Ça fait maintenant trois semaines que madame May nous a quittés. Elle me manque énormément. Et à Cassie aussi, même si elle ne veut rien laisser paraître. Depuis maintenant trois semaines, je viens m'occuper de ses fleurs, je la revois encore sur sa terrasse me dire que les fleurs égayent notre vie de leur doux parfum.
Je pousse un soupir et je continue à arroser les camélias, ses fleurs préférées. Elle était comme ma mère je me sentais bien auprès d'elle, avec son sourire avenant elle m'a fait me sentir en sécurité, comme je l'étais avec ma mère. Je me suis installée ici il y'a de cela trois ans , quand j'ai enfin eu le courage de quitter cet enfer. Une maison où tout est caché dans les apparences. Même le bonheur et l'harmonie familiale que nous montrons aux autres n'étaient que des illusions. Mon père est procureur général. Toute ma vie, j'ai vu ma mère se maquiller pour cacher les bleus qu'il laissait sur son corps.
Il n'était jamais satisfait, s' il pleuvait c'était de la faute de ma mère, si les nouvelles n'étaient pas bonnes c'était encore à cause d'elle. Puis il s'est mis à s'en prendre à moi à mes seize ans quand mes formes ont commencé à se faire voir, disant que je serais une traînée et une bonne à rien comme ma mère. Son préféré a toujours été Cameron. Cameron quant à lui n'a jamais essayé de nous aider, il était bien trop content d'être le fils prodige, l'homme de la maison où comme mon père aime l'appeler son digne héritier. Oui pour père les hommes sont supérieurs aux femmes en tout point. La place de la femme est derrière les fourneaux et au lit. Cassie était ma camarade au Lycée, un jour alors que je croyais me trouver seule dans les toilettes j'ai soulevé mon t-shirt pour voir l'état de mon abdomen et elle a poussé un cri d'effroi juste derrière moi. Je ne pouvais pas lui mentir, j'ai dû tout lui raconter. Nous avons enduré ça ma mère et moi coup sur coup, insultes, il y'a même une fois où il m'a brûlé avec un mégot de cigarette sur le dos. Bien que celle-ci faisait toujours tout pour m'éviter le plus possible de prendre des coups.
Et puis un jour ma mère est morte. Traumatisme crânien, il lui avait porté le coup de trop, le coup fatal. Pendant son enterrement, je le revois jouer le mari abattu, celui-là qui est effondré. Ça m'a dégoûté, je voulais hurler au monde que c'était lui qui l'avait tué, qu'il nous battait toutes les deux, que c'était un porc. Et d'ailleurs je l'ai fait, mais personne ne m'a écouté, ils ont tous dit que c'est la perte de ma mère qui me mettait dans cet état. Ils m'ont injecté un calmant et à mon réveil, il était là, debout au-dessus de moi à me regarder, un regard rempli de rage. Et avant que je n'ai eu le temps de comprendre ce qui se passait il m'a asséné un coup, puis le deuxième encore et encore, me reprochant de n'être qu'une ingrate et de vouloir ruiner sa carrière. Il m'a tiré par les cheveux, j'ai hurlé de toutes mes forces. Il a frappé ma tête sur le rebord du lit. Je sentais le sang couler le long de mon front. Il a appelé Cameroon pour venir voir comment on traite les putes dans mon genre. Mon frère s'est contenté de regarder mon père me cogner dessus, sans rien faire. Il a presque failli me tuer ce jour-là . On a fait venir un docteur je ne bougeais plus, couchée dans mon lit, j'en voulais à ma mère de m'avoir abandonné elle ne vivra plus cet enfer, je le subissais toute seule maintenant.
