-Je suis médecin. Dit-elle avant de descendre. Si vous avez des bobos, venez me voir. Elle rit mais constate que son interlocuteur reste de marbre.
Merci, dit-elle honteuse.
Il hoche la tête avant de s'en aller, laissant une traînée de fumée derrière lui.
-Quel caractère ! Dit-elle en sortant son badge de son sac à main.
Le soir, de retour à la maison, elle prit le risque de visiter l'agenda de son père pour avoir le numéro de Bashir. Une fois en poche, elle sort sur la pointe des pieds regagner sa chambre.
Après maintes hésitations et réflexions sur comment entamer la conversation, elle lance l'appel le coeur qui bat.
-Bonsoir. Heu... Amadou Bashir Niane ?
-Oui, c'est bien lui. Qui est à l'appareil ?
-C'est Yolande. La fille du Capitaine Dupuy. Je voulais vous remercier de nouveau pour le service de cet après-midi. J'ai vraiment apprécié votre geste. Et je m'excuse si je vous ai vexé avec ma dernière phrase.
Elle l'a dit d'un trait, sans respirer. Comme un bon élève qui récite une leçon, apprise par chœur.
-Vous n'auriez pas dû vous déranger mademoiselle. Je l'ai fait avec plaisir et ne vous excusez pas, vous n'avez rien dit de déplaisant.
-Vous me rassurez. En fait...
-Je dois vous laisser, je suis très occupé.
-Oh. Au revoir alors.
"Quelle sotte" dit-elle en tapant nerveusement le téléphone sur le lit. Elle comprit que c'était une très mauvaise idée de l'avoir appelé et regrettait beaucoup. Elle décida de déchirer la feuille qui contenait son numéro et de supprimer l'appel.
Cette nuit-là, elle dormit en rêvant de lui. Celle-là et toutes les autres nuits qui ont suivies.
Elle vivait avec cette étincelle, ces pensées peuplées par cet homme noir. Elle voulait le revoir, entendre de nouveau sa voix, même si c'est pour cinq minutes.
Alors qu'elle perdait espoir, elle l'a trouvé un matin dans son bureau, à la pédiatrie. Il était assis sur sa chaise, avec sa tenue qui lui allait tellement bien. Comme si ce bureau lui appartenait, feuilletant quelques pages de bouquins et magazines.
Elle avança, muette et s'assit sur la chaise en face de lui. La longue table faisait office de barrière entre eux. Yolande voulait qu'elle la protège de lui, de cette attirance qu'elle a pour lui, pour ce charme qu'il dégage sans être un dieu grec, pour cette belle barbe qui orne son visage sans qu'il soit arabe... C'était une torture, décidément. Il savait qu'elle était là mais continuait de lire quelque chose qui semblait important, les doigts sur la page. Ce qui fit dessiner les muscles de ses bras à travers le tissu de la tenue.
-Bonjour Yolande. Dit-il soudain en refermant le livre.
Elle manqua de sursauter. Puis se rendit compte que l'appellation mademoiselle était à la poubelle.
-Bonjour Bashir. Répond-elle cachant son trouble.
-Je suis là depuis 7 heures car j'ai un bobo.
Elle ouvre d'abord grand les yeux avant d'éclater de rire.
-Tu es médecin non ?
-Pour enfants, je précise.
-En tout cas, j'ai besoin de soins.
-Pas de soucis, je vais te mettre en rapport avec un généraliste très sérieux qui pourra t'aider.
-Non, si ce n'était que cela, je l'aurai réglé depuis longtemps.
-Je ne comprends pas alors ce que tu veux.
Il se lève et elle fait pareil sans comprendre pourquoi. À petits pas, il se rapproche. Yolande soutient son regard vu qu'il n'est pas trop grand. Il le dépasse d'une dizaine de centimètres. Il saisit ses doigts puis sa main entière pour la faire monter jusqu'à sa poitrine, à gauche.
-J'ai un bobo à ce niveau. Murmure Bashir. Il bat si fort quand je pense à toi. Tellement mais tellement fort. Tu n'as même pas idée. Il ferme les yeux en bougeant la tête.
Yolande a oublié de respirer en l'entendant parler ainsi avec tellement de douceur, de sincérité, de pureté. Elle avale sa salive bruyamment et continue de le regarder.
-J'étais quelqu'un d'autre ces derniers mois. Je ne sais pas ce que tu m'as fait. Je n'ai même pas envie que ça disparaisse. Dis-moi juste que je ne suis pas le seul à ressentir ça.
-Bashir... S'il te plaît. Dit-elle en soufflant.
