Papa : Hélène, quand je t'ai connu tu n'étais encore qu'une petite, c'est vrai mais tu avais l'esprit tellement développé, tu étais une grande dans un corps d'enfant. On s'était promis de vieillir ensemble, c'est vrai qu'on a vieilli un peu mais ce n'était pas assez. On s'est dit jusqu'à ce que la mort nous sépare, mais je n'ai jamais imaginé que la mort serait si rapide, si violente. En partant tu emportes avec toi une partie de moi...
Je n'écoutais plus parce qu'Emilie s'est remise à chuchoter dans mon oreille.
E : Kéké, il est sérieux ou je rêve seulement ?
Moi : c'est lui seul qui sait, j'écoute aussi comme toi
E : je peux me lever et lui dire ce que je pense heinn !!!
Une vieille tante de mon père assise derrière nous : taisez-vous et écoutez votre père dire au revoir à sa femme.
On se tait et on recommence à écouter.
Papa : ... Comme l'a dit Kevin, tu as été une femme forte et tu nous as appris à toujours rester fort et garder la tête face aux difficultés. Aujourd'hui tu t'en vas, Dieu t'arrache si brutalement en nous, lui seul sait pourquoi. Nous, on ne peut que prier pour le repos en paix de ton âme. Alors, vas et que le Seigneur veille sur toi. Je ne t'oublierai jamais, toi que j'ai toujours aimé et chéri
E sursautant : heinnn !!! Chéri ? Dans quel monde ? Où ? Quand ? Comment ? Et il prononce même le nom de Dieu dans ses choses là.
La veille tante : chut !! Taisez-vous.
Papa : va, repose en paix et que la terre de nos ancêtres te soit légère.
Il baisse la tête et retourne à sa place.
La cérémonie se poursuit par quelques danses traditionnelles, la messe et ensuite vient le moment de l'enterrement.
La tombe a été creusée derrière la maison que mon père a fait construire au village. Après quelques prières de bénédiction, quatre jeunes hommes portent le cercueil de maman et se dirige vers la tombe. Emilie, que je tenais par le bras, lâche ma main et court se jeter sur le cercueil.
E : NON MAMAN NE ME LAISSE PAS PARDON, PARDON NE FAIS PAS CA
Tonton Emma, s'approche et va la soulever. Elle se débat mais il est bien costaud et elle n'a presque plus de force. Les quatre garçons continuent d'avancer vers la tombe. Quelques secondes plus tard, le cercueil de maman commence à descendre, les cris des femmes me percent le tympan, Emilie essaie de hurler mais elle est fatiguée et elle n'a carrément plus de voix. Je jette un coup d'œil à mama Cathy qui a les joues mouillées de larmes. Je regarde ensuite papa, il a les yeux fixés sur le cercueil de maman qui descend dans la tombe, soutenu par quatre cordes que tiennent quelques garçons. Une fois le cercueil complètement descendu, on nous demande de prendre chacune à notre tour un peu de poussière dans la main et de lancer sur le cercueil. Emilie commence, soutenue par tonton Emma qui ne la lâche pas. Je m'approche de la tombe, je prends un peu de poussière dans la main, je regarde pendant quelques secondes le cercueil posé au fond de la tombe. Je chuchote un dernier au revoir à ma mère.
Moi chuchotant : au revoir maman
Et je lance la poussière qui s'éparpille sur le cercueil. Mon père s'approche également et prend de la poussière dans sa main. Je le regarde, il ferme les yeux et les appuie comme s'il appelait les larmes.
Papa : Hélène, repose en paix. Fais bonne route
Tonton Emma s'approche et me prend par la main. Il m'entraine dans la maison avec ma sœur en disant que nous ne devons pas assister au reste.
C'est donc comme ça que nous avons accompagné maman à sa dernière demeure.
DEUX MOIS PLUS TARD
Ça fait déjà deux semaines que nous maman a été enterré. Pour le moment tout est calme à l maison. Emilie a l'air de commencer à s'habituer à son départ, même si certaines nuits je la surprends encore en train de pleurer. Mon père nous ignore totalement. Il ne s'occupe même pas de ce que nous faisons, il ne nous prête aucune attention : comme si c'était nouveau. Mama Cathy fait de son mieux pour endosser le rôle de mère, mais j'ai l'impression qu'elle le fait uniquement quand mon père n'est pas là. Quand il est là, elle est distante avec nous comme si c'est ce qu'il lui a demandé de faire et ça ne m'étonne même pas de sa part.
Il est 19h et Emilie n'est toujours pas à la maison. Elle est sortie depuis 14h et elle n'est pas encore rentrée et là j'entends mon père qui revient. Il vaut mieux pour elle qu'il continue de nous ignorer.
Je suis couchée dans la chambre, j'entends des pas qui viennent vers la chambre et je dis une petite prière intérieure « Seigneur que ce ne soit pas lui ». on frappe quelques coups à la porte et je suis soulagée d'entendre la voix de mama Cathy mais mon soulagement sera de très courte durée.
