Nathanaël
Les yeux fixés sur le ciel lourd de nuages gris, je restais immobile, perdu dans mes pensées. L'air chargé d'humidité et le grondement lointain du tonnerre annonçaient l'orage que la météo avait prédit pour midi. Debout sur la terrasse, le vent jouait avec les pans de ma chemise, mais je ne bougeais pas. Mon esprit vagabondait bien au-delà des toits visibles, au-delà du moment présent.
- Nathanaël! Qu'est-ce que tu fabriques ici, à contempler les nuages comme un poète maudit?
La voix familière de Christian me tira de ma torpeur. Je me retournai lentement pour découvrir son visage, éclairé d'un sourire chaleureux comme à son habitude. Son regard pétillant contrastait avec l'atmosphère lourde de ce matin. Fidèle à lui-même, il portait sa casquette rouge usée, qu'il ne quittait jamais, et une
chemise délavée à carreaux.
- Qu'as-tu, mon ami? Pourquoi tu tires une tronche pareille? demanda-t-il, mêlant curiosité et inquiétude.
Je baissai les yeux, hésitant à répondre. Les mots tournaient dans ma tête, comme s'ils attendaient la permission de s'échapper. Finalement, ma voix brisée rompit le silence:
- Ça fait trop longtemps... que le soleil ne brille plus.
Mon ton mélancolique suspendit l'instant. Christian cligna des yeux, visiblement déconcerté. Le grondement d'un nouveau coup de tonnerre résonna au loin, et je vis ses traits se durcir. Avant même que je ne réalise ce qui se passait, sa main s'abattit sur ma joue dans une claque sonore.
- Mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi? lâchai-je, ma main frottant ma joue endolorie.
- C'est à moi de te poser cette question, Nathanaël! Rétorqua-t-il avec agacement. Tu viens de me sortir une absurdité avec un air si sérieux! Le soleil s'est caché il y a seulement trente minutes, et tu oses parler de fin du monde ?!
Je restai bouche bée quelques secondes, puis un éclat de rire m'échappa. Je ris à m'en tenir les côtes, incapable de contenir le mélange d'ironie et de soulagement que je ressentais. Christian, lui, me fixait avec un mélange de frustration et d'incompréhension.
- Tu ne réalises pas que je ne parlais pas vraiment de la météo, hein? dis-je enfin, essuyant une larme de rire au coin de mon œil.
- Alors c'est quoi ton histoire? demanda-t-il, adoucissant son ton.
Je pris une grande inspiration, laissant mes pensées se poser avant de répondre:
- C'est Theresa, je pensais à Theresa.
En prononçant son nom à haute voix, le souvenir de notre premier rencard me revint en mémoire : son sourire, sa beauté et l'éclat qu'elle avait apporté dans ma triste vie.
Christian se tut, son sourire s'effaçant un instant. Je vis dans ses yeux qu'il comprenait enfin. Il posa une main ferme sur mon épaule, un geste simple, mais porteur d'une profonde solidarité.
- Tu sais quoi, Nath? Ça te ferait du bien de sortir un peu de cette maison. Laisse-moi t'emmener quelque part. Tu verras, un bon verre et une partie de billard, ça règle bien des choses.
Un nouveau coup de tonnerre roula au loin, mais cette fois, je sentis une étrange légèreté m'envahir. Peut-être que le soleil finirait par briller à nouveau.
Ce jour-là, sous ce ciel chargé de nuages, je ne savais pas encore que celle qui ferait renaître le soleil dans ma vie était sur le point d'y entrer.