Je suis toute intimidée lorsque nous pénétrons dans le bureau climatisé de la directrice. Tout y est impeccable, on sent un lieu qui a été (et qui est sûrement encore) la genèse de plusieurs décisions et projets importants. Un beau fauteuil que j'imagine très confortable trône derrière un bureau imposant en bois noir. Sur le fameux bureau, j'arrive à distinguer quelques documents près desquels se dresse un petit drapeau du Zaïre, des stylos, une agrafeuse et un téléphone. Il y a sur le mur une grande photo joliment encadré du président de la république. Juste à côté de celle-ci se trouve celles des ministres des infrastructures et transport dans des formats légèrement moins grandioses. Il y a également une carte détaillée du pays et d'autres photos souvenirs des évènements phares de la compagnie. Il y a près d'une grande plante artificielle à larges feuilles (qui passerait presque pour une naturelle) un classeur où sont soigneusement rangés des dossiers.
J'obtempère lorsque la citoyenne Mbombo m'invite à prendre place dans le coin salon de son bureau. Coin qui comporte trois sièges en cuir (respectivement d'une place, deux places et trois places) rangés autour d'une table basse faite du même bois noir que le bureau. Je parie que ceci est la partie de son bureau où elle s'assoit pour parler à des visiteurs importants. Une large fenêtre dont on a tiré les lourds rideaux donne sur le jardin où s'affaire un vieux père en salopette.
La dame s'assoit à côté de moi et pose maternellement une main sur mon bras. En l'espace de quelques secondes, je me demande ce que ça peut bien faire d'avoir une mère comme elle. D'avoir pour mère une femme qui ne traîne aucune terrible malédiction. D'avoir pour mère une femme respectable et bien positionnée dans la société. Une que la société ne regardera jamais de haut.
- Ma fille, vous n'avez pas idée de combien vous m'avez aidée. Merci infiniment, Dit-elle, encore toute retournée par ce qui vient de se produire.
C'est visible que mon geste lui a fait un grand effet.
- Pas de quoi.
- Vous savez, je ne me suis rendue compte de mon oubli qu'une fois chez moi. J'étais dans tous mes états car je ne savais pas me souvenir de la place exacte où j'avais pu l'oublier, vu que mon mari et moi nous étions arrêtés à plusieurs endroits. Vraiment, merci.
- De rien.
- J'ai encore du mal à croire que vous me l'avez ramené. Quelqu'un d'autre aurait préféré le garder vu ce qu'il y a à l'intérieur.
- Je n'aurais jamais eu le cœur à le faire. Je sais combien c'est douloureux de perdre un bien et de ne plus jamais avoir l'opportunité de le revoir. En plus de cela, on m'a appris depuis toute petite à ne pas prendre et garder ce qui n'est pas à moi. Lorsque je m'étais aperçue que vous aviez oublié votre sac, je me suis assurée de vous le ramener.
- En tout cas, vous êtes une jeune fille avec des valeurs. Qui sont vos parents ?
La question qui tue.
- Je n'ai malheureusement été élevée que par ma mère. Mon père est passé de vie à trépas avant ma naissance.
- Oh, je suis vraiment désolée.
- C'est la vie. J'ai appris à faire avec.
- Toutes les félicitations vont donc à votre mère qui a réussi à élever une admirable citoyenne. Et cela bien qu'elle l'ait fait seule, avec toutes les contraintes que cela implique.
- Merci.
- Je ne sais vraiment pas comment vous remercier, ma fille.
Voilà ma brèche !
- M'offrir un emploi serait le meilleur remerciement pour moi.
- Ah oui ?
- Oui. Cela fait des mois que je recherche assidûment un emploi. Mais jusque-là, je suis rentrée de mes chasses les mains bredouilles. Je veux vraiment travailler, pouvoir générer un revenu.
Elle se tapote le menton, l'air de réfléchir.
- Quel niveau avez-vous, ma fille ?
Lueur d'espoir !