Elle recule, le contourne pour s'asseoir sur la chaise qui lui est propre.
-Arrête de dire des bêtises. Elle se tient le front en baissant la tête.
-Des bêtises ? Je n'ai pas laissé mon travail en suspens pour venir faire ça, des bêtises. Je suis sérieux, Yolande. Tu me plais et je te veux.
-Tu es resté durant tous ces mois silencieux. Sans prendre de mes nouvelles, sans donner signe de vie. Et un bon matin monsieur dit qu'il veut m'avoir dans sa vie. À d'autres s'il te plaît.
Il la rejoint pour l'aider à se lever et lui prend les deux mains.
-Ce qui compte c'est ce que je te dis. Ne te réfère pas au passé. Regarde moi Yolande, non... Ne dis rien. Tu as créé un séisme ici, tu as réveillé un volcan dans mon coeur. Entretiens-le. Prends en soin. Tu es mon...mon évidence.
Son coeur à elle se gonfle. Elle ferme les yeux en sentant ses lèvres près des siennes. Ce moment, c'est tout simplement la réalisation de son rêve, la concrétisation d'un souhait qu'elle a maintes fois confié au Petit Jésus.
-Yoyo, ma puce, tes patients te réclament, crient une voix féminine en entrant. Une entrée qui occasionne le détachement des deux "amis".
Heu... Désolée. Je repasserai plus tard.
-Non Ndella. Reviens.
Elle s'approche en saluant le gars qui avait ses mains dans ses poches.
-Je te présente Bashir, Bashir c'est Ndella. Introduit-elle la voix tremblante.
-Enchanté (e) disent-ils en choeur.
-Je vais y aller. Décide-t-il. Tu as du travail. Tu me raccompagnes ?
-Ok. Elle retire un mouchoir en papier du paquet qu'elle avait dans son sac avant de marcher derrière lui, laissant son amie souriante car elle a compris ce qui se passait.
Arrivés là où il a garé son auto, il monte non sans lui avoir fait un bisou long, très long sur la commissure des lèvres. Générant un torrent d'émotions dans tous le corps de la pédiatre.
-À ce soir Yoyo. Il sourit sarcastiquement et démarre.
* * *
-On a du travail Ndella. Insiste Yolande face à son amie qui réclamait des explications.
-Tu n'iras nulle part tant que tu ne...
-Ok oui c'est lui. Tu es contente ?
-Il est venu te draguer ?
-Je ne dirai pas ça comme ça. En tout cas, il allait m'embrasser si tu n'avais pas ouvert la porte.
-Je l'ai remarqué. Et maintenant ? Qu'est-ce que tu comptes faire ?
-Je ne sais pas Ndella. J'attendais ça depuis longtemps et maintenant que ça arrive...bof, je suis perdue.
-Heureusement que tu n'as pas accepté la proposition du fils de l'ami de ton père. Ce Roblochon je ne sais quoi.
-C'est Phillipe Poncho. Je te dis une chose, il s'en est fallu de peu pour que j'accepte. Ça fera plaisir à mon père mais...
-Ton sénégalais détient la clé de ton coeur. Termine sa collègue. Écoute le Yoyo. La décision finale te revient. Mais laisse le te charmer, tu verras que mes compatriotes savent aussi s'occuper d'une femme.
Elle sourit puis sort entamer son travail. La tête ailleurs durant toute la journée.
Le soir, alors qu'elle discutait avec son père dans le salon, son téléphone sonne. Elle s'excuse pour aller répondre dans sa chambre.
-Allô. Bonsoir Yolande.
-Bonsoir. À qui ai-je l'honneur ?
-Bashir. Tu as oublié le son de ma voix si vite ?
-...
-Ça va ? Tu as passé une bonne journée ?
-C'était pas mal. Et la tienne ?
-Je n'ai cessé de penser à toi. Tellement que je devenais étourdi.
-Ne me perturbe pas, je t'en prie.
-Ce n'est pas mon intention. Je dis juste la vérité.
-Bashir, qu'est-ce que tu veux ?
-Tu le sais déjà.
-Je vais te demander de me donner du temps. J'ai reçu beaucoup d'informations aujourd'hui. Tu me brusques sans le savoir et c'est déstabilisant.
-Ok, je comprends.
-Laisse moi intégrer tout ça et si ça donne du positif, je te contacterai.
-J'ai une chance. Répond s'il te plaît.
-Je ne sais pas. Elle raccroche doucement puis se couche les larmes aux yeux.
C'était la deuxième fois qu'elle tombait amoureuse. La première, elle s'était tellement cassé la gueule qu'elle ne veut pas revivre cela. Elle ne sait pas donner 50%, elle y va à fond quand elle aime et c'est quelque chose qu'elle voyait comme un danger.
