Je comprenais que Tracy soit prise de court par ma demande. Je n'avais aucune intention de la faire fuir et vu sa réaction, il fallait que je reformule mes propos pour ne pas lui faire peur.
"Oui, je veux mieux te connaître et la seule manière pour moi de pouvoir le faire est que tu m'accompagnes en ville. C'est un séjour qui nous permettra à toi et à moi de mieux nous connaître."
Elle avait détourné le regard. Je pouvais ressentir qu'elle réfléchissait. Il fallait que je détende l'atmosphère.
"...Je propose qu'on profite de cette bonne ambiance. Autour de nous les gens s'amusent comme des fous. Après, tu me donneras ta réponse...et j'espère qu'elle sera positive.... Viens !" dis-je pour changer de sujet en lui tendant la main.
Je l'invitait à danser sur la piste de danse et elle n'avait pas décliné mon invitation.
À vrai dire, je n'avais pas pensé qu'elle viendrait au rendez-vous. Je pensais qu'elle allait me poser un lapin mais elle était là. À ce moment, je savais que je ne devais plus faire machine arrière. Il fallait que je fonce. C'est pour cette raison que je fonçais sans m'arrêter.
J'avais réussi à la trainer jusque sur la piste de danse. Les gens dansaient de manière effrénée mais j'avais préféré la trainer dans un coin un peu plus reculé où nous étions isolés.
"Parle-moi de toi." dis-je en passant ma main autour de sa taille.
Collés l'un contre l'autre, j'avais initié une sorte de danse calme et rythmée. Nous nous balançions à notre propre rythme qui n'avait rien à voir avec la musique qui passait au bar.
"Que veux-tu savoir?" rétorque-t-elle.
"Comment une fille comme toi se retrouve dans un bar à une heure pareille ?"
Même si je ne voulais pas être indiscret avec elle, ma curiosité avait prit le dessus. Il fallait que je comprenne cette divergence.
J'avais pu me renseigner sur elle. Tracy était la benjamine d'une famille de fermiers. Ses parents étaient des gens respectables qui lui avaient sûrement donné une éducation stricte.
Comment se retrouvait-elle donc à sortir en douce la nuit à l'insu de ses parents ? Finalement, elle n'avait pas l'air aussi sainte qu'elle semblait vouloir montrer. Ceci la rendait encore plus particulière à mes yeux.
"Disons que...je ne me sens pas trop à ma place ici..."
Sa réponse m'avait tout de suite fait sourire. J'avais l'impression d'avoir gagné le gros lot.
"Je veux mieux comprendre..." dis-je.
Malgré les lumières tamisées, je pouvais sentir une nette différence sur les traits de son visage. Tracy s'était résignée à se confier à moi. Je continuais par danser avec elle pour détendre l'atmosphère.
"J'ai peut être reçu une éducation stricte mais je n'ai jamais aimé comment les choses se passaient à la campagne."
"Je comprends ce que tu essayes de dire. La manière de vivre des gens et la liberté..." dis-je pour l'orienter.
Elle pousse un soupir.
"Peut-être...je ressens juste comme si d'autres horizons existaient et m'attendaient. Et pourtant, je suis née et j'ai toujours vécu ici mais..."
Elle s'était arrêtée certainement parce qu'elle n'avait plus les mots qu'il lui fallait mais j'avais compris ce qu'elle essayait de dire et je comprenais mieux pourquoi une fille comme elle traînait dans un bar tard dans la nuit.
"J'ai exactement ce qu'il te faut. Tu sais... là où je vis en ville, il y a bien plus que cette petite ambiance de bar que tu as ici. On danse comme on veut sans avoir besoin de se cacher pour le faire."
Aussitôt que je l'avais évoqué, je sentis ses yeux briller. Tracy rêvait vraiment de cette vie où il n'y aurait pas ses parents pour la rabrouer. J'avais l'impression de tomber pile au bon moment.
Les heures qui avaient suivies, elle m'avait parlé de comment elle se sentait de plus en plus étouffée à la campagne. Elle désirait explorer d'autres horizons.
Il était maintenant deux heures du matin et Tracy commençait par bailler.