- J'ai un diplôme D6 en Commercial et administratif. Je peux abattre des missions comme la rédaction, la communication, la comptabilité, l'encadrement et gestion du personnel.
- Hum, Fait-elle en hochant le tête
- À part ma qualification, je suis une jeune femme très fiable, honnête, travailleuse, polyvalente et dotée des bonnes qualités relationnelles. Je m'adapte et apprends très vite. Je suis également capable de travailler sous pression et sans constante supervision.
- Hum. C'est très bien. Avez-vous un peu d'expérience ?
- Oui. J'ai travaillé quelque temps dans un hôtel. Mon travail consistait à accueillir les clients, prendre des réservations, superviser l'équipe de nettoyage et gérer la caisse. Bien que l'emploi n'était pas très en phase avec ma qualification, j'y ai énormément appris. J'y ai acquis des connaissances non négligeables que je suis plus que prête à coupler à mes autres compétences afin de contribuer à l'avancement de cet auguste établissement.
Ash ! Le Français courant qui coule. Papa Molière, sors de ce corps !
Je suis déterminée, je dois sortir d'ici avec un emploi. Je n'ai pas complétement menti sur la partie où je lui dis avoir travaillé dans un hôtel. J'ai juste embelli la vérité. Non, je l'ai plutôt édulcorée. Dans ma tête, je faisais référence à la tâche que je remplis les soirs avec les clients de ma mère. C'est cela ma part d'expérience.
- C'est très bien, ma fille. Où avez-vous fait vos études ?
- À l'institut Tuya yi Nkumpala, Chez les bonnes sœurs.
- Ah, cela explique votre expression. Ces nonnes savent former des jeunes femmes prêtes pour le monde du travail. Je me rappelle encore que là-bas, c'est plus la pratique, n'est-ce pas ?
- Oui. On nous met dans le bain depuis la troisième. Et nous avons eu à faire un nombre considérable des stages à la RVM (Régies des voies Maritimes)
Elle hoche la tête en continuant à se tapoter le menton de son index.
- Le hic est qu'aucune position de secrétaire n'est ouverte présentement, Dit-elle, pensive
- Oh, Lâché-je, alors que mon cœur fait tristement naufrage dans ma poitrine.
Je sens tout mon tonus me quitter comme de l'air s'échappant d'un ballon. C'est à peine si je ne glisse pas du beau canapé et me ratatine sur le sol tapissé.
- Mais...Commence-t-elle
Mais quoi ? Je la regarde, suspendue à ses lèvres. Je bloque même ma respiration.
- Nous avons besoin qu'une deuxième réceptionniste se joigne à Mujinga. Elle n'arrive plus à tout faire toute seule. Accepteriez-vous ce poste même si ce n'est pas ce que vous visiez ?
Que vient-elle de dire ?
Cette phrase me fait presque l'embrasser et déposer des baisers sonores sur ses joues. Mais je me retiens à temps, me contentant de la regarder avec un grand sourire qui dénude toutes mes dents. Je sens des larmes menacer de couler. Elle me demande si j'accepterais d'occuper le poste de réceptionniste ? Sait-elle seulement qu'elle vient de briser un long cycle d'échecs ? Si seulement elle savait combien des fois j'ai mordu la poussière avant aujourd'hui. Si seulement elle savait ce qu'avoir un emploi aussi insignifiant soit-il représente pour moi.
- Oui, je le prends avec les deux mains. Je le prends, Arrivé-je à articuler malgré ma gorge nouée par l'émotion
Ma réponse lui fait lâcher un petit rire amusé.
- Mais je vous promets que la minute où une meilleure position deviendra disponible, elle sera vôtre.
- Merci beaucoup. Merci, Fais-je, émotionnée
- C'est moi qui vous remercie. Ce que vous avez fait pour moi, je ne l'oublierai jamais. Quand pouvez-vous commencer ?
- Je peux commencer immédiatement. Je suis prête.
