Je suis allée dans un petit hôtel, dans une ruelle que je connaissais pour y avoir bu des verres avec Larry, autrefois. Le réceptionniste n'a rien dit. Il m'a juste tendu la clé. Chambre 304. Pas de signature, pas de pièce d'identité demandée. Parfait.
Je suis montée sans un mot, portant ma fille tout contre moi. Elle dormait toujours, inconsciente du monde qui vacillait autour d'elle. Les escaliers grinçaient. Je crois que c'est en poussant la porte de cette chambre que j'ai vraiment réalisé où j'en étais tombée. Le motel sentait le renfermé et le désespoir. Une odeur de linge à peine sec, de clope froide, et de vieux produits de nettoyage. J'ai posé la clé sur la table bancale, le clic métallique a résonné comme une gifle.
J'ai balayé la pièce du regard : murs jaunis, miroir fissuré, rideaux trop courts qui n'occultaient rien. La chambre était minuscule, défraîchie, mais propre. Une lampe qui grésillait, un lit trop dur. Une table de chevet avec un verre à moitié fendu. Une fenêtre étroite donnant sur un mur en briques humides.
J'ai verrouillé la porte à double tour. Je n'avais plus de forces. Plus d'énergie pour penser, anticiper, planifier. Juste assez pour tenir debout et respirer. Une inspiration après l'autre.
Je me suis assise sur le lit, ma fille dans les bras. J'ai attendu qu'elle ouvre les yeux. J'avais besoin qu'elle me regarde. Juste ça. Son regard pour me rappeler pourquoi je faisais tout ça. Pourquoi je devais tenir bon.
Elle a fini par remuer légèrement. Ses petits doigts ont frôlé ma joue. Et là, tout s'est fissuré. J'ai éclaté en sanglots. Elle s'est blottie un peu plus contre moi, comme si son petit corps savait déjà ce que le mien n'arrivait plus à porter.
Je lui ai murmuré des mots que je ne comprenais même pas. Des promesses floues. Que maman était là. Que personne ne nous ferait de mal. Que je la protègerais, coûte que coûte. J'y croyais à peine.
Je ne sais pas combien de temps j'ai pleuré. Peut-être quelques minutes. Peut-être des heures. A un moment, la lumière de la lampe a cessé de grésiller. Il faisait froid. J'ai enlevé mon manteau et j'ai emmitouflé ma fille dedans. Elle s'était rendormie, paisible, comme si elle n'avait jamais connu que l'amour. Je l'ai déposée doucement sur le lit, sorti les affaires, vérifié encore une fois mon téléphone jetable, puis je me suis allongée à côté, face contre le matelas, sans vraiment m'étendre. Car, je savais. Ce n'était qu'une question de temps. Aleksandar finirait par comprendre que je suis partie. Et il chercherait. Parce que c'est ce qu'il fait. Il ne lâche jamais.
Demain, il faudra réfléchir. Trouver un plan. Reprendre le contrôle. Mais ce soir... je suis juste une femme en fuite, une mère paumée, un cœur trop cabossé pour encore croire qu'on s'en sort indemne quand on quitte un monstre. Mais je suis encore là. Vivante. Et elle aussi. C'est tout ce qui compte.
Le lendemain, la première chose que j'ai fait était d'appeler Yoan. Avec tout ce trajet improvisé, il ne me restait presque plus rien. Ni argent, ni énergie. Ce n'est pas comme si j'avais préparé cette fugue non plus. Je me suis décidée sur un coup de tête. Donc, j'ai dû me contenter de ce qui était sous la main.
Je n'avais pas beaucoup dormi. Ma fille respirait doucement à côté de moi, emmitouflée dans mon manteau. Elle était si paisible, si loin du chaos qui me bouffait de l'intérieur. Moi, je fixais le plafond décrépi depuis l'aube, à calculer, à anticiper, à espérer. Mon téléphone jetable collé à l'oreille, j'attendais la tonalité comme on attend un verdict. Manque de bol, je suis tombée sur Inaya. Froide. Agacée. Et comme j'étais dans le besoin, j'ai pris mon mal en patience.
- Euh... Bonjour !
- Oui bonjour ! On s'identifie quand on appelle quelqu'un. Sur un numéro inconnu encore plus.
Je me suis figée. Un frisson d'agacement m'a remonté l'échine. Bien sûr. Évidemment, il fallait que ce soit elle. Mais j'ai dû raviver mon calme.
- Salut Inaya ! C'est, Lindsay. Comment tu vas ?
Pause. Silence. Un de ceux qui te font regretter d'avoir parlé.
- Bien. Et toi ?
J'ai avalé ma salive. Mon cœur tambourinait, mais je n'avais pas le luxe de reculer.
- Je vais bien. Yoan est là ? Je voudrais lui parler. Serait-ce possible ?
Un bruit de fond. Des pas ? Une chaise qui bouge ? Elle était chez elle, à l'aise, moi j'étais planquée dans un hôtel douteux à Bruxelles, un bébé dans les bras.
- Non. Tu voulais quelque chose ? Tu peux laisser ton message, si tu veux. Je le lui transmettrai.
