Je pleurniche accroupie devant la tombe de mon frère alors que mon mari est debout à côté avec le regard ailleurs. Mon esprit revint encore à ce jour fatidique qui a vu partir mon frère, sa femme et ma nièce. Cela a été l'horreur de découvrir une telle barbarie sur les lieux de l'accident. Les corps qui y étaient retrouvés étaient tous tellement carbonisés et méconnaissables. C'était horrible à voir. Juste quelques affaires appartenant à mon frère et à Lindsay qui ont aidé pour l'identification.
Même là encore, s'il n'y avait pas l'enfant à côté j'aurais pu garder espoir que mon frère revienne un de ces jours. Je n'arrivais pas à y croire moi même malgré l'évidence. Il m'est arrivé de vouloir demander une identification par ADN afin d'en être sûre. Mon mari m'en a dissuadé car d'après lui, ce serait profaner le peu de leur corps que l'on a recueilli. Il avait bien raison. Mon frère n'aurait pas donné son feu vert pour de la charcuterie à souhait. Mort ou vivant, il mérite qu'on le respecte.
Vu l'état de leur corps et suivant les directives de mon frère, ils ont été incinérés. Mais j'ai tout de même tenu à leur offrir une cérémonie funéraire digne de ce qu'ils ont représenté aux yeux de tous. Il a été convenu avec mon mari qu'ils devraient reposer tous les trois près l'un de l'autre. Alors, leurs cendres ont été entreposés tout près. Comme ça, ils sont ensemble même dans la mort. Et quand, une fois par an on vient se recueillir ici, c'est plus pratique.
Pour mon frère, cela a été difficile, mais au fil du temps j'ai accepté. Ce sont les risques du métier, comme il le répétait bien trop souvent. Néanmoins, avait il fallu que sa femme et sa fille y passent aussi ? Méritaient ils tous les trois une mort aussi violente que celle là ? C'est ce qui me désole, en vrai. Je n'arrive pas à faire mon deuil même 20 ans plus tard.
- Toi, Lindsay, Aleksa... Vous me manquez tellement.
J'essuie les larmes dégoulinant sur mes joues.
- Alex !
J'éclate en sanglot.
- Pourquoi ? Pourquoi tu m'as abandonnée mon frère ? Toi et mon mari, je n'avais que vous deux pour veiller sur moi. Vous étiez ma famille. Ma seule famille. Pourquoi toi ? Aujourd'hui encore je n'ai rien compris de ce qui s'est passé. Tu es parti comme de la fumée de paille.
Une main se pose sur mon épaule. Je me lève pour contrer le regard compatissant de Milan au milieu de cette ambiance cynique et lugubre des lieux. A cette heure de la journée, il n'y a presque personne. Il n'y a que le vide pour repondre à chaque écho de nos voix. Les couleurs rouges, oranges, quelques peu flamboyantes des pétales par terre tentent d'octroyer à l'endroit un visage moins morose, mais c'est peine perdue. Si tu t'es retrouvé là, il n'y a pas 36 milles explications à ta présence en ces lieux. Tu as perdu un proche. Alors, peu importe la splendeur de l'habitacle dressée pour introniser nos morts, il n'est aucunement chaleureux.
Milan m'aide à me relever alors qu'Andreina elle, me tend mon sac. Elle revenait de la tombe d'Aleksa les yeux rouges. Elle a sûrement pleuré. De mes enfants, c'est la seule qui a exprimé vraiment ses ressentis tout ce temps à propos de la mort de son oncle et de toute sa famille. Quoiqu'elle n'avait pas compris grand chose lors de leur disparition. Qu'aurait pu comprendre une petite fille de 3 ans ? Je lui raconte souvent comment c'était quand elle demande pour cette petite fille qui est partout sur nos photos de famille et qu'elle n'a jamais vu.
Aujourd'hui encore, tout comme moi elle est affectée. Yeleen, c'est une dure à cuire, on devine rarement ce qu'elle pense ou ressent. Et mon fils, je crois qu'il n'a aucunement conscience du monde dans lequel nous vivons. Il est beaucoup trop occupé à faire chier son père.
- Je suis si désolé mon amour. Si seulement j'avais pu agir dans le temps, tu aurais eu ton frère avec toi en ce moment. Mais je... Mon frère avait besoin de moi. J'aurais dû être là. On aurait pu trouver une solution... Une autre solution, il murmure.
Mon époux enlève sa main de mon épaule et serre les poings de rage. Je connais mon homme. Je sais que cette situation l'afflige autant qu'à moi même s'il ne l'exprime pas. Encore un autre qui ne sait pas transmettre ses émotions réelles. Avec Yeleen, ils font la paire.