Elle éclate cette fois de rire. Encore hilare, elle se lève et m'invite à la suivre.
- On va faire un tour aux RH.
Je la suis en essuyant rapidement la larme qui perlait au coin de mon œil. Je l'ai ma petite victoire. Je l'ai.
***
Après que nous ayons vu le monsieur des ressources humaines, la citoyenne Mbombo m'amène elle-même à la réception. La mâchoire inférieure de la réceptionniste qui me toisait manque de tomber lorsque la directrice lui apprend qu'elle travaillera désormais avec moi.
- Aujourd'hui, vous allez simplement observer. Mujinga vous dira comment les choses se passent ici et tout ce qu'il est nécessaire pour vous d'apprendre, d'accord ma fille ?
- D'accord, merci beaucoup, Réponds-je, croyant rêver, tellement ce qui m'arrive est beau
- Pas de quoi. Bienvenue dans la grande famille de l'Office Des Routes.
Elle s'en va, me laissant seule avec la Mujinga qui me scrute de la tête aux pieds. Elle tape plusieurs fois dans ses mains en fixant premièrement mes escarpins avant de remonter lentement vers mes pagnes, puis ma blouse et mon visage.
- En tout cas, ton féticheur est fort, Conclut-elle en faisant claquer ses doigts
- Pardon ?
- Je dis ton féticheur est fort. Tu te pointes ici comme une fleur et, koudoum, tu as le travail. La femme-là qui est souvent méchante et distante avec tout le monde t'a donné le travail facilement comme ça ?
- Chacune sa chance dans la vie.
- Chance, mes pieds !
- Hein ?
- Et c'est moi que l'autre toto du RH devait piner comme une bête pour avoir le petit matricule-ci. Il faut me présenter à ton féticheur, Dit-elle en recommençant à écrire ce qu'elle écrivait avant que la Citoyenne Mbombo et moi ne l'interrompions.
Ah bon ? Donc le monsieur sérieux dans le bureau de qui nous étions l'a pinée pour le travail ?
- Je n'ai pas de féticheur, Rétorqué-je
- Ah, quitte !
Je l'observe deux secondes. C'est une très jolie jeune femme qui comme moi est mince mais avec une poitrine et un postérieur qui ne passent pas inaperçus. Elle a sur la tête des tresses au fil très fines que l'on a savamment réunies sur un côté de son visage.
- Il ne faut pas rester là. Viens voir ce que je fais hein. Comme tu es déjà la protégée de la directrice, je ne veux pas que tu ailles dire là-bas que je ne t'ai rien appris.
Je m'approche d'elle et regarde attentivement ce qu'elle fait.
- Tu sais transférer un appel ?
- Oui. On nous a appris à l'école.
- Tu sais comment ça se passe sur papier mais dans la pratique, tu as zéro. Tu ne connais rien de ce milieu, parce que ce comptoir, c'est mon territoire! Je dois tout t'apprendre. Je te montre quand je finis d'écrire.
- D'accord.
- II ne faut pas laisser le téléphone sonner longtemps sans répondre. Il ne faut pas non plus décrocher trop vite, tu comprends ?
Tout ça, je le sais déjà, mais je l'écoute quand-même.
- Quand tu décroches, tu dis quoi ?
- Offices Des Routes, Bonjour. Comment puis-je vous aider ?
- Pas comme ça!
- ...
- Et puis je n'aime pas ton gorging. Tu veux séduire la personne à l'autre bout du fil ?
- Pas du tout !
- Depuis l'enfance, tu parlais Tshiluba (langue locale) jusqu'à les gens s'émerveillaient. C'est ici que tu veux venir blaser les gens avec le Français de France ?
- Mais...
- Je sens que tu étais le genre de filles qui énervait les gens à l'école. Tu dis « Bonjour, c'est l'Office des Routes. Comment puis-je vous assister ? » Me coupe-t-elle
En quoi ce que j'ai dit est-il différent ?
