Je sors de la chambre et ne quitte la porte seulement au son de la clé dans la serrure, Grace ferme à double tour. Je vais vers la porte d'entrée.
Moi : oui, j'arrive Léandre
J'ouvre la porte et il entre, il me regarde à peine. Il regarde de gauche à droite comme s'il cherchait quelque chose ou quelqu'un. Je le laisse tout simplement faire; je m'assois sur le canapé et lorsqu'il a terminé, il revient vers moi les mains aux hanches. Il a l'air soucieux.
Léa : tu n'aurais pas par hasard vu Nathalie ?
Moi : qu'est ce qui s'est passé ?
Il ne me répond pas, il fait les 100 pas et tourne en rond.
Moi : assois-toi, tu me donnes le tournis
Léa : Sybel , avant d'arriver à Douala, je lui demandé de me dire ou état situé le dispensaire de quartier, tu sais ou il est ?
Moi : non !
Léa : à Village, tu sais le quartier je crois à la sortie de la ville là, le dispensaire est fait de planches. C'est une planche, vieille et moisie qui sert d'écriteau, humm. Devant le dispensaire, se trouve une rigole ou plutôt une rivière d'eaux nauséabondes. Je ne sais si cette eau là provient des WC des maisons voisines mais l'odeur qui s'en dégage est irrespirable, je ne sais d'ailleurs pas comment font ceux qui vivent dans ce coin là.
J'ai demandé à voir le médecin, on m'a présenté un monsieur à qui j'ai demandé si c'était lui qui s'était occupé du curetage, il m'a dit oui.
Il s'est arrêté pendant 5 mn , l'air de réfléchir, l'air de chercher ses mots. On sentait qu'il avait été choqué, je ne pouvais qu'attendre la suite.
Léa : Je lui ai demandé de me montrer la salle ou avait été fait le curetage, la salle, la fameuse salle !
Moi : calmes toi Léandre s'il te plait
Léa : au sol, on sentait le ciment venait d'être posé, la table est un lit en fer avec des draps qui furent blancs malgré le fait qu'ils soient propres, si je peux le dire. A coté de la table, une petite table en fer forgé ou reposent les compresses et autres. Il n'y avait pas d'objet pour faire l'aspiration, non rien !
J'ai senti mon sang bouillir et mon cœur se serrer, comment ma sœur a-t-elle pu se mettre aussi en danger ? Je lui ai demandé tout gentiment, comment il avait procédé. Il m'a dit qu'il a donné un comprimé à ma sœur à mettre dans le vagin 3 jours avant et dès qu'elle avait des douleurs ou une perte de sang, qu'elle revienne le voir.
Avait-elle fait des échographies ? Non ! Effectivement le jeudi soir dans la nuit, elle s'est mise à saigner et elle est rentrée le voir. Elle a tout simplement écarté les pieds et il s'est mis à travailler manuellement avec des forceps, sans anesthésie. Sybel, imagines la douleur, imagines ! Il a travaillé pendant une demi-heure sur elle, elle était toute seule là-bas. Imagines si quelque chose lui arrivait, si elle s'évanouissait et avait besoin de soins. Il a fini et lui a donné deux comprimés de paracétamol avec une ordonnance. Lui a-t-il demandé son âge ? Non ! Lui a-t-il demandé si ses parents étaient d'accord ? Non !
Maman m'avait dit qu'elle était blanche comme un linge lorsqu'elle est rentrée de l'école mais j'ai demandé à ma mère de se calmer, qu'elle se faisait surement des idées parce que ce n'est qu'une enfant. Humm.
J'ai demandé au médecin s'il stérilisait ses instruments, il m'a dit à l'eau chaude simplement. Il y avait un coin cuisine avec une petite marmite, il fait bouillir les forceps, je crois que c'est comme ça qu'il appelle ça et les quelques autres instruments. Dès que c'est fait, il les ressort et les pose sur la table en fer dont je t'ai parlé. Voilà, c'est dans cet endroit que ma sœur est allée se faire charcuter, si je puis dire. Tu veux connaitre la meilleure Sybel ?
J'ai demandé au médecin de me montrer son diplôme de médecin, docteur ou d'infirmièr et il m'a dit qu'il a juste fait une formation d'aide-soignant. UNE FORMATION !!! Sybel, une formation d'aide-soignant !!! ha ha ha ha ha ha ha Sybel, un aide-soignant !
