-C'est la pire journée de ma vie. Je n'ai pas aimé voir ma mère comme ça. Et mon père, il me regardait avec tant de déception. J'ai eu l'impression d'avoir commis un meurtre alors que je veux juste me marier avec la personne que j'aime.
-C'est vrai ? Tu m'aimes ?
-N'en doute jamais. Jamais, je dis. Je suis capable de faire n'importe quoi pour toi. Dit-il avec assurance.
-J'ai besoin d'être rassurée Bashir. À tout moment. Les questions que je peux te poser peuvent paraître absurdes mais ce n'est pas exactement pour savoir. C'est pour l'entendre encore et encore pour ne pas l'oublier peu importe le moment.
-Je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime. Tu veux l'entendre combien de fois, dis-moi.
-quatre mille fois.
-Ah ça, ça va être compliqué.
Ils éclatent de rire tous les deux, puis restent silencieux un petit moment.
-Ton rire est une thérapie. Confie le toubib. J'aimerai tellement que tu sois là, sur mon lit, me serrant fort.
-Je veux la même chose. Bientôt, nous partagerons bien plus qu'un lit. Je t'en fais la promesse.
-Je te crois. Tu as fait tes bagages ?
-Oui. Je n'ai même pas dit au revoir à la famille, en y repensant.
-Il faut que tu te reposes. Essaie de dormir. Sinon le réveil sera dur.
-C'est vrai.
-Passe une bonne nuit mon amour. Doux rêves. Que Dieu te garde.
-Amine. Douce nuit aussi Babe. Bisous.
-Je t'aime.
***
-Maman demande à te parler, Amadou. Tâche de ne pas la contrarier, elle va déjà très mal.
Cheikh Omar passe le téléphone à sa mère. Effectivement, Bashir est reparti à son lieu de travail mais vers 12 heures, il a reçu un appel disant que sa mère allait très mal. Une ambulance était venue la chercher et elle est hospitalisée.
-Amadou ? C'est toi ?
-Oui Maman. Tu vas mieux.
-Non. C'est de pire en pire. Ma tension est montée jusqu'à 22 et j'ai failli y passer. C'est de ta faute. À ce rythme, tu vas m'assassiner. Continue comme ça, ne lâche rien puisque l'opinion de ta mère ne compte pas. Tu auras honte toute ta vie, si je meurs. Réfléchis bien.
-Maman, comprends moi. Je veux juste être heureux.
-Au détriment du bonheur de celle qui t'a mis au monde. Quel genre de fils es-tu ?
-Si j'annule tout, tu vas te remettre ? Dit-il après un silence pesant.
-En l'entendant, je suis déjà guérie.
-Alors sache que je vais le faire juste après. Prends soin de toi maman. Je ne veux pas qu'il t'arrive malheur.
-Je vais te trouver une fille qui te mérite. Compte sur moi.
-J'ai du travail, Maman. Je te rappelle ce soir.
Il appelle de suite Yolande. Elle décroche, tristement.
-Dou ?
-Il faut qu'on parle Yolande.
-Je suis chez Ndella. Mon père vient de me renvoyer de la maison en plus de m'avoir renié parce que j'ai maintenu ma position.
-Quoi ?
-Ma mère n'a même pas essayé de me défendre, mes frères étaient furieux au téléphone. J'ai perdu toute ma famille. Il ne me reste plus que toi.
**
Certaines positions ne valent pas, au final, un atome de considération.
Bashir était sous le choc. D'un côté, il venait de promettre à sa mère qu'il allait rompre sa relation avec Yolande et de l'autre, cette dernière a mis un trait sur sa famille pour lui.
Si Yolande s'est sacrifiée de cette manière pour ne pas renoncer à cet amour qui le lie à lui. Qui est-il pour ne pas faire de même ? Est-ce qu'elle est la seule à s'investir dans cette relation ? Est-ce qu'elle mérite ce qu'il veut lui faire ?
Tant de questions. Il y a deux jours, il aurait répondu avec assurance : Non. En ce moment, il vit avec un doute.
Le doute ? C'est ce qui, rapidement, peut tuer une relation. Le doute est capable de créer une distance entre les deux êtres qui s'aiment. Il contribue à la diminution des sentiments et conduit à une éventuelle rupture si quelque solution n'est pas trouvé.
Bashir secoue la tête, signe qu'il refuse cette probabilité. Il est juste impensable pour lui de renoncer à elle. Même si, pendant un cours instant il a essayé.