- Mais ce n'est pas de ta faute Milan. Ce n'est de la faute de personne si ce n'est ce foutu policier qui n'avait fait que le persécuter. J'espère qu'il pourrit en enfer jusqu'à présent. De plus, mon frère était... Il savait dans quoi il s'embarquait. Cela ne saurait finir autrement.
- Hmmm hmmmm !
- Ceci dit, je ne comprends toujours pas comment ça a pu arriver Milan. Mon frère n'était pas un débutant. Il a toujours été prudent. Comment a t'il pu se laisser avoir de la sorte ? A chaque fois qu'un ennemi se préparait à avancer un pion, mon frère en avait déjà deux dans le jeu. Comment il a pu exposer sa famille ainsi ?
Je redouble de pleurs.
- Comment il a fait pour ne pas prévoir les entourloupes de ce Liam de malheur ? Cet homme abject... J'espère qu'il crève là où il est.
- Il n'y a pas plus malin que le renard et pourtant les marchés regorgent de sa peau Liyah. Aleksandar tout comme moi connaissions les risques du métier. Et pour Liam, je doute qu'il sorte de là un jour. Et même si cela devrait arriver un beau jour, sa vie ne sera pas assez longue pour en profiter.
- Je le tuerait de mes mains si je pouvais. Malheureusement... Je suis la loi, la justice, la droiture...
- Hmmm !
- Et c'est pourquoi tu t'es rangé mon amour. Pas vrai ?
Pour toute réponse, il détourne la tête sur le côté et réajuste ses lunettes de soleil.
- Parce que je te jure Milan, si un jour je devrais découvrir que tu trempes encore dans ces trucs là...
- Ce n'est pas le moment maman, tente de m'apaiser Andreina.
- Je suis sérieux Nana. Si ton père penses me faire chier...
- Maman ! Ton langage ! Se plaint ma fille en se bouchant les oreilles.
Je me tourne vers Milan.
- Si jamais je me rends compte que tu m'as bernée sur ce coup, je prends mes deux autres gosses et je m'en vais de ta maison. Yeleen est chez son mari. Alors je n'aurai pas à m'en faire pour elle.
- Bien évidemment mon ange. Mais rentrons s'il te plaît. Cet endroit me fout hors de moi.
L'ambiance morose du cimetière m'était déjà insupportable. C'est ainsi chaque année, pourtant j'y reviens encore. Je tiens à honorer mon frère. Il le mérite bien. C'est aussi ma manière de faire mon deuil.
Andreina, Milan et moi, on quitte les lieux à la fille indienne. En ce moment, on est en automne. Ce n'est pas le moment de l'année où la nature est la plus belle, mais j'adore. Se préparant à l'arrivée de l'hiver, l'environnement est en pleine transition. Le soleil se fait plus rare, la luminosité décline et les températures diminuent, certes. Mais, les arbres enclenchent le mécanisme qui leur permettra de se mettre en veille jusqu'au printemps prochain. Et pour cela, ils ralentissent leur métabolisme en se délestant de leur feuillage et ainsi récupérer un maximum de nutriments dans les racines, le tronc et les branches. Ce qui donne cet aspect si somptueux à leurs feuillages que j'adore. Surtout lorsque sur le sol bien préparé au préalable ils s'éparpillent.
Chaque tombeau se retrouve orné de fleurs que je suppose proviennent des proches qui rendent visite aux défunts. Avec Andreina, on enjambe quelques unes dans le tas au moment de repartir. Milan qui nous a précédé, nous attendait à la voiture tout en étant au téléphone quand on est arrivé.
- On y va. Je ne veux plus passer une minute de plus ici.
Il raccroche avant de mettre le moteur. Assise derrière avec Nana, je pose ma tête sur son épaule. L'adulte c'est moi, je ne devais pas me montrer aussi abattue face à elle. Malheureusement, je n'arrive pas à être autrement. Il n'y a pas longtemps mon bébé a pris ses 23 ans. C'est une femme maintenant. Elle me pardonnera d'être aussi faible à chaque fois. Je n'arrive pas à faire mon deuil comme il se doit.
Je finis par dormir durant le trajet. Ce n'est qu'une fois arrivée à la maison qu'Andreina m'a un peu secouée afin que je me réveille. Je soupire et descend du véhicule. Je fus acceuilli par Aleksander qui me saute dans les bras avant de me faire la bise. Je fus agréablement surprise de retrouver mon fils à la maison. Il a dû abréger ses vacances. Il avait pourtant annoncé qu'il ne reviendrait qu'à la veille de la date qu'est censé débuter sa session ici à Manchester. Et c'est pour janvier si je m'en souviens bien.
- Penses tu que j'aurais pu passer ma journée d'anniversaire ailleurs maman ? Même pas. Tu ne peux vivre sans moi. Et moi sans toi non plus.