J'ai envie de lui envoyer une réponse qui va la rassasier direct, mais il me faut faire l'agneau. Je sens que c'est le genre qui, si j'essaie de me mesurer à elle, peut me saboter ce travail que j'ai cherché avec la torche. Les heures qui suivent, elle m'apprend le nécessaire tout en me servant quand-même en vrac ses petites lâchetés que j'avale sans relever. Elle me présente également aux autres employés qui font de temps en temps escale à notre station. Bonne cancanière, Mujinga me sert quelques indiscrétions sur chacun d'eux et me prévient de ne les répéter à personne. Que si jamais j'allais jouer à la citoyenne langue pendue et qu'on revenait lui poser des questions, elle nierait jusqu'à l'infini. Je m'assure à chaque fois de ne pas garder trop longtemps le contact visuel avec les employés hommes à qui elle me présente comme étant « la petite nouvelle ». Je suis terrifiée à l'idée que certains d'entre eux se mettent à me suivre en douce pour me proposer des saletés. Cela risquerait de créer des atmosphères bizarres. C'est la dernière chose que je désire.
La citoyenne Mbombo quitte les lieux autour de 14h pour un meeting important. Elle me glisse une enveloppe qu'elle me dit m'aidera pour le transport. Son geste n'échappe pas au regard d'aigle de Mujinga qui réitère que mon féticheur est fort. Qu'elle ne comprend pas comment la directrice que tout le monde ici appelle secrètement El Dragone soit si gentille avec moi.
À la fin de la journée, nous sortons toutes les deux attendre le bus à l'arrêt qui n'est pas loin. L'attente est un peu longue, le soleil commence même à se coucher, mais Mujinga dit que ça en vaut la peine. Elle me rabâche les oreilles sur comment c'est trois fois moins cher que les taxis. Vu qu'elle vit dans le quartier juste avant le mien, nous bordons le même bus. Je n'ai jamais aimé les bus. Depuis toute petite, j'ai toujours eu une peur un peu bête des grands véhicules. Je sens à chaque fois une petite angoisse monter dans ma poitrine quand j'aperçois un grand car ou un bus. Cette peur tire son origine de cette fois où, encore très petite, je jouais dans notre cour à Ndjoku-Punda. Un grand bruit m'a fait lever la tête.
Et qu'ai-je vu ?
Trois énormes camions noirs remplis des militaires armés passaient là, se faufilant un chemin sur la petite piste qui serpentait devant notre cour. Les mines pas gentilles du tout, les militaires me fixaient pendant que leurs têtes bougeaient sous les secousses. J'ai crié comme une petite lunatique avant de courir me cacher dans la maison. Bien qu'aujourd'hui infime, cette peur de petite fille est restée. Inconsciemment, j'associe tous les grands véhicules à cet évènement.
- Tu ne feras pas d'économies conséquentes si tu dépense tout le temps pour les taxis. C'est mieux de prendre le bus, c'est vraiment moins cher si tu fais le calcul. Vis-tu encore chez les parents ? Fait Mujinga alors que le bus nous emporte
- Oui.
- Donc tu es habituée aux taxis hein. Comme tu as commencé à travailler, tu sortiras cinq jours sur sept, il te faudra changer tes habitudes. Conseil gratuit.
- Tu vis aussi chez les parents ?
- Non. Je loue un studio.
Un studio. Maintenant que j'ai un emploi, je dois commencer à penser à partir de la maison, m'éloigner du climat infect des clients de ma mère. Je dois aller vivre seule et continuer ma lutte. J'aime ma mère, mais partir est quelque chose que je dois faire dans le but de m'assurer un avenir meilleur.