Et sa mère ? Avant Yolande, c'est elle, la première femme de sa vie. Il l'adore même si depuis qu'il est jeune, il n'a pas trop senti la réciprocité de l'amour qu'il lui porte. Elle était beaucoup plus affectueuse avec ses autres frères et soeurs. Cependant, il ne faisait pas trop attention à ça. Il ressentait juste un grain de jalousie lorsqu'il était témoin de ça. Avec le temps, il a compris que chaque parent avait un ou des fils qu'il aimait plus que les autres. Si certains pouvaient camoufler cela, d'autres non. Sa mère en faisait partie. Lorsqu'il se battait avec Demba ou Cheikh Omar, elle prenait tout le temps leur défense allant jusqu'à lui rajouter des coups soi-disant parce qu'il devait respecter ses aînés. S'il lui traversait l'idée de réprimander ses soeurs, surtout la petite, Oumou, cela se retournait contre lui.
Fort de tout cela, il ressemblait à un étranger dans la maison. Il s'était réfugié dans la solitude. Beaucoup ne le connaissait pas ; lorsqu'on le présentait, ils répondaient généralement :" Ah c'est ton fils, il ne vit pas ici ou bien ? ".
Il est rentré dans la marine nationale après trois années à l'université plus parce qu'il ne se sentait pas à sa place chez lui. La formation reçue là-bas l'a rendu plus homme, il n'était plus ce jeune qui se lamentait juste parce qu'il n'était pas très sûr de l'amour et de l'affection de ses proches.
Il comprend quand même que c'est elle qui l'a porté des mois dans son ventre avant de souffrir pour qu'il naisse. Qu'elle s'est bien occupé de lui. Il ne peut pas lui promettre d'abandonner et sans ambages, changer d'avis de façon si rapide.
L'expression, être entre le marteau et l'enclume, définit parfaitement cette étape de sa vie.
La sonnerie de son portable interrompt le fil de sa pensée.
-J'espère que ce n'est pas une mauvaise nouvelle. Dit-il en voyant le nom de sa soeur Mayram sur l'écran.
-Allô oui ?
-Amadou ? C'est Mayram. Je ne te dérange pas j'espère.
-Non. Qu'y a-t-il ?
-Je sais qu'on n'a pas toujours été en bons termes mais tu dois savoir quelque chose. Dit-elle timidement.
-De quoi s'agit-il ?
-C'est Maman. Amadou, elle te manipule. Elle joue la comédie pour faire pression sur toi afin que tu ne te maries pas avec la Française. Elle n'a pas 22 de tension, c'est du pipot, Qu'Allah SWT me pardonne C'est notre mère à tous, je sais, mais tu es entrain de devenir une autre de ses victimes. Je ne veux pas que tu vives cela, tu ne le mérites pas. Nous nous sommes mariés en prenant en compte ses désirs à elle et personnellement, ça ne va pas dans mon ménage parce qu'il n'y a pas d'amour entre mon mari et moi. Et je suis sûre que Médina et Oumou vivent la même chose. Toi tu es chanceux, tu as pu trouver l'amour et tu as essayé de le défendre. Ne baisse pas les bras, je t'en supplie. Tu as mon soutien bien que je ne peux pas le faire devant Maman. Je suis de tout coeur avec toi. Je tenais à te le dire. Ne gâche pas ta vie gratuitement.
-J'ai entendu ce que tu as dit Mayram. Merci, vraiment. Ça me touche beaucoup qu'au moins une personne me comprenne.
-Garde la foi, ça ira. Je sais que vous triompherez.
-Qu'Allah t'entende ma soeur. Dit-il en fermant les yeux.
-Je te laisse Amadou. Réfléchis bien sur ce que je viens de t'expliquer.
-Oui ! Au revoir.
-Bisous.
Il raccroche, toujours surpris à cause de cet appel qu'il venait de recevoir. Sa pause était finie, pourtant il n'a toujours pas mangé. De toute façon, il n'a pas faim. Comment manger s'il est certain que son Erika ne se nourrit pas, souffrant énormément de cette séparation avec ses propres parents ? Quand on aime, on ressent la joie et la peine de l'autre. Les coeurs bien plus que les sentiments sont connectés. C'est ça le vrai amour. L'amour à la sauce Cocktail Molotov. Celui que ressent Yolande et Bashir.
***
Marietou Rachelle Dia avait rassemblé toute sa famille après sa sortie de la clinique. Ils étaient tous dans sa chambre. Après que ses belles-filles l'ont aidé à boire ses médicaments et à se redresser, un coussin derrière le dos.
-Bashir a dit qu'il n'allait plus se marier avec la poupée blanche. Mais je ne veux pas de surprise, elle pourrait l'influencer pour qu'il revienne sur sa décision. Il faut que je sois sur mes gardes. J'ai besoin de votre aide à tous. Je dis bien tous.
