Un silence suit, un long silence pendant lequel je n'entends que les battements frénétiques de mon cœur. Aucun son ne suit alors que son visage se tend de plus en plus et que son regard devient de plus en plus incendiaire.
je suis baisé...
Ma tante lève la main puis laisse la chicotte s'écraser brutalement sur ma peau. La douleur traverse ma chair et se fait sentir jusqu'aux os. Alors que je me tords de douleur et m'empêche de crier, elle me donne un autre coup, puis un autre, un autre. Sans réfléchir, j'arrête de pleurer et lui arrache sa chicotte.
- Assez! Assez! Même celui qui m'a mis au monde ne m'a jamais frappé et vous en faites votre rituel !
- Sur qui cries-tu ? Sur ma mère ? Voulez-vous votre mort?
- Arrête de me chercher Coumba !
- C'est plutôt à toi d'arrêter de crier sur tout le monde et de sortir s'il te plait ! Tu pues, clochard, répond Soda, toujours derrière moi.
Je me retourne alors et lui donne un coup de poing au visage. Elle me cherchait trop celle-là. J'ai longtemps rêvé de ce moment. Il faut que j'en profite pour remettre cette petite fille mal élevée à sa place. Malgré la force avec laquelle les coups ont atterri sur son visage, je voulais encore plus le baiser. Elle hurle en essayant de se libérer de mon emprise mais je la maintiens fermement au sol. Cependant, pendant que je m'en prends à elle, les deux autres démons m'ont aussi battu. Pour un coup chez Soda, j'en reçois quatre gratuitement. Les coups arrivent de partout, je sens aussi ma force me trahir... Incapable de tenir plus longtemps, je tombe au sol et les trois se mettent alors à me frapper comme un mur qu'ils essaient de détruire à coups de pied, gifles, coups de poing, coups de pied, bref, ils se sont défoulés sur moi de la manière la plus inhumaine. J'encaisse en criant et en me débattant au sol comme un possédé. Finalement, ils s'arrêtent avec un sourire conquérant aux lèvres et avec difficulté, je me lève et commence à les scruter un par un.
Quelles montres ! Ils sont tout simplement horribles.
Mon regard devient de plus en plus sombre sans que je puisse rien y faire. Avec le peu d'énergie qui me reste, j'essaie de noyer mes sanglots dans ma gorge. Ma respiration est aussi de plus en plus saccadée et j'ai même le hoquet. Je ne peux m'empêcher de me demander quel genre d'êtres vivants sont ces gens devant moi. Leur insensibilité dépasse l'ordre du possible. Ils sont d'une cruauté inégalée. D'où viennent-ils? Sont-ils vraiment humains ?
C'est en m'interrogeant sur leur nature que je passai ma main sur mon visage pour essuyer mes larmes, mais je remarquai une grosse tache de sang sur mes doigts. Ne sachant pas d'où vient ce liquide rouge, j'ai instinctivement mis mes doigts sur mon nez et là, je me suis rendu compte que du sang sortait bien de mes narines.
Mon Dieu, je saigne ! Ils m'ont fait saigner ces êtres immondes.
- Vous me paierez tous les trois, leur dis-je en sentant les larmes me monter aux yeux. Et suite à ces mots, elles se sont mises à rigoler comme de vieilles sorcières. Le son de leur rire semble me transpercer le cœur, c'est tellement poignant. Tout ce que je veux en ce moment, c'est retirer ce muscle de ma poitrine pour ne rien ressentir parce que j'en ai un peu marre. Non. J'en ai trop marre, je suis au-dessus de ma tête.
- Vous me le paierez cher, je leur promets quand ils se seront un peu calmés. Vous paierez pour tout le mal que vous m'avez causé, pour toutes les souffrances que vous m'avez infligées, pour chaque larme que j'ai versée à cause de vous ! Wallay je ne plaisante pas !
- Écoutez-la parler. Ce vautour se prend pour le représentant de Dieu sur terre, reprend cette dame qui m'a servi de préceptrice il y a deux petites minutes.
En ce moment, tous les sentiments qui animent mon être vont de la colère au désespoir, de la trahison à la solitude, de la haine à la rage, de l'inquiétude au dégoût.
Surtout du dégoût. Ils sont dégoûtants. Leur comportement est dégoûtant, ils me dégoûtent juste. Ils ont sûrement une pierre à la place du cœur.