Il s'est frénétiquement mis à rire, je crois que c'est ce que l'on appelle généralement un rire nerveux. Il était si énervé qu'il ne se contrôlait plus, il ne contrôlait plus ses émotions. Il a du en engranger beaucoup en quelques heures.
Quand il eut fini, il s'est tourné vers moi,
Léa : maman t'a surement appelé n'est ce pas ?
Moi : oui, elle était affolée et disait que tu voulais tuer sa fille. Léandre, comment as-tu pu la battre jusqu'à la faire fuir de la maison ? Ce n'est qu'une enfant bon sang !
Léa : une enfant qui connait déjà l'homme, elle sait déjà ce que c'est qu'un homme et toi-même tu sais que lorsqu'une petite fille s'engage dans cette voie, il est difficile de la remettre sur le droit chemin. J'ai voulu lui enlever l'envie de penser au sexe, le refaire.
Moi : Crois-tu que ce soit la bonne solution ? Ne crois-tu pas que le fond du problème, le véritable problème se trouve ailleurs ? Léandre, ta sœur te craint !
Léa : une sœur doit parfaitement craindre son grand-frère, je ne suis pas son petit copain non plus. S'il arrive que les parents trépassent, c'est moi qui vais m'occuper d'elle.
Moi : j'ai l'impression que tu ne m'écoutes pas, ta sœur n'a pas peur de toi, elle te craint ! Je ne sais pas si elle te respecte mais elle te craint, il y a une nuance. Elle devrait avoir peur de toi mais en cas de besoin avoir la certitude de pouvoir se confier à son grand-frère, ce qui n'est malheureusement pas le cas ici. Elle a eu un problème grave, elle n'a pas eu le courage de t'appeler, elle est venue me voir deux jour après avoir fait le curetage, elle n'avait jusque là pas pris d'antibiotiques. C'est grave !
Dieu merci lorsque nous sommes allées voir le gynécologue, il a fait un contrôle, il n'y avait plus d'enfant, pas d'infection mais son vagin présentait juste un traumatisme sévère. Il a prescrit des antibiotiques et demandé du repos à ta sœur. Nous pouvons dire merci au Seigneur pour cela, elle aurait pu avoir une infection, cela aurait pu être mal fait et elle serait stérile à tout jamais. Nous avons pu causer avec elle et elle lui a appris comment faire sa toilette intime. Elle lui a prescrit une pilule et qu'en cas de rapports non protégés, elle devrait à tout prix prendre la pilule du lendemain. Nous sommes allées à la pharmacie, j'ai veillé à, ce qu'elle mange et prenne des médicaments tout de suite, ce qu'elle a fait sans discuter.
Nous sommes ensuite allées au centre de planning familial, nous avons rencontré un médecin qui a écouté avec beaucoup d'attention. C'était une dame, ce qui a encore mit ta sœur en confiance. Elle lui a posé des questions sur sa sexualité et la sexualité en générale. Résultat des courses ? Elle a appris sur le tas. Ta sœur n'a aucune éducation sexuelle mais alors aucune !
Léa : nous sommes en Afrique ici Sybel, pourquoi voudrais-tu que l'on apprenne à nos jeunes filles comment faire l'amour ? Tu veux aussi que l'on vote une loi permettant l'avortement. On a quand même nos valeurs Sybel.
Moi : je n'ai jamais dit qu'il fallait une loi encourageant l'avortement, je parlais plutôt d'éducation sexuelle. Oses nier qu'avec la vulgarisation du sexe, que ce soit à la télé ou partout ailleurs, les enfants sont de plus en plus précoces. Les jeunes ont leur premier rapport entre 15 et 17 ans. On ne va pas s'en cacher non plus, c'est un secret de polichinelle. Que faudrait-il faire ? Que l'on continue à faire semblant de rien voir ? Si elle avait eu à parler du sexe à la maison avec maman peut-être cela lui aurait évité de faire cette bêtise.
Léa : c'est maintenant la faute de ma mère si elle a couché avec son petit-copain ? Sybel, je crois que tu dépasses les bornes !Tu oses insinuer que ma mère a raté son éducation ?
Moi : non mais elle a fauté dans le sens ou c'est elle qui devait lui en parler, c'est elle qui devait lui parler des règles, des menstrues de la vie d'une femme. C'était à elle de faire ce travail, d'instaurer une relation de confiance avec elle de façon à ce qu'elle soit toujours sa mère mais aussi sa confidente.
Si ta mère était au courant de certains détails, elle aurait pu lui demander de ne pas ci ou ça. Je crois qu'il y a eu un manque de communication alors que c'est la clé de tout. Ta sœur a été obligé d'apprendre avec ses copines, elle était novice en la matière et c'était en plus son premier rapport sexuel.