MC : Kévin, je peux entrer ?
Moi : oui
Elle ouvre la porte, entre et regarde autour d'elle.
MC : Emilie n'est toujours pas là ? Votre père veut vous parler.
Hé !!! Emilie, nous sommes fichues.
Moi : Elle n'est pas encore là.
MC : elle t' dit qu'elle allait où ?
Moi : voir des amies, je ne sais pas pourquoi elle n'est pas encore là
MC : tu vas dire quoi à ton père ? Il n'a pas l'air bien
Ça c'est une façon de dire qu'il a bu et qu'il est saoul. Je dois faire quelque chose sinon ça va chauffer pour Emilie et comme je sais que de toutes les façons ça va chauffer, il vaut mieux que ça chauffe pour nous deux.
Moi : je vais aller la chercher
MC : où ? Il est presque 20h. Tu sais qu'elle est où ?
Moi : je ne sais pas, mas je ne vais pas voir papa sans elle
MC : Kevin, tu sais ce qui va se passer quand ton père est dans cet état
Moi : je sais, c'est pour ça que je dois revenir avec Emilie
MC : il est assis au salon
Moi : je vais passer par derrière, dis lui que nous ne sommes pas là.
Je prends un pull, et je sors.
Ça fait plusieurs minutes que je suis au carrefour à guetter l'arrivée d'Emilie, mais aucune trace d'elle. Je demande l'heure à un passant qui me dit qu'il est 21h moins 15. Papa doit être fou de rage en ce moment. Je vais m'assoir sur un banc devant une boutique. Un home, gros et bizarre arrive et s'assoit à côté de moi.
L'homme : ma fille tu fais quoi dehors à cette heure ?
Moi : j'attends ma sœur
L'homme : et elle est où ?
Moi :...
L'homme : tu ne réponds pas ?
Moi :...
L'homme : tu sais que tu es jolie ?
Moi :...
L'homme : on dit quand même merci
Moi :...
L'homme : tu veux que je te raccompagne ?
Moi :...
L'homme : on passe d'abord à la boulangerie là en haut, tu prends ce que tu veux
Moi :...
L'homme : réponds quand même norr !!!
Moi :...
Le boutiquier sort et trouve assise à côté du monsieur
Le boutiquier : mon frère il faut laisser les enfants grandir hein
L'homme : un enfant fait quoi dehors à cette heure ci ?
Le boutiquier : c'est comme ça que vous êtes alors, vous n'avez même pas peur de Dieu
L'homme : Dieu a quoi à y voir. Elle est dehors à 21h en plein carrefour, ça veut dire qu'elle sait ce qu'elle cherche
Le boutiquier : espèce de dégoûtant, respecte au moins ton gros corps
L'homme de lève et avance vers le boutiquier : petit frère, tu parles même à qui comme ça.
Au même moment, j'aperçois une silhouette courbée qui prend la piste qui mène à la maison. Je reconnais immédiatement la silhouette d'Emilie. Je me lève et je cours vers elle en criant
Moi : Emilie, Emy
Elle se retourne et je la rattrpe.
E : tu fais quoi dehors ?
Moi : je t'attendais
E : dehors, sous le froid ? Pourquoi tu n'es pas à la maison ?
Moi : papa est rentré et il a envoyé mama Cathy nous appeler mais tu n'étais pas là, je ne pouvais pas aller le voir sans toi. Emy tu étais où jusqu'à cette heure ci ?
Elle se met à pleurer.
E : je suis allée voir des amis, mais j'ai eu un petit accident en rentrant. Je suis au centre de santé depuis 16h, je ne pouvais appeler personne.
Je la regarde mieux et je me rends compte qu'elle a un bandage au bras et un petit sparadrap sur la joue.
Moi : qu'est ce qui s'est passé ?
E : y'a une voisine de Carole (une de ses amies) qui a commencé à creuse un puits, elle a recouvert de tôles je ne savais pas et en marchant je sui tombées dedans. Tu crois que papa va me croire ?
Moi : on sait déjà ce qui nous attend, donc rentrons seulement. Tu as mal ?
E : un peu, surtout au bas ventre
Moi : ça va aller. Tiens ma main on rentre
E : ça va chauffer pour nous hein
Moi : on ne peut pas échapper
E : ça c'est sûr
Arrivées à la maison, le portail était fermé. J'ai appuyé sur la sonnette deux fois et plusieurs minutes plus tard, le portail s'est ouvert sur mon père qui avait l'air fou de rage.
Papa : oui vous voulez ?
Moi : bonsoir papa
Papa : j'ai demandé vous voulez ?
Moi : on veut entrer
Papa : dans la maison de qui ?