-Tu sais bien que nous ferons toujours ce que tu veux Maman. Rassure Cheikh Omar.
-Je veux que vous soyez mes yeux et mes oreilles. Dès que vous savez quelque chose, n'hésitez pas à m'en parler. Je saurai quoi faire. C'est bon ?
-Soxna Marietou, Amadou est ton fils. Tu ne peux pas créer une coalition pour lui faire du mal. Préviens son mari.
-Je suis désolée Malado mais sortir mon fils des bras de cette Française, ce n'est pas lui faire du mal. Je sais ce qui est bien pour lui.
-Pour ma part, s'il choisit une date, je les marierai. À bon entendeur... Il s'en va sans achever la phrase.
-Ne faites pas attention à ce que votre père dit. Une Blanche ne sera jamais ma belle-fille. Je vous en donne ma parole. Alors, le moment venu, je vous donnerai les consignes pour mener à bien notre mission. OK ?
Tout le monde avait donné son accord et il y avait du bruit dans la chambre. Seule Mayram était dans son coin, spectatrice de la conspiration contre un membre de la famille. Leur frère, beau-frère et fils.
-Mayram ? Tu es toute silencieuse ma chérie. Ça va ?
-Oui Maman. Je vais bien.
-Tu me soutiens n'est ce pas ?
Elle garde le silence un moment, hésitant entre lui dire oui ou tout simplement avouer. Il n'y avait plus ce vacarme d'antan. Tous la regardaient guettant sa réponse.
-Bien... Bien sûr. Je suis de ton côté.
-C'est très bien Mayram. Tu verras que nous allons gagner.
5 minutes après, elle prend son sac, disant qu'elle devait rentrer. En vérité, c'était plus que ce qu'elle pouvait supporter. Elle était peinée pour son frère raison pour laquelle elle a pleuré un bon coup sur son volan avant de démarrer.
La fin du mois est arrivé très vite. Oui ! Bashir devait rentrer pour un week-end mais il a demandé un congé de deux semaines pour régler quelques problèmes de famille. Ce qu'il y avait, c'était qu'il ne pouvait pas s'occuper de ses soucis en deux jours. Pendant tout ce temps, il a continué à faire croire à sa mère qu'il n'y avait plus rien entre Yolande et lui. Se montrant très crédible, Adja Marietou a fini par oublier ce mariage mettant ça sur le compte d'un caprice de la part de son fils. Elle en était réjouie et fière disant à tout le monde qu'elle a réussi à éjecter la poupée blanche de la vie de son Amadou.
Bashir continuait sa relation avec Yoyo. Elle se remettait peu à peu de l'éloignement de ses parents même si dans leurs discussions, il sentait cette tristesse qu'elle est incapable de cacher surtout à lui. Yolande a finalement repris l'appartement qu'elle avait avant de retourner chez ses parents lors du déménagement de ses frères. Elle vivait là-bas toute seule et ce n'était pas très éloigné de son hôpital. Certains soirs, elle pleurait durant de longues minutes mais immédiatement elle se consolait en pensant au bonheur qui l'attendait avec Bashir. Se disant que ce sacrifice en valait la peine.
Qui lui aurait dit qu'un jour elle allait s'embrouiller avec son père pour un homme et pis, couper tout lien avec eux deux ?
-C'est un peu de leur faute aussi. Mais bon... Il reviendront à la raison quand ils comprendront. Concluait-elle.
***
-Imam, bienvenue. Mes parents sont à l'intérieur. Entrez. Dit Bashir.
-Comment tu vas mon fils ? Et la famille ?
-Tout le monde va bien. Je suis désolé de vous déranger autant mais c'est un cas de force majeure. Vous êtes mon seul espoir pour faire entendre raison à ma mère.
-Je t'ai dit que tu ne devais pas t'excuser pour ça. C'est mon devoir et je le fais avec plaisir.
Assa la Moualeykoum Wa Rahmatullah. Salue-t-il en tapant à la porte après avoir enlevé ses chaussures.
-Wa Aleykoum Salam Wa Rahmatullah. Imam ? Faye, Faye. Répond Pa Malado.
-Imam, Faye. Reprend Marietou en se levant pour faire une genuflexion devant lui.
Une longue série de salutations et de demandes de nouvelles s'en suivirent puis une discussion portant sur la mosquée, les jeunes et la vieillesse.
-Serigne Malado, hier soir, ton fils est venu me voir pour me parler d'un problème.
-Un problème ? Amadou, quel problème peux-tu avoir ?
-Le problème concerne sa mère. Poursuit Imam.
-Moi ? Demande Marietou.