Je me suis pincée les lèvres, une seconde. L'orgueil me soufflait de raccrocher.
- Euuuuh ! Non. Laisse. Je vais rappeler plus tard.
Elle a ri. Un petit rire sec, méprisant.
- Non. Tu ne vas plus jamais rappeler. Tu laisses mon homme tranquille.
Mon ventre s'est noué. Je me suis redressée, posée au bord du lit, le téléphone collé plus fort contre mon oreille.
- Quoi ?
- Tu es mariée que je sache. Quoi ? Ton mari ne te satisfait pas et c'est sur mon homme que tu es venue te rabattre ?
- De quoi tu parles ?
- Arrête d'appeler Yoan. L'autre est morte. C'était elle le pont entre vous deux. Alors lâche le maintenant. Que chacun reste à sa place. A savoir toi dans son passé et moi dans son présent.
Elle raccroche dès qu'elle eut fini son speech. Je suis restée là, un instant, le téléphone toujours collé à l'oreille. Incrédule. Puis je l'ai baissé doucement. Lentement. Cette fille n'a jamais réussi à me saquer. Elle reporte constamment ses frustrations de couple avec son homme sur ma personne. Dans sa tête j'en ai après lui. Alors qu'entre nous il n'y a rien. On se parle à l'occasion, mais sans plus. Alek est très jaloux. Donc après ce que m'avait rapporté Liyah, j'ai ralenti le rythme avec Yoan. Ce n'était pas prévu que je foute en l'air mon mariage avec mon ex. Finalement, cela n'aurait servi à rien vu que l'on finira chacun de son côté.
Je me suis levée, j'ai marché un peu dans la chambre. Pieds nus sur le lino froid. J'ai ouvert la petite fenêtre pour respirer. Un mur gris et moisi me faisait face. Génial.
Je n'ai pas rappelé tout de suite après la coupure de l'appel. Cette Inaya ne me porte pas dans son cœur comme j'ai dit. Je n'allais pas en plus de ça lui donner d'autres raisons pour faire grandir sa haine à mon égard. J'ai attendu une bonne heure. Au cours de la journée, j'ai rappelé plus d'une fois mais ça ne passait pas. J'ai pensé au fait qu'elle pouvait m'avoir bloqué. J'ai attendu le lendemain pour vérifier via une cabine téléphonique où j'ai appelé le numéro de Yoan qui bizarrement ne passait plus avec le mien. Et effectivement, c'est ce qu'elle avait fait.
Elle n'avait rien à cirer des raisons qui m'ont poussées à appeler son homme. Dans sa tête, je ne pouvais vouloir qu'une seule chose. « Le lui piquer ». Elle a donc pris des mesures en conséquence. Alors que moi, tout ce que je voulais, c'était juste de l'aide.
Le problème est que, je ne pouvais pas jouer à la plus fière car celle qui allait le plus en subir c'était ma petite princesse. Et de ça, je n'en voulais pas. Alors je recommencerai encore et encore, jusqu'à tomber sur Yoan. Et s'il le faut, j'irai à son entreprise. Tant pis pour la dignité.
Manchester, Angleterre
Milan Ivanović
Je pousse la porte du salon en desserrant ma cravate, un soupir long sur les lèvres. Kyra lève à peine les yeux du canapé, son regard me scanne de bas en haut.
- Tu rentres tôt aujourd'hui mon amour.
- J'ai finis plus tôt aujourd'hui.
Je balance ma veste sur le dossier du fauteuil, les muscles encore tendus. Je la regarde. Elle attend. Alors je vide mon sac.
- Il y a un souci avec ton frère. Alors, j'ai dû aller d'urgence chez ce dernier. Mais je ne suis pas resté. Je me faisais un sang d'encre pour lui. Puis je me suis rendu compte qu'il a lui-même cherché ce qui lui arrive. Alors je l'ai laissé dans ses emmerdes. Qu'il se démerde seul.
Elle fronce les sourcils, se redresse.
- Vous n'êtes pas censés être des frères ? Entre frère on s'entraide, non. Pourtant, je vois que c'est loin d'être ton cas. Maintenant tu me dis que tu le laisses gérer tout seul. Depuis quand c'est devenu ses soucis à lui tout seul ?
Je serre la mâchoire, me passe une main dans les cheveux.
- Ton frère est un putain d'abruti, Kyra.
- Milan...
- Non, écoute-moi. Ça fait des mois qu'on lui dit de se calmer, de revoir son comportement de mec impulsif. Il n'en a jamais rien eu à foutre. Et maintenant ? Sa femme s'est barrée. Et monsieur veut retourner ciel et terre pour la retrouver. Trop tard.
- Attends... quoi ? Tu me parles de Lindsay là ? Qu'est-ce que tu racontes bordel ?
Elle fouille frénétiquement la pièce, ouvre un tiroir, en referme un autre.
- Mais qu'est-ce que tu fous ?
- Je cherche mon téléphone !
- Tu vas me filer le tournis à tourner comme ça. Assieds-toi, merde.