Mujinga descend du bus la première, me laissant continuer le chemin sans elle. N'ayant pas trop l'habitude des grands bus comme celui-ci, je ne m'y sens pas à ma place. Plusieurs personnes descendent le long du chemin, laissant des sièges vides. Je détourne le regard lorsqu'un homme assis dans l'autre aile se met à me regarder avec insistance. Je connais ce regard, je sens mon ventre se nouer et mes paumes se faire moites. Je viens de passer la plus belle journée de ma vie, je ne veux pas qu'un chien vienne me la gâcher. Lorsque le bus commence à s'approcher de mon secteur, je me lève de mon siège sans regarder vers l'homme qui me déshabillait avec ses yeux et vais me tenir près de la porte. Je fais signe au père chauffeur lorsque nous atteignons l'alimentation où je descends souvent ces fois où j'emprunte des taxis. Mais le père qui ne m'a pas bien entendue lorsque j'ai parlé me dépose plusieurs mètres devant.
Par respect pour son âge avancé, je me retiens de lui dire deux mots bien sentis. Je désembarque en fulminant. Par sa faute, je dois me taper un trajet supplémentaire pour arriver chez moi et il commence même déjà à faire sombre. Alors que je marche, je regarde discrètement par-dessus mon épaule afin de vérifier que l'homme du bus ne m'a pas suivie. Je lâche un petit soupir de soulagement lorsque je découvre que non. Mais lorsque je passe devant un bar pour enfin pénétrer dans la rue de l'alimentation, deux hommes me sifflent. Je les ignore et presse les pas. Je m'engage rapidement dans la rue de l'alimentation et entreprends à la remonter à grand pas, impatiente de bifurquer la rue où est sis mon domicile. Mon angoisse me donne l'impression que ce soir la rue que j'ai déjà parcourue des nombreuses fois est plus longue. Et comme pour ajouter à mon malaise, elle est déserte.
Mon cœur fait une embardée dans ma poitrine lorsque j'entends des nouveaux sifflements derrière moi. Me parvient ensuite une voix d'homme qui me crie d'attendre. Je regarde rapidement par-dessus mon épaule et, malgré la faible luminosité, je reconnais les deux hommes qui m'avaient sifflée devant le bar. Je me mets à marcher plus vite, courant presque. Mon cœur bat tellement fort que j'ai l'impression qu'il sortira par ma bouche. Lorsque je m'apprête à tourner dans ma rue, une main s'abat sur mon épaule et sans tendresse me retourne. Je me retrouve face à deux jeunes gens qui me regardent comme on fait avec une viande.
Seigneur, pourquoi n'y a-t-il personne dans cette rue aujourd'hui ?
Pourquoi n'y a-t-il aucun passant qui pourrait me venir en aide ? Ils sont deux, comment arriverais-je à m'en sortir s'ils se faisaient insistants et violents ? Ils sont grands, jeunes, robustes et beaux. Ils sont habillés à la dernière mode et leur parfum que j'imagine cher s'est mêlé à l'odeur de l'alcool. J'ai là le genre d'hommes qui aurait dû vouloir me faire la cour, me demander poliment comment je m'appelle, où j'habite, me dire que je ne les laisse pas indifférents et qu'ils aimeraient m'amener danser ce week-end. Qu'ils aimeraient mieux me connaitre.
Mais ça, ce sont des choses qui arrivent aux filles normales. Elles ont le privilège de se faire aborder respectablement par les hommes. Elles se font supplier pour accepter un rendez-vous. Moi par contre, tout ce dont j'ai droit ce sont les regards libidineux et les respirations lourdes des bêtes qui brûlent de s'accoupler avec moi et me jeter une récompense la besogne terminée. L'odeur de chienne qu'ils ont perçue à mon passage les a convaincus qu'ils ont des droits sur moi.
- Depuis qu'on te crie de nous attendre, Fais celui qui a sa main sur mon épaule
- Je vais vous attendre parce qu'on se connait ? Répond-je en enlevant sèchement sa main de mon épaule
- On voulait juste te parler. C'est mauvais ?
- Je ne vous connais pas, je vais vous parler pourquoi ?
- Tu prends combien ? Demande l'autre qui s'est placé derrière moi.