Quelques temps après, Yolande trouvait absurde de retarder cette imminente relation avec Bashir. Elle voulait profiter de ce cadeau que la vie lui offrait avant qu'il ne lui échappe. Il est vrai que Bashir a été patient, pas de messages, pas d'appels, pas d'irruption dans son bureau. Une autre preuve qu'il tient à elle et respecte son choix. C'est la raison pour laquelle, elle l'a une fois appeler et ils ont discuté durant 3 tours d'horloge. Faisant connaissance, se confiant sur leur vie respective, discutant de leur métier, de leur famille, de la société entre autres... Tout cela sans parler de leur sentiment l'un envers l'autre.
Un jour suivant, au détour d'une conversation téléphonique, Bashir a relancé le débat et elle a donné son accord pour essayer. Il était très heureux. Et elle, encore plus.
Leur relation était exemplaire et le parisien Poncho était aux oubliettes au grand dam du sieur Éric et de sa mère Barbara. Ils voyaient leur fille plus que jamais rayonnante sans soupçonner qu'elle était amoureuse d'un noir, d'un sénégalais. Mettant cela sur le compte de son travail qui est une passion.
Yolande adore les enfants et aime faire du social. Voilà pourquoi, elle a toujours refusé que son père l'aide à ouvrir une clinique privée. Elle disait ne plus pouvoir être si proche de ces anges malades mais tellement attachants. Son surnom, c'était docteur Yoyo. Partout dans l'hôpital, même les parents l'appelaient ainsi.
Bashir était plus tard dans les navires. Très souvent. Donc, il voyait de moins en moins Yolande et communiquait très difficilement avec elle du fait des aléas du réseau. Il revenait une fois tous les mois, pour un week-end et c'était dur de partager ces deux jours avec sa famille et sa dulcinée toubab*.
Yolande était très compréhensive avec lui et l'aidait moralement et psychologiquement. Il avait trouvé des qualités et une hygiène de vie rares chez son Marin. Sa sensibilité était ce qui lui plaisait le plus. Puisqu'il a vécu des choses inimaginables dans l'apprentissage de sa fonction. Elle a été la première à découvrir les atrocités qu'on lui a fait vivre il y a quelques années. Il a énormément appris de la vie et ça a changé sa façon de faire, à jamais.
Ils étaient les meilleurs amis du monde.
Bashir, quant à lui adorait son humanisme et son amour pour son travail. Elle avait une bonne éducation et était si humble...
Un an de vie commune lui a suffi pour lui demander sa main.
Yolande venait de recevoir des mains d'un livreur un gâteau et une petite boîte emballée. Elle défait les ficelles et l'ouvre. Grande fut sa surprise en voyant dessus: "Deviens mon épouse Erika". Elle se tient la bouche pour éviter de crier. Elle saisit la boîte pour savoir ce qu'elle renferme et y trouve une bague. Pas n'importe laquelle. Celle en argent que Bashir porte toujours et qui contient ses initiales. C'était même plus beau que n'importe quel autre bijou en or ou en diamant.
Oui elle était émue. Pour cette demande, pour cette attention. Pour tout ce qu'elle vit avec son Bashir.
Elle appelle Ndella afin qu'elle soit témoin de ce que son homme vient de faire pour elle.
-Ne pleure pas ma cocotte. Félicitations, tu le mérites vraiment. Allez, viens t'asseoir.
-Je suis si heureuse Ndella.
-Si toutefois tu doutais de l'amour de Bashir, aujourd'hui sois certaine qu'il n'aime que toi.
-Je n'ai jamais douté de son amour Ndella. Au contraire ! C'est le... Paradis avec lui. Je l'adore.
-Vous êtes si mignons que vous me rappelez mon couple avec Mamour, avant qu'on ne se marie.
Mais Yoyo, je suis assez inquiète. Tu es prête à franchir le cap ?
-Bien sûr. Je suis plus que prête.
-Le mariage, au Sénégal c'est très compliqué. Il y a des choses qui se cachent derrière et que tu ignores.
-Je serai endurante, persévérante et gentille avec tout le monde. Et puis, tu seras là pour me conseiller si besoin.
-Oui, tu pourras compter sur moi. Mais Yolande, ce ne sera pas juste entre Bashir et toi. Tu te maries avec les gens de sa famille, ses amis, ses proches. Bref avec tout le monde. Il faut être forte mentalement et savoir se taire quand il faut mais aussi et surtout obéir à son mari et savoir bien s'occuper de lui. L'amour seul ne suffit pas. Tu comprends ?