- Beau parleur.
- Je t'aime maman. Et tu le sais.
- C'est ça, oui. Cela dit, j'aurais cru que tu serais arrivé plus tôt afin de suivre la cérémonie en l'honneur de ton oncle mon fils.
- Mon avion a été retardé maman, il m'avoue avant de s'écarter discrètement. Tu sais que je viens à chaque fois. Mais cette année je n'ai pas pu arriver à temps.
- Si tu le dis.
Il s'avance vers son père et lui tend la main. Ce dernier se retourne comme s'il n'avait rien remarqué, il s'adresse à sa fille et s'en va.
- Je vois que je suis toujours le bienvenu ici. Ça fait du bien, Xander ironise la situation en baissant sa main.
Entre lui et Milan, je ne sais plus où donner la tête. Ces deux là n'ont jamais su s'accommoder. Pourtant avec ses filles, Milan est tellement patient et adorable. Il est d'une douceur incroyable. Yeleen qui est d'une froideur à concurrencer un cadavre est sa préférée. Entre bloc de glace ils se comprennent assez bien, je trouve.
Pour Xander, le tort est assez bien partagé, il faut dire. Mon fils, je l'aime énormément. Mais ce n'est pas quelqu'un de facile à vivre. Il disparaît quand bon lui semble pour réapparaître sans crier gare.
- Je vais demander à Pétra de préparer ta chambre.
- Je m'en occuperai plus tard maman. Ne t'en fais pas pour moi. Je suis un grand garçon n'est ce pas ce que papa m'a si souvent fois répété ?
- Hmmmmm !
- Alors toi, dis moi comment tu vas ?
Il me prend la main en m'orientant vers le canapé.
- Je sais que cette journée vient chambouler le cours de ta vie chaque année. Comment tu le vis pour cette fois ?
- Que puis je dire ? J'ai perdu mon frère. Mais la vie continue. Aujourd'hui c'est ton anniversaire. L'anniversaire de mon unique fils. Alors, ce n'est pas le moment pour me lamenter. J'ai perdu un frère en ce jour. Et j'ai gagné un fils. Toi tu es là. Je ne veux pas que ma douleur impacte ta journée.
Je l'enlace dans mes bras. Etant longiligne comme son père, Xander est plus haut de taille que moi.
- Déjà joyeux anniversaire mon bébé ! Maman t'aime .
- Merci mom.
- Je n'avais rien préparé vu que tu ne m'as pas informé de ton retour. Tu n'as informé personne d'ailleurs. C'est quoi ces manières mon fils ?
- Mamaaaan, il rale.
- Mais je veux marquer le coup. On peut sortir en famille ce soir, si tu le souhaites.
- Du moment que j'ai ma famille avec moi. Je ne demande pas souvent grand chose maman. Et tu le sais. On peut rester ici... en famille.
- Je sais mon bébé. Je le sais, je le serre d'autant plus dans mes bras. Ton père aussi d'ailleurs. Même s'il ne te le dit pas.
Andreina Ivanović
- Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire Xander ! Joyeux anniversaire !
Nous chantons tous en cœur. Il n'y a que papa qui ne fait que fixer mon frère comme s'il allait lui sauter dessus. Ces deux là... Mieux je ne m'y mêle pas. Au fil des ans, la rage de mon père contre Xander grandit à vitesse grand V. Ce n'est pas comme s'il n'avait rien fait pour le déclencher.
Aujourd'hui c'est l'anniversaire de mon petit frère. Il prend ses 20 ans. Et c'est tout ce qui compte à mes yeux. Il a beau être tête en l'air, mais on l'aime tous. Même papa. Alors, malgré toute la douleur que reveille ce jour, on fait l'effort d'être présent pour lui et ne pas lui faire sentir que c'est déplacé de festoyer en un jour pareil.
Yeleen n'a pas pu être avec nous. Elle s'est contentée d'envoyer une petite vidéo pré-enregistrée pour Xander. Ainsi que d'autres cadeaux je suppose. Ce n'est pas Xander qui va crier aux quatres vents ce qu'il a reçu.
En réalité, Yeleen ne vient jamais à cette date. Elle s'assure à chaque fois de se trouver une excuse pour se retrouver en dehors du pays. Je la comprends. C'était son oncle. Elle a eu le temps de partager plus de choses avec lui vu qu'elle avait déjà 6 ans à sa mort. Ce qui diffère de nous autres. Moi, tout ce dont je me rappelle de mon oncle, Lindsay et ma cousine me vienne de ma mère.
- Ça se passe comment à l'université ? Tu as su prendre tes marques ? Je le prend à part pendant que maman amène son gâteau.
