'étais bien plus intéressé par ce beau brin de femme que par le sujet qui nous occupe. Ayant suivi mon regard, il me pose la question ouvertement:
- Ce n'serait pas ta cousine Yoko? Tu veux qu'on aille la saluer?
Il y a un brin de taquinerie dans sa voix. Je lui fais un signe de la main.
- Nann... Elles n'ont pas besoin que des vieux chnoques comme nous viennent les embêter!
August lève les yeux au ciel. Ah! Franchement! 40 ans. Y'a pas de quoi en faire tout ce cinéma! Si moi je suis vieux, alors lui, il est centenaire! PFFF! En plus au club de Londres, les soumises me donnaient toujours dix ans plus jeune, contrairement à lui, alors je n'ai vraiment pas à m'en faire, huh!
Je sens qu'August va me refaire son sempiternel discours sur l'âge qui ne devrait jamais avoir tant d'importance dans les affaires de cœur, surtout au sein de notre mode de vie BDSM. Nous nous devons de respecter le kink de chacun n'est-ce pas! Alors si j'ai les femmes plus jeunes que moi, ça ne regarde personne! Il va aussi me dire que je devrais faire comme lui et profiter de la vie au maximum... Que je suis encore très jeune, et bla, bla, bla...
Alors pour m'éviter un de ses sermons très agaçants, je me lève de table, prétextant un besoin pressant. Tout en m'exécutant, je ne manque pas de le fusiller du regard comme seul un homme aussi dangereux que moi saurait le faire!
Mais mon regard de dangereux yakuza n'effraie plus August depuis longtemps.
Ah!
Il est bien le seul dans ce cas!!!