- Laissez-moi tranquille ! Craché-je véhémente
Ils rigolent, amusés par mes répliques. Je recommence à marcher aussi vite que me les permettent mes escarpins. Tenaces, ils m'emboîtent les pas. Ma respiration s'est faite laborieuse, mon cœur semble battre dans chaque partie de mon corps, j'ai peur, mais je m'efforce de ne pas le laisser me contrôler. L'un des hommes me saisit par le bras et me retourne.
- On t'a demandé combien tu prends.
- Je vais prendre quoi pourquoi ?
- Bah, pour une passe. Combien prends-tu pour deux ?
- Je ne suis pas une prostituée, Tonné-je en le frappant violemment avec mon sac
Il laisse échapper un grognement de douleur. La boucle de mon sac a bien chauffé sa tempe. Rugissant ma rage qui a pris le dessus sur ma peur, je m'abaisse et prends dans mes poings deux bonnes poignées de sable que je lance vers son visage afin de l'aveugler. Hélas, il esquive à temps, le sable atterrit plutôt sur son abondante chevelure frisée. Son acolyte qui s'est à nouveau placé derrière moi essaie de me bloquer par la taille, je cogne vicieusement l'arrière de ma tête contre son visage, l'obligeant à abandonner son projet.
- Laissez-moi tranquille, espèce de pervers !
Je veux taper un sprint, mais celui que j'ai frappé avec mon sac m'empoigne et me gifle, me faisant voir mille constellations.
- Petite pute !
Le temps que je digère la première gifle qui m'a momentanément aveuglée, j'en reçois un deuxième qui fait sonner des centaines des cloches dans mes oreilles. Je suis groggy. Je ne sais plus différencier ma gauche de ma droite tellement il m'a sonnée. C'est ça qu'on appelle la gifle du gorille.
- Djo, ça suffit ! C'est quand-même une femme.
- Elle m'a blessé, la petite trainée, Répond le meneur du duo en abattant sa main sur ma bouche pour m'empêcher d'appeler à l'aide
Rapides, ils m'entraînent tous les deux dans une maison inachevée pleine d'herbes. En un rien de temps, je me retrouve sur le dos en train de me faire arracher tour à tour mes pagnes, mon jupon et ma petite culotte. Je me débats telle une furie, donnant coups de griffes et mordant la main qui me bâillonne, mais ils sont de loin plus forts.
- Arrête de gigoter ! On t'a dit qu'on ne va pas te payer ?
- Calme-toi, on va te payer.
- Arrête de bouger, merde !
Comme pour me convaincre qu'ils vont payer, l'un d'eux tire une liasse de la poche interne de son blouson et me le tape sur le front avant d'éclater de rire.
Seigneur, c'est vraiment comme ça que je vais perdre la virginité que j'ai jalousement conservée?
Lorsque le leader du duo qui s'est déjà débraguetté essaie de se placer entre mes jambes afin de me pénétrer, je serre les cuisses, sortant toute ma force.
- Ecarte, petite catin! M'intime-t-il, tout en essayant de separer mes genoux
- Ouvre ces jambes. Ouvre !
- Retourne-la. Qu'on la prenne par derriè...
- Hey ! Que faites-vous là ? Crie une voix d'homme
La seconde d'après, des faisceaux de lumière envahissent la pièce de la fameuse maison inachevée, faisant geler les deux chiens sur place. J'essaie de voir qui est intervenu, mais les lumières agressives dirigées sur nous rendent cette tâche impossible. Je plisse les yeux et arrive à distinguer des silhouettes d'hommes. La lumière qui m'éblouit vient sûrement des torches.
- De quoi je me mêle ? En quoi ce que nous faisons vous regarde-t-il ? Rétorque l'arrogant qui m'a giflée.
- On se tape une pute ! Ça ne se voit pas ? Renchérit son adjoint
- Pute ou pas, elle ne nous paraît pas consentante, Fait l'un des hommes avec les torches
- Je vous ai demandé en quoi ça vous regardait ? Enlevez vos stupides torches sur nous! Vous savez qui je suis ? Je vais tous vous faire coffrer.
