Chapitre 5 Une étrange disparition

L'enthousiasme débordant des parents avait bien amusé les enfants pendant un moment. À présent, las de les écouter, ils demeurent volontairement claustrés dans l'endroit le plus mystérieux de la maison, la chambre des filles. À l'abri des regards indiscrets, Youyou avait sorti le parchemin secret, gardé précieusement depuis plusieurs années maintenant. Elle savait précisément l'effet qu'il produirait sur ses compagnons.

Émerveillés par les scintillements qu'il projette sur les murs, les gamins subjugués par cette découverte inespérée se perdent en théories fumantes, plus farfelues les unes que les autres. Cela dit, c'est un pari gagné pour Inaya qui se pare aussitôt d'un sourire à faire fondre le plus méchant des vilains.

L'heureux hasard qui avait mis ce parchemin vieilli par les années entre les mains d'Inaya l'avait aidé à capter l'intérêt de ses compagnons. Nul besoin de chandelles, le pacte éclaire à présent la chambre d'une douce lumière. Assis en cercle autour du document sacré, et imprégnés d'une ardeur fébrile, ils décident d'apposer leurs griffes aux côtés des signatures qui le parachèvent. L'ambiance insolite qui règne en cet instant pèsera lourdement sur la destinée des six turbulents. Comment auraient-ils pu se douter de l'avenir mystérieux que leur réserveront cette existence capricieuse et cet étrange parchemin ?

Ce document secret renferme tous les rêves d'enfants et le texte indique que ceux qui le signent devront rester soudés quoiqu'il arrive. Aussi, les aventuriers qui partiront en quête d'une histoire fabuleuse devront se soutenir sans condition jusqu'au dernier jour, tels se présentent les termes de cette charte. Une fois la cérémonie des paraphes terminée, Youyou s'applique à ranger dans son coffre le manuscrit soigneusement plié. Ils connaissent à présent son contenu. Bibichoco avait lu le texte avec une diction tellement sérieuse, qu'ils mesurèrent aussitôt l'importance de celui-ci. Sans comprendre comment, les mots se sont gravés à jamais dans leurs esprits

Néanmoins, la gaieté a vite repris le dessus, les enfants n'ont plus qu'une envie en cet instant, celle de s'amuser. Dans une pirouette, Petit-Ours se fend d'une alléchante proposition qu'ils ne pouvaient refuser.

- Et si nous organisions une partie de cache-cache.

Nul besoin de le dire deux fois, les cinq adoptèrent l'idée d'Iliam.

- On peut se nicher partout dans la maison ?

Tout prêt de son compagnon de galère, lady Sayana lui avait pris la main. Les deux minuscules de la bande se tiennent déjà aux taquets pour découvrir la cachette introuvable. Et un « oui » unanime marqua le début de cette nouvelle chasse.

Saysay avait murmuré quelques mots à l'oreille de son compagnon, avant de s'échapper en le laissant indécis dans le couloir. « À tout à l'heure, Petit-Ours. Tu paries quelques euros qu'ils ne me dégoteront pas dans ma planque ! » Il eut alors la certitude que les autres auraient bien du mal à dénicher Patatou. La combattante de l'ombre avait plus d'une farce dans sa besace, elle savait se dissimuler aux yeux de tous. Maintes fois, la petite avait fait tourner en bourrique ceux qui la cherchaient.

Le visage plaqué contre le mur, Inaya avait commencé à compter. Un envol d'enfants impatients a brusquement donné le vertige aux parents, encore sous le coup d'une rigolade bien pesée.

- Quatre-vingt-dix-neuf, et cent. Attention ! Caché ou pas, j'arrive !

La traque a débuté, et les quelques pouffements de rires étouffés guident la chasseresse. Dans la maison remplie d'éclats de voix, on pouvait entendre par intermittence un « Trouvé » plein de fierté. Un, deux, trois puis quatre enfants furent ainsi découverts. Il ne restait plus qu'à dénicher Saysay qui demeurait bien planquée. Dans un coin de la pièce, Iliam s'esclaffe, se perd dans un rire sournois et se tape le ventre.

- Vous ne la trouverez pas !

Ce diablotin a une totale confiance en sa complice, « Elle va les mettre à l'épreuve et ne bougera pas d'une once. » Petit-Ours connaît son endurance, c'est une guerrière. Cependant, après avoir cherché Patatou pendant un bon moment, la patience des enfants a fait place à l'inquiétude. Où se cache la petite ? Ils avaient passé au crible tous les recoins de la maison, en vain. Plus de trace de Saysay, elle avait complètement disparu. Ils devaient bien admettre que ce jeu finissait en queue de poisson.

Après un conciliabule tenu dans la caverne des filles, la bande se décide à prévenir les parents, car Patatou demeure introuvable. « En entendant Mamina l'appeler, elle sortira sûrement de sa cachette. » Cette pensée est venue se loger dans l'esprit des enfants, les rassurant quelque peu. L'alarme déclenchée, toutes les personnes présentes dans la maison se sont alors lancées dans une recherche minutieuse pour retrouver Sayana au plus vite. Le tôlé qui s'en suivit aurait donné le tournis au meilleur des valseurs.

- Saysay ! La plaisanterie a assez duré, tu viens ici tout de suite.

Papounet avait prononcé ces quelques mots avec force et détermination. D'ordinaire, Saysay apparaissait dès qu'elle entendait son père l'appeler. Mais présentement, l'inquiétude grandissante gagne du terrain au fur et à mesure que le temps s'égrène sans pitié, car Sayana ne se manifeste pas. Dès lors, chaque centiare fut encore une fois passé au peigne fin, pas même un recoin oublié. Malgré la perquisition méticuleuse d'une maisonnée épeurée, Saysay demeurait introuvable.

L'assemblée de parents angoissés s'est ruée dans la chambre des filles. La fenêtre bien fermée atténua un brin leurs terreurs justifiées.

- Elle a dû s'endormir dans un endroit inimaginable, je ne vois que cette possibilité. La porte d'entrée est restée verrouillée de l'intérieur, elle n'a pas pu sortir.

En tenant de tels propos, Papounet essaye en vain de réconforter Mamina. Cependant, un doute persistant le ravage tout entier.

Deux heures s'étaient écoulées depuis que les enfants avaient prévenu les parents. Après avoir vérifié toutes les issues dangereuses de la maison, passé au crible chaque parcelle de toutes les pièces, force leur est d'admettre que la petite s'était volatilisée. Regroupés dans le salon, les visages dévastés attestent de l'inquiétude qu'ils ressentent en un tel moment. Sur les recommandations avisées de quelques-uns, les parents dans l'angoisse prirent la décision de contacter les forces de l'ordre. Ils devaient signaler au plus vite cette étrange disparition.

C'est ainsi que les fêtes de Noël s'envolèrent vers le pays des souvenirs, laissant place à l'inquiétude grandissante, à mesure que le temps s'échappait. Le roi de la forêt trône toujours au milieu du salon et présentement fait bien triste mine. Les petites lumières de toutes les couleurs se sont éteintes dans un élan de solidarité.

Sayana s'était envolée vers une tout autre contrée.