A priori on devrait aller dîner dehors, mais Xander a decommandé. Alors, on se retrouve juste dans notre jardin en famille.
- Bof !
- Ce n'est pas bof qu'il faut dire Lex. On compte sur toi. Dans cette famille, on n'est pas des têtes brûlées.
- Je sais. Tout comme je sais que je suis le vilain petit canard de la famille.
- Dis pas ça frangin.
- Papa semble être d'accord avec l'idée en tout cas. Regarde le, il est un homme d'affaires à succès. Maman, une avocate redoutable. Yeleen veut se la jouer justicière. Et toi ma sœur, 23 ans et tu es presqu'au bout de tes études de cardiologie. Pendant que moi, je stagne. Je reprends ma première année de fac. Ose avancer le contraire.
- Je commence tout juste ma deuxième année de spécialisation frangin. Détrompe toi. Tu n'es pas au niveau que l'on attend tous de toi. Cela ne fait pas de toi le vilain petit canard de la famille. C'est ton comportement qui est à plaindre. A part ça, chacun va à son rythme frangin. Peut être que tu devrais changer de section. Si tu ne veux pas perdre ton temps avec de longues études, arrête tout et vis selon tes choix. Même papa ne pourra rien contre ça.
- Va rapporter cela à Milan Ivanović. Les beaux arts c'est un hobby Aleksander, il mime notre père avec sa grave voix. Choisis toi un métier correct comme le fait tout homme... comme le grand homme dont tu portes le nom. Tu pourras toujours faire beaux arts après.
On explose de rire tous les deux. Mais je finis par faire couler une larmes.
- Tu sais, j'aurais aimé le connaître.
- Qui est ce ?
- Notre oncle. A chacun de mes anniversaires, je me sens comme un charlatan... Un usurpateur.
- Tu sais, il y a des tas de manière d'être brave. Et toi mon frère tu l'es à ta manière. Déjà, tu fais chier notre père. Pour ça, il faut du courage. Je suppose que tonton aussi le faisait chier. Raison pour laquelle il l'aimait autant. Il doit bien y avoir un point de ressemblance à ce niveau, je me moque de lui.
On s'esclaffe de rire de nouveau.
- C'est quoi ces messes basses ? Nous interroge maman qui a fini de placer le gâteau et les couverts. Si mon mari et moi nous sommes de trop, faites le nous savoir, hein.
- S'il devait y avoir quelqu'un de trop, cela ne pourrait être que moi maman. Et tu le sais.
- Ne raconte pas de bêtises mon fils, dit maman.
Papa le fusille du regard.
- Ouais.
Le téléphone de mon frère sonne, il s'éloigne pour répondre.
- Donc tu vas continuer à ignorer ton fils, papa ?
- Il s'ignore lui même. Pourquoi devrait il en être autrement pour moi ?
- Parce que c'est toi l'adulte papa. Tu es son père. Pourquoi il devrait y avoir autant de différences entre nous tes enfants papa ? Tout le monde ne peut pas être comme toi ou maman. Ou même comme Yeleen. Aleksander veut prendre une voie différente. Mais laisse le faire. Il sait ce qui est bien pour lui. Il est doté de capacités de jugement. Il réussira. A moins que pour toi la réussite s'éstime en livres sterling.
- Donc tu l'encourages à être un looser ?
- Non papa. Elle m'encourage à poursuivre mes rêves, répond Xander qui rentre tout juste.
- Ah oui ! Mais quel rêve ? Ce rêve où tu crois pouvoir vivre de musique, d'artisanat et de je ne sais quelle autres conneries que tu t'es mis dans la tête ?
- Non papa. Ce rêve où je n'ai pas besoin d'être exactement comme mon oncle pour trouver grâce à tes yeux. Je me demande encore pourquoi vous avez décidé que je devais m'appeler ainsi. Qui de vous deux a eu cette brillante idée ? Cela pèse beaucoup trop sur mes épaules.
Il s'en va en claquant la porte.
- Quoi encore ? Hurle mon père lorsqu'il remarque mon regard sur lui.
- Rien.
- Alors c'est quoi que tu regardes comme ça ?
- Rien papa. J'y vais. Je crois qu'il ne va plus y avoir de fête de toutes façons. Bonne nuit vous deux ! Je monte me coucher. Je bosse tôt demain.
Je les embrasse chacun leur tour et pars. Ne vous fiez pas aux apparences. Mon père c'est un homme formidable... Un père formidable. C'est juste que ce jour n'est facile pour personne. On a beau compter les années et se dire que l'on est arrivé à surpasser tout ça. Il suffit juste que cette date repointe son nez que tout part à la débandade. Et avoir Xander sous ses yeux qui fait le con, attise encore plus les choses. Je le reconnais volontiers, mon frère est con.