- Retirez votre main de sa bouche. Si elle dit qu'elle est consentante, on vous laissera continuer
- Je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous.
- Retirez votre main tout de suite !
La minute où sa main quitte ma bouche, je crie que je ne suis pas une pute, qu'ils me forcent. Deux des gars avec les torches sautent sur les deux énergumènes et les rouent des coups pendant que je me mets péniblement en position assise. Se sentant en position de faiblesse, les deux jeunes gens prennent leurs jambes à leur cou pendant que les gars qui les ont rossés leur courent après. Tout en courant, ils crient qu'ils ne sont pas n'importe qui dans Kananga, que des représailles suivront. Alors que j'essaie d'ajuster rapidement ma tenue en refrénant des larmes de honte, de colère et de dépit, je sens une main se poser sur mon épaule.
- Ça va ? me demande une voix familière
Je lève les yeux et je reconnais Baba Salif, le père pygmée de la veille. Je secoue simplement la tête en me levant. Tout en essayant d'adopter une posture digne dans l'humiliation, j'ajuste ma blouse et vérifie que j'ai bien attaché mes pagnes. Je tâte ensuite mes oreilles et mon cou, histoire de m'assurer que je n'ai pas perdu mes bijoux, précieux cadeaux de ma défunte grand-mère.
- Je revenais de mes emplettes quand j'ai aperçu ces orang-outans vous entrainer de force dans cette maison inachevée. J'ai rapidement alerté mes petits de confiance, Explique Baba Salif
- Je ne retrouve pas mon sac, Fais-je, regardant autour de moi
- Je l'ai. Tenez, je l'ai ramassé.
Je prends le sac qu'il me tend et, n'en pouvant plus, j'éclate en sanglots. Je pleure à chaudes larmes sans pouvoir me contrôler. J'en ai assez de cette vie. Je n'en peux vraiment plus. Je ne mérite pas tout ça. Mes jambes qui se font soudain faibles m'obligent à m'accroupir avec mon visage dans mes mains.
- Ça va aller. Le pire est passé, Fais Baba Salif en me tapotant paternellement le dos
- ...
- Si vous me laissez vous aider, plus rien de ce genre ne se reproduira. Vous n'aurez plus à endurer des telles humiliations. Vous serez libre.
- ...
- Laissez-moi vous apporter mon aide. Rien ne dépasse les génies. Ils peuvent vous donner la vie que vous méritez. Une vie libre et digne.
- ...
- Acceptez l'aide des génies et dites adieu à vos tourments.
Je lève sur lui mon visage baigné des larmes.
- Peuvent-ils vraiment m'aider ? Coassé-je, me sentant à bout
- Oui. À travers moi, ils peuvent.
Je suis fatiguée de cette vie. Je veux d'une vie normale. Je mérite une vie normale.
- Que voudront-ils en retour ?
- Ce n'est pas le plus important pour l'instant. Le plus important c'est l'aide qu'ils sont prêts à vous apporter.
- Je veux quand-même savoir ce qu'ils voudront en retour. Je ne veux pas quitter un joug pour entrer sous un autre.
- Rien de tel n'arrivera, je vous en assure.
- ...
- Vous voulez de l'aide, oui ou non ? Êtes-vous heureuse de subir des telles humiliations encore et encore ? Imaginez ce que ces hommes vous auraient fait si nous n'étions pas intervenu.
- ...
- Aimez-vous vous sentir en insécurité et exposée à chaque fois que vous mettez les pieds dehors ? Ne voulez-vous pas d'une vie exempte de ces terribles contraintes ?
- Si.
- Alors, acceptez l'aide des génies. Prenez ma main, on va chez moi. Je pourrai commencer la première partie du traitement ce soir même. Et demain déjà, vous verrez la différence.
Epuisée par mon lourd fardeau, je prends la main qu'il me tend. Il m'aide à me relever et me dirige hors de la maison inachevée.
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