Chapitre 5 Chapitre 4 -

Mes yeux dérivent sur la jeune femme. Elle est souriante, épanouie à en juger par ses prunelles pétillantes. Elle a la main posée sur le léger renflement de son ventre, je ne peux retenir un hoquet de surprise. J'avais totalement fait l'impasse sur le bébé à venir.

Les grands yeux verts de Mary me scrutent, amusés, alors que je fais un vague geste de main vers son ventre.

- Oh oui ! s'époumone maman. De combien êtes-vous enceinte ?

La concernée tourne le visage vers l'homme qu'elle aime puis caresse amoureusement son visage des yeux, le dévorant presque. La manière dont elle l'observe me noue les tripes, m'envoyant une décharge le long de l'échine. Tant d'amour fait mal à regarder. J'ai cette sensation d'être de trop dans le décor, d'assister au moment le plus intime qu'il m'ait été donné de voir. Je suis une intruse dans leur bulle de bonheur. Pourtant, malgré mon cœur tambourinant, je ne peux me détourner d'eux, étudiant leurs réactions et la profondeur de leurs sentiments. Lui, Justin, sourit tendrement, posant affectueusement la main sur la joue de Mary qui rougit légèrement.

- Nous sommes dans le troisième mois, répond-t-il à sa place.

Ma gorge se resserre, mes dents se plantent de manière incontrôlable dans ma lèvre inférieure. Vient-il réellement de dire " nous" ? J'ai envie de hurler, ou de pleurer tant cela me touche. Il parait désirer l'enfant ardemment, je trouve ça touchant.

Je me mets à rêver du jour où cela m'arrivera. Du jour où je rencontrerai le bon, celui qui fera de mon monde un arc-en-ciel riche en couleurs.

- Votre grossesse se passe bien pour l'instant ? continue maman sans se départir de son immense sourire.

- Quelques nausées par-ci par-là, mais rien d'insurmontable. Je suis souvent fatiguée mais Justin m'aide à la maison. Il a déballé les cartons, a monté les meubles et fait le ménage. Par contre, j'évite de le laisser nous faire à manger, on finirait très certainement aux urgences avec une intoxication alimentaire.

Je pouffe en collant le poing contre ma bouche pour étouffer mon amusement.

Les prunelles ambrées de celui dont on se moque se tournent vers moi, égayées. Le rictus qu'il arbore lui creuse des fossettes dans les joues et j'avoue ne jamais avoir été aussi éblouie par un sourire.

- Patrick, votre fille mériterait d'être punie, elle ne devrait pas se moquer ainsi, lâche-t-il en gloussant.

Aussitôt dit, je m'empourpre et essaye de camoufler au mieux mes rougeurs avec mes cheveux.

- Je ne me moque pas, dis-je timidement.

- Vraiment ? demande le ténor.

- Oui...?

- Justin, arrête veux-tu ! Tu vas la mettre mal à l'aise, soupire Mary en prenant ma défense.

- Chérie, Justin a raison, ce n'est pas bien de se moquer, lâche enfin mon père sur un ton peu sérieux.

Automatiquement je relève la tête. Justin s'est penché, ses coudes sont appuyés sur ses cuisses. Il me jauge, les yeux rieurs.

- Si seulement j'avais été aussi poli quand j'avais ton âge, avoue Justin pensivement. Tu as quel âge ?

- Seize ans, presque dix-sept, murmuré-je.

- Le bel âge ! Je donnerais beaucoup pour de nouveau avoir seize / dix-sept ans ! Profite ! La vie est belle et sans contraintes à cette époque ! Après, tu prends ton indépendance, tu dois régler des tonnes de papiers, payer des factures, aller travailler tous les jours. Pff... s'esclaffe-t-il.

Les doigts de maman glissent sur l'une de mes mèches ondulées et tout à coup j'ai envie de lui dire de cesser, de ne pas me considérer comme un bébé. Je n'ai pas envie d'être vue comme tel aux yeux de nos nouveaux amis. J'ai envie d'être une femme, d'être prise au sérieux. J'ai envie que l'on m'écoute réellement, sans glousser à chaque fois que je prends la parole.

- Oh, Lina est adorable. On ne peut décidément pas se plaindre de son comportement. Elle est serviable et elle a de bons résultats scolaires, que demander de plus ?

Je me tasse sur la chaise où mes fesses sont posées. Pourquoi parle-t-on toujours de moi à la troisième personne comme si je n'existais pas ? Est-ce le moment d'agiter les bras au dessus de moi, afin d'être remarquée ?

- Vous en avez de la chance ! J'espère que le nôtre sera pareil que la vôtre et qu'il ne fera pas les mêmes âneries que son père.

La main de Justin se pose sur le ventre de Mary qui lève les yeux au ciel, heureuse. La tendresse dont il fait preuve envers elle me donne envie de connaître la même chose. Qu'en serait-il si cela n'arrivait jamais ? Personne ne fait réellement attention à moi, alors un garçon ? Je suis transparente, totalement ordinaire. Rien n'attire chez moi. Je ne suis pas aussi belle qu'Erin, malheureusement.

- Parfois j'aimerais lui ordonner de sortir et d'aller s'éclater avec ses amis. Elle est peut-être un peu trop introvertie et trop studieuse.

- Oh s'il te plait m'man, grogné-je.

- Vous savez, j'étais comme ça aussi à seize ans. Rêveuse, bucheuse et casanière. Ça ne m'a pas empêché de réussir, jugez par vous-même. Je viens d'emménager aux États-Unis avec un homme extraordinaire. Je ne jurerai pas mieux pour Lina. Il vaut mieux cela plutôt qu'elle sorte et boive comme le font la plupart des jeunes de nos jours.

Merci Mary.

C'est vrai après tout, je ne cause aucun problème. Je préfère ma solitude au fait d'être toujours entourée. Faire la fête ? Oui, mais pas toujours. Boire ? Je ne crois pas en avoir la possibilité. Mes parents me tueraient. Ils veulent que je sois grande, sans le vouloir réellement. Ils disent souhaiter que je sorte, alors qu'au fond d'eux, ils ont peur que ce soit le cas. Ils seraient capable de faire nuit blanche jusqu'à mon retour. Pourquoi sortir si je n'en ai pas envie ? Au fond d'eux, ils sont bien heureux que je sois qui je suis. J'ai le temps de vivre tout ça, ce n'est simplement pas encore le bon moment.