Léa : quoi ?
Moi : oui Léandre, elle n'a eu des rapports qu'une seule fois et pour elle, cela a été la fois de trop. Je ne te juge pas Léandre mais tu es son grand-frère et il aurait été mieux qu'elle puisse venir vers toi en cas de pépins mais le constat est là, il est amer. Je remercie Dieu que ce soit moi, qu'elle ait choisie. Elle aurait pu tomber sur quelqu'un d'autre qui lui aurait donné des conseils douteux ou aurait profité de sa naïveté.
Nous avions déjà fait le travail en amont au centre de planning familial, parler de tous moyens contraceptifs : le préservatifs, la pilule et aussi savoir compter son cycle. Ce qu'il te restait à faire, ce n'était non pas de la féliciter mais de gronder, d'instaurer un dialogue profond avec elle pour qu'elle ait une certaine confiance en toi, qu'elle puisse venir vers toi en cas de problème. Et si c'était difficile ou trop te demander, il fallait en parler à ta mère à tête reposée mais tu as agi comme un ...je préfère taire le mot auquel je pense. Tu as agi comme un imbécile, voilà !
Léa : mais il s'agit de ma sœur, c'est de ma sœur dont tu parles. Comment puis-je cautionner que ma sœur puise se faire avorter ?
Moi : et moi ?
Léa : toi quoi ? je ne comprend pas
Moi : tu as oublié ? Tu as oublié que tu m'as demandé d'avorter le jour ou je t'ai annoncé que j'étais enceinte ? Tu as oublié ? Je suis aussi la sœur de quelqu'un, je suis aussi la fille de quelqu'un au cas où tu l'aurais oublié. J'ai aussi une famille qui m'aime, une famille qui peut me pleurer au cas où quelque chose m'arriverait. C'est facile pour un homme de dire à une femme, va te faire avorter ! C'est facile puisque ce n'est pas votre vie que vous mettez en jeu, c'est facile car vous ne vivez pas avec la crainte de ne pouvoir procréer plus tard. C'est facile car ce n'est pas vous qui supportez la douleur physique de l'acte comme a supporté ta sœur sans anesthésie pendant ce curetage. C'est facile car vous ne supportez pas la douleur physique ou psychologique. Vous ne vivez pas dans l'angoisse de chercher l'argent pour aller vous faire avorter, vous ne vivez pas dans l'angoisse de savoir ce que vont penser les parents.
Sniff....Tu es parti du jour au lendemain parce que je t'avais dit que j'étais enceinte, tu voulais seulement que je te rappelle au cas où je m'étais décidée à faire un curetage. Tu sais ce que j'ai du subir de mes parents ? Les insultes, les brimades, j'ai tout subi, heureusement qu'ils ne m'ont pas violentés. Ils ne m'ont pas demandé d'avorter, ils ne m'ont rien imposé. J'aurais pu faire comme ta sœur penser à l'avortement, j'aurais pu faire comme elle, collecter des sous en douce pour me faire avorter.
Tu connais la situation de mes parents, tu sais comment nous vivons, ou crois-tu que je serais allée si je n'avais pas été forte mentalement ? Je serais allée dans un dispensaire comme l'a fait ta sœur ? Elle y est allée car elle ne pouvait supporter, les rires, les quolibets à l'école, la colère des parents, la crainte de son grand-frère et surtout la déception d'avoir été lâché par son petit copain. Oui, son petit-copain s'est exactement conduit comme toi à l'époque.
Alors, qui es-tu pour t'arroger le droit de la battre comme tu l'as fait ? Qui es-tu pour décider, pour avoir le droit de vie ou de mort sur elle ? Qui es-tu pour décider de sa vie ? Tu n'es pas un ange Léandre ! Tu n'es pas un cadeau tombé du ciel non plus ! Tu veux la tuer ? Tu as voulu la tuer ? A qui, à quoi pensais-tu exactement en lui donnant des coups comme si elle était un morceau de bois ? Tu étais content en lui donnant des coups de pieds dans les cotes ? Sniffff....Tu te sentais plus viril ?..snifff...ta mission de grand-frère est elle accomplie ? ...sniff...tu te sens mieux ? ...snifff...ton honneur est-il lavé ?