- Vous n'êtes pas satisfait, semble-t-il ! En veux-tu plus? Coumba me demande comme si elle parlait à un enfant à qui elle offre des bonbons
- Toi, tout ce que j'ai à te dire ne peut se résumer qu'en une phrase : Peu importe où on se croise, ce sera toi qui baisse la tête, lui dis-je en la désignant du doigt puis je fais le tour de ma soi-disant tante sans la regarder, donne une épaule à Coumba pour qu'elle cède puis me dirige vers la sortie.
- Bâtard! Tâche de ne rien emporter avec toi, me lance tante Wouly alors que je franchis le seuil de la porte de sa chambre. Sans répliquer, je traverse le petit couloir pour sortir de cette maison mais c'est sans compter sur Soda qui me défie.
- Hé pauvre fille !
Je m'arrête mais ne me retourne pas pour écouter ce qu'elle a à dire. De façon inattendue, elle attrape mon bras et me fait pivoter, puis ses yeux rencontrent les miens, un sourire de satisfaction au coin de la rue.
- Avez-vous bien entendu? Tout ce que vous avez de la tête aux pieds vient de notre argent. Quittez cette maison sans rien emporter avec vous et le plus gentiment possible, hmm !
Je la regarde une dernière fois avec cette folle envie de la défoncer, de l'insulter de tous les noms d'oiseaux. Je tourne ma langue, je la tourne encore et encore mais les mots que j'ai en tête ne me suffisent pas. Elle mérite que je lui dise pire que je ne le pense. Et au lieu de m'éloigner, j'ai commencé à la regarder, elle et sa sœur. J'ai commencé à contempler leurs beaux visages, leurs regards envoûtants, leurs magnifiques sourires. Tout chez eux est atout. Ils ont tout ce que je n'ai pas. Pourquoi sont-ils si... méchants alors ? Sans m'attarder sur cette question, je libère mon bras de l'étreinte de Soda puis tourne les talons. Je sors enfin de cet enfer, dans le grand espoir d'entrer au paradis sans me retourner.
* * *
* *
Il se fait tard et je n'ai nulle part où aller. J'erre dans les rues tout en larmes, comme un oiseau qui bat désespérément des ailes dans le ciel et sans destination. En plus, en ce mois de janvier, il fait vraiment très froid.
Les mains croisées sur la poitrine, je continue à marcher, ignorant tous les regards curieux qui me sont adressés. Je sais que c'est à cause de mon état : mon nez n'arrête pas de saigner, le pull que je porte est déchiré et taché de sang, et mes pieds nus sont très poussiéreux. Je suis tout simplement horrible. Même les mendiants sont mieux habillés que moi.
Svelte! Je viens de me souvenir de mon argent que j'avais laissé chez moi dans ma petite valise. La seule chose qui me fait mal, c'est que ces vilaines sorcières vont l'utiliser alors qu'elles ne sont pas autorisées à toucher un sou dessus. J'espère seulement que je ne croiserai plus leur chemin...
Je sors mon vieux portable de la poche de mon pantalon pour voir l'heure qu'il est...
00:05
En plus, je n'ai pas l'habitude de traîner jusqu'à une telle heure.
Désespéré, je compose le numéro d'Adama mais trouve mon opérateur qui m'informe que je n'ai plus de crédit. Dommage. C'est vraiment dommage.
Un instant, je m'arrête de marcher, regarde chaque recoin, gonfle mes poumons d'air puis expire lentement en fermant les yeux. Je ne sais pas où je vais dormir. Je suis déjà fatigué mais je ne veux pas passer la nuit sur le trottoir ; au moins j'ai peur !
- Courage Safiétou, sois forte. C'est la vie et non le paradis, me murmurait parfois ma mère Yama. A l'époque, j'ai pris ses paroles à la légère mais maintenant je vois ce qu'elle voulait que je sache...
Après encore deux heures de marche, je m'assieds par terre car mes genoux ne tiennent plus. Je ne peux même pas localiser la partie qui fait mal exactement ; J'ai l'impression que tout mon corps me fait mal. Je regarde partout, dans tous les coins pour reconnaître où je suis mais c'est en vain. Les quelques portes auxquelles j'ai frappé pour obtenir de l'aide m'ont laissé sans espoir. Certaines personnes ferment leurs portes en criant. Suis-je si effrayant alors ?