Elle hoche la tête en l'écoutant lui dévoiler tout ce que renferme le mariage sénégalais.
-Et tes parents Yolande ? Tu ne redoutes pas leur réaction ?
-Si mais mon père est très ouvert d'esprit et il mettra en avant mon bonheur. J'en suis sûre.
Son amie la regarde, un brin sceptique.
-Et la religion ?
-On en a déjà discuté et plusieurs fois, il accepte que je conserve ma religion mais nos enfants seront musulmans. Je suis très attachée à la mienne et il le comprend très bien.
-Heureusement qu'entre vous, il y a de la communication. Cultivez cela et vous serez tranquille.
-Maintenant, viens. Nous allons partager le gâteau avec les autres médecins. Dit-elle en prenant le carton.
Yolande et Bashir étaient assis sur le canapé du salon de Ndella. Bashir jouait à la play station pendant qu'elle était couchée de tout son long sur lui. En effet, lorsqu'ils voulaient se voir souvent, c'est Ndella qui les "hébergeait" en leur laissant une intimité mais juste dans le salon afin qu'ils puissent discuter sans être mal à l'aise.
-Dou, l'appelle-t-elle contre son cou.
-Hun ? Répond-il toujours concentré sur l'écran.
-Tu as parlé à tes parents ?
Il met sur pause et l'aide à se tenir correctement.
-On s'était dit que tu allais d'abord discuter avec les tiens avant que je ne leur en parle.
-Oui, je sais. Le problème c'est que... En fait, je voudrai qu'on y aille ensemble. Si nous sommes tous les deux, on aura plus d'arguments pour défendre notre couple. Et puis, j'ai besoin de ton soutien pour avoir du courage.
-Je pensais qu'il fallait que tu prépares le terrain avant que je n'entre en jeu. Je ne veux pas que ton père soit fâché parce que je suis venu lui parler sans que tu aies au préalable pris la peine de le prévenir d'abord. C'est plus respectueux.
-J'ai besoin que tu sois avec moi quand je leur parlerai. Pour que si ça se passe mal, tu sauves la situation. Tu sais convaincre les gens, tu es calme et patient, tu...
-Ok. Tu n'as pas besoin de me jeter des fleurs. Je viendrai demain, après le déjeuner.
-Demain. Ce n'est pas trop tôt ?
-Il va falloir que tu dises ce que tu veux réellement Erika. On ne le fera pas le mois prochain quand même.
-Ne t'énerve pas. Je suis juste stressée.
-Ça va bien se passer. Rassure-t-il.
Elle reprend sa place précédente en jouant avec les cheveux de sa barbe.
-Je t'aime. Dit-il en lui faisant un bisou sur la tête.
-Moi encore plus.
-Non, puisque je t'ai aimé en premier.
-C'est ce que tu crois. Murmure-t-elle.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Ils n'interdisent pas les barbes à la Marine ? Esquive-t-elle.
-Ne change pas de sujet Babe. Explique moi ce que tu as voulu...
Elle l'interrompt avec un baiser langoureux et plein de passion. Ils passent tous les deux leurs doigts sous la chemise de l'un et le t-shirt de l'autre. C'est Bashir qui ralentit d'abord avant de tout arrêter car il était un peu à l'étroit, au sens propre comme figuré.
Yolande refait ses cheveux dans un silence commun.
-Tu ne m'as jamais demandé plus. Pourquoi ? Demande-t-elle soudain.
-Je ne te demanderai plus que si tu deviens officiellement Mme Niane.
- Je ne sais pas si je pourrai refuser quand tu me le demanderas avant le mariage.
-Nous serons deux à résister à la tentation. Je te montrerai mon côté coquin le moment venu. Et je t'apprendrai tout ce que ma religion m'a fait savoir. C'est bon ?
Elle le regarde tendrement tout en caressant son menton avec son pouce.
-On rentre ?
Ils disent au revoir à Ndella avec des remerciements et des bisous puis chacun rentre chez lui, Bashir en bus et Yolande avec sa voiture.
* *
*
-Tu arrives pile à l'heure.
-Ça va ? Je suis présentable ?
-Tu es magnifique. Écoute, ils sont assis au salon et me trouvent mystérieuse mais j'ai tenu bon jusqu'à ce que tu arrives.
-Ok. Attends, avant qu'on y aille. Sache que peu importe ce qui se passe, on finira ensemble. Je ne te laisserai jamais.
Elle lui fait un smack et ils pénètrent le salon. Bashir lance un bonjour ensuite il donne la main à ses futurs beaux-parents.