Elle m'ignore. Ses gestes sont précipités. Elle trouve enfin son téléphone, s'empare de l'appareil comme d'une arme.
- J'appelle Lindsay ou mon frère. J'ai besoin de me renseigner à la source. Comment se fait-il que mon frère ait usé de violence avec elle ?
Je m'appuie contre le dossier du fauteuil, bras croisés.
- Hmmm ! Cela te semble si incroyable que ça ? je ne dramatise pas. Ce pauvre con a sorti son flingue. Il l'a braquée, Kyra. La pauvre fille a eu une putain d'arme pointée sur elle.
Elle se fige. Ses mains tremblent légèrement. Elle porte ses doigts à sa bouche.
- Putain... Il a fait ça ? Il a vraiment fait ça ? Mais il est complètement taré...
Elle compose un numéro, puis un autre.
- Il a fait fort l'idiot. Il s'est mis dans le pétrin le con. Non mais, est ce qu'il réfléchit souvent cet abruti ?
Et encore un autre. Personne ne décroche. Elle raccroche à chaque fois, plus nerveusement que la précédente.
- Personne ne répond, elle dit d'un air désolé. Le téléphone de Lindsay ne passe même pas.
- Bah, ils ne sont pas disponibles, dis-je assez vaguement. Tu vois ?
Elle me fusille du regard.
- Tu es insensible Milan. Tu aurais dû rester avec lui. L'aider si besoin.
- Et pour faire quoi Kyra ? Lui tenir la main pendant qu'il s'effondre ? C'est un enfant ? Il n'a qu'à encaisser comme un homme. Il a merdé, Kyra. Et je ne suis pas son père. Qu'il ressente un peu ce que ça fait de tout perdre à cause de sa connerie. Qu'il ressent d'abord la douleur d'avoir perdu sa femme.
- C'est encore cette femme ? Cette... Isidora ?
- Cela aurait été mieux. Mais non. Cette fois, c'est Lindsay. Et ton frère a carrément perdu la boule. Il l'a menacée. Il a sorti son flingue. Tu comprends ? Il est allé beaucoup trop loin.
- Il a perdu la tête.
- Tu l'as dit. Moi je le laisse réfléchir dans son coin et mesurer l'étendue des dégâts par lui-même...
Je me lève, étire mes bras, et relâche la tension dans mes épaules.
- Je vais aller trouver mes filles madame. Depuis ce matin je n'ai pas vu mes bébés. Ton frère se suffit à lui-même.
Je récupère ma veste. Elle reste plantée au milieu du salon, le téléphone toujours dans la main, à se ronger le sang. Je m'en vais trouver mes princesses.
Yeleen à 2 ans maintenant. C'est une grande fille. Avec elle ça passe de façon très fluide. Quoique je la sens un peu moins joviale depuis la venue de sa sœur. Elle doit se sentir délaissée la pauvre. Ce qu'il y a c'est que Andreina est souvent malade. Donc elle requiert plus d'attention.
Je tombe sur Yeleen la première. Elle tend ses bras pour que je la prenne. Tendrement, je m'abaisse. Elle s'agrippa à moi telle à une bouée d'air frais.
- Papa Mi !
- Mon amour ! Tu vas bien princesse ? Raconte à papa. Vient donc me raconter ta journée.
Elle secoue la tête pour me répondre oui que tout allait bien. Je la prends et va chercher Andreina dans leur chambre. Andreina dort à poings fermés dans son berceau. Si petite. Si fragile.
Yeleen, dans mes bras, se raidit dès que ses yeux croisent ceux de sa sœur. Et là, elle me tire le bras. Elle boude. Sa petite bouche fait la moue.
- Mais bébé, je dois jouer avec toutes les deux ma puce. Tu ne voudrais pas jouer avec ta sœur.
- Veux pas.
- Yeleen ! je la gronde.
- Non, Veux pas.
Et voilà. Encore une fois. C'est toujours la guerre. Pour elle, Andreina n'est pas une complice à câliner. Non. C'est l'intruse. Celle qui a volé son trône. Celle qui a bouleversé son petit royaume.
Et elle le fait savoir. Par ses silences. Par ses refus. Par sa jalousie à peine masquée. Pourtant, je me souviens... Quand Andreina était encore dans le ventre de Kyra, Yeleen venait poser sa tête contre lui. Et maintenant ? Elle évite le berceau comme si c'était un piège. S'en approche à peine. Parfois, elle la regarde avec une pointe de mépris. C'est dur à voir. Elle était si heureuse de savoir qu'elle allait avoir une sœur.
Souvent je me demande comment fait Kyra avec elles à longueur de journée. Cela doit être vraiment épuisant de canaliser Yeleen. Elle peut se montrer très agressive avec sa petite sœur.
Je la pose au sol, fait de même avec Andreina et va me doucher. Le dîner n'est pas encore prêt. Ce n'est pas un bien grand problème. Je vais profiter d'être là pour passer du temps avec ma famille. Avec la bêtise d'Alex, je sens que mon temps ne va pas être mien dans les jours qui suivent.