Moi : notre maison
Papa : rectification : ma maison et dans ma maison on respecte les règles. Quand je dis pas de sorties c'est pas de sorties
Moi : papa Emilie a eu un accident c'est pour ça qu'elle rentre si tard.
Papa : quel genre d'accident ? Vous me prenez pour qui ?
E : c'est la vérité papa, je suis tombée et...
Papa : tu étais d'abord où ?
Moi : nous sommes allées voir des amis
Papa : quels amis ? qui vous a donné la permission d'avoir des amis et en plus d'aller les voir (il fait mine de réfléchir et me regarde) toi Kevin, tu n'étais pas là quand je suis rentré ?
Moi : non, j'étais avec Emilie
Papa : tu me prends pour un idiot ? Je ne t'ai pas entendu parler avec Cathy quand je suis rentré ?
Moi : non je n'tais pas là
Papa : je suis fou alors, ou j'ai déjà des hallucinations
Moi : non papa, mais je n'étais pas là
Papa (ricanant) : hm hm hm en tout je n'encourage pas la prostitution dans ma maison, vous allez d'abord passer la nuit là pour que ça vous serve de leçon, ce sera un A-VER-TIS-SE-MENT
E : papa stp laisse au moins Kevin entrer, c'est moi qui l'ai entrainé dans tout ça.
Papa : vous étiez ensemble norrr, vous allez donc écopez ensemble.
Il referme le portail, nous laissant là dehors dans la nuit sous le froid. Emilie s'assoit par terre et met le visage dans ses mains.
E : tout c'est ma faute, excuse-moi
Moi : ce n'est pas ta faute si tu as eu un accident, ça va aller ne t'inquiète pas.
E : qu'est ce qu'on va faire ?
Moi : bah on va passer la nuit ici dehors. On n'a pas trop le choix.
En face de la maison, il y'a une maison en chantier. Je propose donc à Emilie d'y aller pour passer la nuit. Au moment où Emilie essaie de se lever, on entend quelqu'un chuchoter mon nom, le chuchotement vient de chez nous
- : Kevin, Emilie vous êtes là ? c'est mama Cathy
Moi : oui mama Cathy
MC : je vous lance un drap, vous allez dormir dans le chantier en face ?
Moi : oui c'est là-bas qu'on partait même déjà
MC : ok voilà le drap
Au même moment un drap atterrit sur nos têtes.
Moi : merci mama Cathy
MC : de rien les filles. Faites attention à vous. Le matin je vais vous faire entrer quand votre père sera parti au travail.
Moi : merci mama Cathy
MC : bonne nuit les filles
E & Moi : merci
On entre dans le bâtiment en construction, et on charche un coin assez retiré. J'enlève le pull que je portais et je l'étale par terre et Emilie fait la même chose avec son pull. Je me couche et elle se couche derrière moi. On se recouvre avec le drap que mama Cathy nous a donné et Emilie me serre dans ses bras. A une certaine heure de la nuit, j'entends des sanglots, j'ouvre les yeux, Emilie me serre toujours dans ses bras et je l'entends renifler.
Moi : Emy ?
E reniflant : oui ?
Moi : tu pleures ?
E : non ça va
Moi : arrête de pleurer stp
E : tu te rends compte qu'on a une grosse maison mais on est obligés de dormir dehors, dans une maison en construction, par terre comme des enfants de la rue, comme des orphelins, alors qu'on a un père ?
Moi : ne penses pas à ça Emy stp, essaie de dormir
E : je ne sais pas comment toi tu fais.
Moi : ne cherche pas à savoir comment je fais, essaie juste de dormir. Demain on va rentrer et on va faire un effort de faire ce qu'il dit
E : on a toujours fait ce qu'il dit Kéké, il ne veut même pas qu'on ait des amis. Est-ce que c'est normal ?
Moi : non ce n'est pas normal, qu'est ce qui est normal chez nous ?
E : justement rien n'est normal et c'est ça que je ne comprends pas, est ce qu'on est obligés de supporter ça ?
Moi : on n'a pas le choix. On va aller où ? on n'a personne d'autre.
E : pffff !!! si seulement maman était là.
Moi : ne penses plus à ça. Maman est allée se reposer. Maintenant dors.
E me serrant encore plus fort : ok je vais essayer. Heureusement que toi tu es là
Moi : oui nous sommes toutes les deux, toi et moi et un peu mama Cathy
E : elle a peur de lui jusqu'à... Mais elle nous aide quand même
Moi : elle fait ce qu'elle peut. Bon ce n'est pas l'heure de causer, dormons
E : Kéké ?
Moi : oui
E : je t'aime petite sœur
Moi : tu te crois chez les blancs ici ?
E : c'est comme ça que vous les noirs vous êtes alors. Bon dormons.
Moi : bonne nuit grande sœur.
C'est comme ça qu'on est resté couchées, je ne pouvais pas dormir, et je sais qu'elle non plus ne pouvait pas. On attend juste que le jour se lève.