-Oui. Amadou m'a dit qu'il vous a parlé de son souhait d'épouser une femme et vous avez refusé de lui donner votre accord pour qu'il le fasse, surtout toi Soxna Marietou. Je lui ai dit que j'allais moi-même porter mes chaussures et venir vous parler.
-Amadou, man ngay diakhasse ak adina ? Tu veux me faire passer pour la méchante ? S'énerve sa mère.
-Soxna ci, par respect pour l'imam, je te demande d'écouter ce qu'il a à dire avant de t'en prendre à Amadou.
-Je ne serai pas long, ce qu'il s'apprête à faire n'est pas du tout interdit par la religion. Mais ça vous devez sûrement le savoir. Amadou est assez grand pour savoir ce qui est bien ou non pour lui. Personne ne peut décider à sa place. Certes, les parents ont leur mot à dire mais la décision finale lui revient. Que la jeune femme soit française, américaine, indienne ou chinoise, l'essentiel c'est qu'ils s'aiment pour Allah et cela sera concrétisé conformément à la religion. Quand deux jeunes sont fous amoureux, le mieux c'est de les marier le plus tôt possible avant que l'irrecuperable ne se produise. Soxna Marietou, met de l'eau dans ton vin. Si seul le bonheur de ton fils compte, soutiens-le dans ce projet pour la cohésion et l'unicité de la maison.
-Imam, tu as tout dit. Mashallah que Dieu vous garde près de nous. J'ai tout fait pour qu'elle accepte, hélas je n'y suis jamais arrivé. Prions pour qu'elle vous écoute.
-Je voulais juste le meilleur pour Amadou. Je ne veux pas qu'il fasse un mauvais choix.
-Les européens ne sont pas tous mauvais. Ils peuvent mettre au monde des érudits, il y a des épouses modèles parmi elles. Et j'espère que celle qu'Amadou a choisi en fait partie. C'est à vous de lui montrer le chemin à prendre nles prédécesseurs guident ceux qui viennent d'arriver.
-Imam, sa dieum dji mo takh, pour toi je vais accepter cette union.
-J'aurais préféré que ce ne soit pas grâce à moi mais puisqu'en fin de compte, tu as compris: Alhamdoulilah (Grâce à Dieu).
Après moult conseils, ils demandent la route et c'est Bashir qui le raccompagne.
-Imam, Amouma sa fay. Je ne peux te rembourser ce que tu viens de faire pour moi. Barakallahu Fikr (merci beaucoup ).
-C'est normal fils. J'aimerai aussi que tu viennes me revoir mais cette fois avec ta fiancée pour que je vous parle à tous les deux.
-Inshallah. Je le ferai dès que possible. Dieundeul fi gouro imam, khep nako torop. Achète de la cola avec cette petite somme.
-Matouko wone deh. Ce n'était pas la peine. C'est comme si je l'avais fait pour que tu me donnes des sous.
-Je n'ai jamais pensé ça.
-En parlant de cola, va tout de suite en acheter pour demander pardon à tes parents. N'oublie pas que tu auras toujours tort devant eux. Présente des excuses à ta mère, ça lui fera plaisir.
Ils sortent ensemble et Bashir fait ce que lui a recommandé le sage.
Il venait de remettre la cola à ses parents, assis à leur pied, il avait demandé pardon et dit qu'il était content du changement d'avis de sa mère. Les yeux baissés, en silence, il attendait un commentaire de sa mère.
-Je te pardonne Amadou.
-Merci Maman. Si tu savais comme je suis content aujourd'hui.
Elle émet un sourire crispé. Il sort de la chambre, béat.
-J'ai perdu une bataille mais pas la guerre. Qu'elle vienne vivre ici, je lui ferai vivre l'enfer sur terre. Elle va s'enfuir en laissant ses chaussures. Jure Marietou Rachelle Dia.
***
-Au moins, toi, tes parents ont fini par te comprendre. Sort Yolande émue, le dos collé au torse de Bashir.
-Hé, ne sois pas triste. S'il faut que je retourne chez toi pour leur parler,je le ferai.
-Ils sont retournés en France Sunshine. Mon oncle curé me l'a dit. Mon père ne supportait plus de vivre au Sénégal à cause de mon souvenir. Ils sont partis.
-Je ferai le voyage si nécessaire. Babe, pour te voir sourire je ferai tout sans exception.
-Je perds de plus en plus espoir les concernant.
-Ne parle pas comme ça voyons.
Il donne un bisou sur son cou. Elle se retourne pour l'embrasser assis sur lui. Bashir la fait basculer pour se mettre sur elle.
-Tu es si belle. Dit-il la voix grave.