Le fait qu'elle se soit enfuie de la maison à 1h du matin ne t'interpelle t'il pas ? Si elle se faisait agresser et violer par des bandits. Serais-tu en paix avec ta conscience ? Tes parents te l'auraient-ils pardonné ? Crois-tu avoir su gérer tes émotions ? Nos émotions nous informent certes de nos besoins mais aussi de nos limites. Sur ce coup, laisses moi te dire SUPER LEANDRE, tu as m***é ! Je suis déçue par ce que je vois, je croyais que l'épisode de ma grossesse t'avait servi de leçons mais je vois que non !
Sais-tu qu'elle s'auto-flagelle déjà ? Elle culpabilise d'avoir tué un enfant, un être humain. Elle n'a que 16 ans, elle doit déjà vivre avec cela sur la conscience. L'avortement a des répercussions qui ne sont pas que physiques mais aussi psychologiques. Elle est traumatisée et là, elle est juste un animal blessé.
Pendant tout le temps qu' a mis mon monologue, il avait la tête baissée. Il se tordait les mains, il écoutait mais là il a levé la tête et s'est tourné vers moi.
Léa : elle est là ? Je t'en prie dis-moi que ma sœur est là ?
Moi : oui, elle est là mais elle est mal en point.
Léa : je peux la voir ?
Moi : je vais essayer mais tu devrais appeler tes parents pour leur demander de ne plus s'inquiéter.
Léa : merci Sybel, je fais ça et pardon encore pour l'épisode d'il y a quelques années. Je n'avais pas conscience de tout ceci.
Il s'est levé et a pris son portable pour appeler ses parents. Je me lève à mon tour et vais vers la chambre de Grace. Je toque,
Moi : Grace, c'est moi. Tu peux ouvrir, c'est bon !
Gra : tu es sure la big ?
Moi : oui, ne t'inquiètes pas ouvres !
J'entends la clé tourner dans la serrure, j'entre et regarde sur le lit croyant trouver Nathalie mais elle n'y est pas. Elle est tout bonnement restée dans le coin et dans la position ou je l'ai laissée plutôt. Mon Dieu, c'est horrible, elle doit avoir ma partout. Je me suis approchée d'elle, pas de réaction ! Je la touche, pas de réaction, peut-être dort-elle ? Je la bouscule un peu et elle tombe comme un sac du coté droit.
Moi : tu as essayé de la lever ?
Gra : oui, mais elle a refusé et elle ne voulait même pas parler.
Moi : appelle son grand-frère, vite !
Léandre arrive quelques secondes plus tard, il porte sa sœur et nous allons dans la voiture. Direction, Laquintinie après que j'eus donné des instructions à Grace, elle devait rester avec Athie et fermer toutes les portes à clés.
Dans la voiture, je priais seulement qu'elle ne décède pas, elle était salement amochée. Sa tête était posée sur mes cuisses car j'étais assise sur la banquette arrière et Léandre conduisait comme un fou brulant tous les feux qu'il y avait sur le chemin.
Nous sommes arrivés à l'hôpital et avons directement été s en charge par le médecin de garde. Nous avons essayé de suivre la civière ou était couchée Nathalie mais arrivés devant une porte, on nous a gentiment demandé d'aller à la salle d'attente.
Léandre avait les yeux vitreux, le dos affaissé comme un vieillard, il ne parlait pas et se contenait à grande peine de pleurer. J'aurais aimé vous dire que j'avais pitié de lui mais je n'y arrivais pas, non, je n'arrivais pas à lui témoigner de la compassion. Nathalie, c'était tout simplement moi il y a quelques années.
Il faudra que je cause avec Grace à mon retour, que nous ayons la fameuse discussion ou que je l'emmène aussi au centre de planning familiale. J'étais dans mes pensées depuis je ne sais combien de temps lorsque le médecin ressort de la chambre. Il a l'air grave, il n'a pas l'air content du tout.
Doc : C'est vous les parents de la jeune fille que nous je viens d'examiner ?
Nous : oui
Doc : Non seulement elle a des cotes fêlées, elle a des hématomes, un visage tuméfié, des contusions, elle perd du sang, je veux dire, elle saigne .Elle a apparemment eu un traumatisme vaginal récemment.
Nous baissons juste la tête, il n'y a rien d'autre à faire, je crois. Que dire ?
Moi : oui, elle a fait un curetage, il y a environs une semaine, un curetage pas très réussi.
Il nous a regardé tour à tour, nul besoin d'avoir un diplôme de psychologue ou un doctorat pour connaitre le fond de sa pensée.
Doc : Elle a eu une sévère correction et elle a une hémorragie interne ! Elle est inconsciente depuis longtemps n'est ce pas ?