Chapitre 4 Chapitre 3 -

Ce qui aurait dû être un vendredi normal s'est métamorphosé en une soirée presque festive. Les petits plats sont mis dans les grands et la table de la salle à manger est fièrement dressée. Une nappe ivoire satinée recouvre la table, maman a sorti sa plus belle porcelaine et ses plus beaux verres à vin.

Elle a toujours été comme ça ; à la recherche du bonheur des autres, se souciant parfois un peu trop d'eux. Je la regarde s'affairer derrière les fourneaux, planter un couteau dans le rôti mis au four pour avoir une idée sur l'avancée de la cuisson. L'odeur des lieux me met l'eau à la bouche. Je suis affamée.

- Ils arrivent quand ? J'ai faim, je geins.

Les yeux bleu azur de ma mère rencontrent les miens. Elle arque un sourcil et lève l'index afin de me mettre en garde.

- Tu n'as pas intérêt à mettre ton nez dans les gâteaux apéritifs avant l'arrivée des invités Lina.

Je roule des yeux, lâche un soupir de protestation alors que ses prunelles me jaugent de la tête aux pieds.

- Tu vas te changer, dis moi ?

- Mon survêtement me va très bien.

Elle plisse le nez en soufflant avant de tirer sur mon t-shirt trop grand.

- Chérie, nous recevons un collègue de ton père. Je pense qu'il aimerait faire bonne impression et se faire un ami. Tu sais à quel point sa vie sociale lui manque, donc s'il te plait, fais-lui ce petit cadeau. Enfile une tenue convenable.

Ce n'est pas une mise en garde, ni une demande mais un ordre caché par de doux et grands mots qui me soutirent un rictus.

Je dépose un baiser sur sa joue avant de me pencher par-dessus son corps et de saisir l'un des bâtonnets de carottes auxquels je ne peux résister.

- Lina ! gronde-t-elle en m'envoyant un regard qu'elle veut furieux mais qui transpire d'amour.

- Moi aussi je t'aime m'man ! crié-je en m'enfuyant vers l'étage.

Les escaliers craquent sous mon poids alors que je monte les marches deux à deux avant de pénétrer dans ma chambre. Cette chambre aux murs blancs et aux meubles anciens.

J'observe ma penderie et m'empresse de jeter un œil à mes tenues les plus jolies. Un pantalon de suédine noire avec un léger chemisier blanc ? Septembre est encore chaud. Une jupe en jean avec ce tee-shirt satiné bien coupé ? Je secoue la tête puis soupire tout en me tapotant le menton.

J'attrape précipitamment une tenue puis me faufile sous la douche, je prends le temps d'apprécier la chaleur de l'eau qui détend tour à tour mes muscles douloureux. J'aurais dû m'arrêter de courir lorsque m'on corps me le demandait – pensé-je lamentablement en m'enroulant dans une épaisse serviette de coton.

La robe noire pour laquelle j'ai opté bénéficie d'un léger décolleté tout à fait raisonnable et s'arrête quelques centimètres au-dessus des genoux, permettant ainsi d'agrandir ces fameuses jambes qui me semblent trop petites.

Je me sèche les cheveux puis essaye de mes coiffer. Mon lisseur m'aide à leur donner des ondulations qui me tombent épaules et la poitrine. Un léger maquillage, sobre et discret me parait suffisant. J'accorde une œillade à mon reflet dans le miroir puis approuve ma tenue d'un hochement de tête.

Que pourrais-je faire de plus ? Patienter sagement en bas ? Hors de question. Consulter internet et mes e-mails est une bien meilleure idée.

C'est assise sur mon lit, l'ordinateur sur les jambes et de gros oreillers derrière le dos que j'entends les exclamations enthousiastes de mes parents. Il ne faut pas plus de quelques secondes avant que mon prénom retentisse dans la demeure.

Je peine à m'extirper du lit et râle à voix basse.

J'enfile ma paire de chaussures et rejoins directement le salon, les escaliers donnant directement sur cette partie de la maison. Deux silhouettes sont penchées sur ma mère, je distingue uniquement des cheveux noirs et châtain clair.

- Lina, chérie, dit mon père en souriant pleinement.

Il ne faut pas beaucoup plus de temps pour que nos deux invités lèvent le visage vers moi. Une femme aux yeux d'un vert éblouissant me sourit sincèrement. Ses traits sont fins et jeunes. Cependant, ce qui me marque le plus, c'est lui. Cette personne qui l'accompagne. Non loin du mètre quatre-vingt-cinq, l'homme ose un sourire poli dans ma direction. Ses yeux sont d'une couleur noisette pailletée, atypique et j'apprécie la longueur de ses cils magnifiquement recourbés. Il est plutôt bel homme, je comprends presque pourquoi sa partenaire en est tombée amoureuse.

- Bonjour ! m'exclamé-je en m'approchant gaiement.

- Justin, Mary, je vous présente Lina, ma petite fille.

Petite. Je grimace. Combien de fois devrais-je répéter que je ne suis plus une enfant avant d'être considérée comme une adulte à part entière ? Seulement... Sommes-nous adultes à seize ans ? J'aimerais tellement y croire. Croire en ma liberté et en mon indépendance.

Je ne peux pas en vouloir à mon père qui parle avec cette pointe de fierté dans la voix. Cette intonation me retourne le ventre et m'émeut. J'ai tellement peur de les décevoir un jour. Je me tiens à carreau, ne sors jamais des rangs. Je ne me rebelle pas, ou presque pas. J'ai peur de faire un faux pas, que leur regard sur moi change. J'ai peur de foirer mes études et de gâcher ma vie.

- Enchantée Lina, je suis Justin, se présente l'homme en tendant la paume vers moi.

Je m'empresse de la saisir pour la presser légèrement. Son touché est chaud et doux. Lorsque je le relâche je pivote vers la jeune femme qui me dépasse d'à peine quelques centimètres.

- On peut se faire la bise ? rigole-t-elle.

J'acquiesce d'un geste de menton puis la laisse m'embrasser bruyamment sur les deux joues.

- Prenez places ! Vous souhaitez prendre un apéritif ? demande ma mère en parfaite hôte.

- Un Whisky si vous avez, répond l'invité d'une voix grave et suave.

Je rougie, gênée de faire face à deux inconnus puis lance un regard vers mon père qui guide les convives vers l'immense canapé qui décore le salon.

Mal à l'aise je m'assieds sur une chaise près du divan alors que Mary et Justin s'installent sur le sofa, proches sans pour autant s'effleurer.

Mary opte pour un jus de pomme, j'en fais de même.

J'observe d'un œil distrait les mains du collègue de mon père. Il fait tournoyer le liquide ambré de son verre d'un geste lent et purement sensuel. Les voix emplissent la maison, je ne prête plus attention à la conversation. Je regarde le pantalon noir de costume avec lequel il - Justin - est vêtu puis la chemise blanche qui met magnifiquement en valeur sa silhouette.