"Je pense qu'il est temps que tu rentres chez toi." dis-je en souriant.
Elle acquiesce de la tête.
"Viens, je te raccompagne." dis-je en lui tendant la main.
Cette fois-ci, elle avait pris la main que je lui tendais sans hésiter. J'étais rassuré de voir que pendant ce temps passé, nous avons pu briser la glace. Nous n'étions plus inconnus l'un à l'autre comme au départ et Tracy ne se retenait plus à chacun de mes faits et gestes. La bière y avait beaucoup contribué sans aucun doute.
Quelques minutes après, nous étions chez elle. Elle baillait encore plus qu'il y a quelques minutes.
"Je pense qu'il est temps que je te dise au revoir." dis-je
"Au Revoir, Leonardo." dit-elle.
Elle s'était retournée pour rentrer chez elle.
"Tracy !" l'ai-je interpellé.
Elle s'était retournée.
"Réfléchis à ma proposition." dis-je.
Elle secoua la tête avant de disparaître dans la nuit.
Un sourire conquérant s'était dessiné instantanément sur mon visage.
Tout se passait pour le mieux.
Le lendemain
***Tracy***
Comme hier, je tenais la supérette de ma mère. Malgré que je servais les clients, les souvenirs de la veille accaparent mes pensées. Le temps que j'avais passé avec Leonardo et surtout la proposition qu'il m'avait faite.
La porte d'entrée s'ouvre sur Magalie qui avance jusqu'à moi. Il y avait deux clients devant moi et elle avait patienté qu'ils s'en aillent.
Elle me jetait un regard inquisiteur et suggestif.
"Quoi?" demandai-je.
"Tu n'as rien à me dire?" questionne-t-elle.
J'étais restée silencieuse en me demandant intérieurement ce à quoi elle faisait allusion.
"Je..."
"Hier tu étais avec ton prince charmant au bar."
"Ah!" m'exclamai-je.
Il s'agissait bien de Magalie. Elle était au courant de tout ce qui se passait à la campagne et encore plus au bar.
"C'est tout ce que tu trouves à dire? Pourquoi es-tu partie au bar sans moi? C'est la première fois que tu le fais... qu'est-ce qui c'est passé ? Raconte..." dit-elle d'une voix aiguë sans s'arrêter.
"Chut !" chuchotai-je en voyant une dame entrer dans la supérette.
Quelques minutes avaient suffi à la dame pour qu'elle prenne ses fruits et qu'elle s'en aille.
"Je ne sais pas ce qui m'a pris." répondis-je alors qu'on était à présent seules Magalie et moi.
"Tu sais que je ne t'en veux pas...je veux juste savoir ce qui c'est passé." dit-elle avec de grands yeux.
"Rien ne s'est passé...enfin, il m'a fait une proposition."
"Laquelle?" demande-t-elle.
Je prends une profonde inspiration.
"Il m'a demandé de partir avec lui pour la ville." répondis-je.
Magalie s'était mise à sautiller comme une petite fille excitée devant un paquet de sucreries. Étant mon amie, elle savait combien je rêvais de nouveaux horizons. Je savais déjà à quoi elle pensait.
"Tu lui as répondu quoi?" questionne-t-elle après avoir repris ses esprits.
"Je ne lui ai pas encore donné ma réponse."
Elle prend une profonde inspiration.
"Tu as toujours voulu plus de liberté parce qu' ici à la campagne, tu étouffes. Je pense que c'est l'occasion rêvée pour pouvoir te déployer. Tu as de la chance..." dit-elle en me secouant fébrilement avec ses mains.
Cette proposition de Leonardo, j'y avais pensé toute la nuit. Je n'en pouvais plus de vivre une vie qui ne me convenait pas. Passer du temps à la ferme avec mon père et dans la supérette de ma mère.
J'avais la vilaine impression que je risquais de finir comme ma mère en épousant un homme de la campagne. Cette situation que je vivais aujourd'hui allait s'éterniser et je ne voulais pas finir ma vie ainsi.
Désormais, les choses étaient claires pour moi : j'allais partir avec Leonardo.