Mes pas m'ont amené ici. L'endroit est mieux éclairé que là où je viens de partir. Les façades des maisons devant moi sont très jolies et surtout attirantes. Les belles voitures passent quelques fois et rarement les taxis. Ils me voient, je sais qu'ils me voient mais ils ne font aucun effort pour venir m'aider. J'ai souvent très envie de lever la main quand un véhicule passe sous mes yeux pour m'aider, mais comprenez-moi quand je vous dis que je n'ai même pas la force de faire un seul geste. Mes membres sont paralysés. On ne voit pas non plus l'ombre d'une seule personne... Incapable de tenir plus longtemps, je ferme les yeux et m'endors enfin, assis par terre, le dos contre le mur, les jambes allongées.
* * *
* *
Un klaxon me fait soudainement sursauter. Je me frotte longuement les yeux avant de les ouvrir.
- Bienvenue dans la réalité, me suis-je souhaité en réalisant la situation qui m'a amené ici. Je regarde autour de moi, mais ne vois rien qui me soit familier, rien du tout. C'est un bel endroit avec de très belles maisons. La rue est très propre et vous ne voyez personne bouger.
Suis-je encore en train de rêver ou...?
En essayant de me lever du sol, j'ai ressenti des courbatures accompagnées de terribles maux de tête et d'engourdissements dans les jambes. Je m'assieds puis laisse couler les larmes. Et comme pour me booster, je passe ma langue sur ma lèvre inférieure, m'adosse au mur cette fois pour me relever. Cependant, une fois debout, un vertige m'accueillit ; manquant d'énergie, je me suis laissé tomber, m'effondrant au sol. J'ai soudain eu un besoin perpétuel de boire. Tout mon corps semble réclamer de l'eau, ma gorge sèche en premier. C'est comme si je ne buvais pas, je mourrai dans les secondes qui suivront... Ces monstres ne leur ont pas manqué du tout, pas du tout.
- Jeune femme! Êtes-vous OK? Demande une voix féminine juste à côté de moi. Faiblement et instinctivement, je lève les yeux que je fixe vers la personne qui vient de me parler puis j'ouvre la bouche. Et étrangement, aucun son n'est sorti. Je ne peux même pas prononcer un seul mot.
- Essayez au moins de vous lever. Je vais t'aider, propose-t-elle en se penchant pour tenir mes côtes.
- Un verre s'il vous plait. J'ai soif, me suis-je surpris à dire d'une voix faible.
Elle m'aide tant bien que mal à me relever mais les parties où elle pose ses mains me font extrêmement mal.
- Astu ? Puis-je savoir ce que tu fais ? Une voix féminine nous arrête alors que je suis presque debout.
- J'essaie d'aider cette fille, dit-elle timidement en retirant soigneusement ses mains de mes côtes. Et comme je ne peux plus tenir, je me laisse tomber par terre.
- Est-ce que je te paye pour aider les autres ? Reprend la voix de l'inconnu. Le présumé Astou n'a pas répondu mais est simplement parti. Je ne peux pas la voir parce que mes yeux sont fermés ; mais je sentais toujours ses pas s'éloigner.
- Hé toi là-bas, sors tout de suite avant que j'appelle la police, menace fermement l'inconnu.
Laissez-la faire ! Au moins, je serai mieux traité en prison. Avec ça, cette entreprise ose parler de « Teranga sénégalaise* » ? Quelle hypocrisie !
J'ouvre les yeux et prends une profonde inspiration. Et jusque-là, je ne sais pas par quelle magie j'ai réussi à décoller. J'ai tout fait d'un coup. J'avance à petits pas en prenant une direction aveugle. Mes jambes sont lourdes, si lourdes que j'ai l'impression que des poids ont été collés dessus.
Je marche très lentement en traînant des pieds et comme si j'avais reçu une aide divine, j'aperçois une boutique non loin de là. Une lueur d'espoir surgit soudain en moi en pensant que j'aurai de l'aide. Dès que le directeur m'a vu, il est sorti à la porte. Pour ne pas tomber, je me suis collé au mur en m'approchant.
- De l'eau s'il vous plait, je murmure en m'approchant davantage. Il se contente d'un simple regard, rien de plus. Croyant qu'il ne m'entendait pas bien, je lui touche la main en le suppliant des yeux, me répétant. Malheureusement, à la seconde où j'ai fait ce geste, il m'a renversé d'une bonne gifle.