Et puis là, j'ai compris, j'ai compris que si je restais là j'allais finir par mourir comme ma mère. Il fallait que je parte, loin, très loin de là. Alors un soir quand tous n'étaient pas là j'ai fait mon sac, pris toutes mes économies et je suis partie. J'ai appelé Cassie qui s'est fait un plaisir de me recevoir dans sa petite maison à Brooklyn. Et je suis là depuis plus de trois ans, mon père et mon frère sont morts à mes yeux. Je bosse comme serveuse dans un pub du coin. Je me suis décidée à changer. La Mika d'aujourd'hui ne se laisse plus faire, plus personne ne la rabaisse, ni ne l'insulte ou encore moins ne la frappe. Avant j'étais timide et renfermée, je le suis toujours, sauf que maintenant je me bats pour avancer. Alors je joue à la fille sûre d'elle. Vivre avec Cassie est vraiment une chance pour moi. Je lui dois ma nouvelle vie. Elle était là chaque nuit quand je faisais des cauchemars, ou quand je ne trouvais pas le sommeil. C'est encore mieux qu' on n'a pas besoin de payer un loyer alors j'économise mon argent pour pouvoir réaliser mon rêve. J'ai repris le nom de jeune fille de ma mère, je suis quittée de Mika PARKER à Mika EVANS. J'entre dans la maison pour m'assurer que tout est en ordre, j'aperçois une photo sur la table avec trois personnes enlacées souriantes, madame May adorait cette photo. Elle disait qu'il s'agissait de son neveu Brad et de sa nièce Meredith mais à chaque fois que je lui demandais où ils étaient, son visage s'assombrissait. Alors je laissais tomber. Jusqu'au jour où j'ai découvert que son neveu Bradley était incarcéré dans une prison fédérale et que malheureusement j'ai dû lui écrire une lettre pour lui annoncer le décès de sa tante. Lettre à laquelle je n'ai jamais eu de réponse. Je me mets à caresser le visage de celui que je crois être Brad, il a un magnifique sourire, ses yeux sont rieurs, ses cheveux sont d'un brun couleur corbeau et ses fossettes...
Tout à coup, quelqu'un me saisit par la taille je veux crier mais une main se pose sur ma bouche. Saisie de peur, je lâche le cadre qui se brise à mes pieds. Cela me rappelle d'horribles souvenirs. Quand mon père me battait. Il le faisait toujours. Et puis il apparaît là devant moi. Le Bradley de la photo, le marron de ses yeux est plus clair que je ne le pensais, ses cheveux ont l'air doux on a envie d'y passer ses doigts et il me dépasse au moins de deux têtes. Sauf que, cet air innocent et rieur qu'il affiche sur la photo ont disparu. Il a énormément changé je lui donnerai trente-quatre ou trente-trois ans.Et son corps, sur la photo il était fin. Mais là il est tout en muscle, je crois même apercevoir un tatouage. Et ses lèvres, il se passe la langue dessus et je me surprends à vouloir faire la même chose pour savoir quel goût elles ont. Il se baisse pour ramasser le cadre.
- Qui êtes-vous ? Me demande t'il.
Je le regarde, amusée comment veut-il que je parle avec cette main sur la bouche ? Alors je fais quelque chose que je n'ai pas fait depuis longtemps je me mets à rire. Je rigole tellement que le mec derrière moi me lâche et là je rigole de plus belle. Puis soudain je m'arrête. J'ai en face de moi deux magnifiques spécimens. L'autre est aussi blond que son ami est brun, le blond retire ses lunettes. Il a de magnifiques yeux bleus, il est aussi grand que son ami et tout en muscles.
Tout en eux respire le danger, l'interdit. Non mais on devrait interdire à des gars comme ça de sortir. Tout simplement parce qu'être aussi beau c'est complètement injuste vis à vis de créatures aussi faibles que moi. Le blond me sourit. Je le regarde un instant fascinée par le bleu des ses yeux. Il a un regard doux, presque tendre. Je me perds un instant dans cet océan. Bradley continue de me fixer, son regard n'est pas aussi séducteur que celui de son ami, il me regarde avec animosité, voire même de la haine.
- Je suis Mika EVANS...
Le regard de Bradley s'illumine de curiosité.
- C'est vous qui m'avez fait parvenir la nouvelle à propos de son décès ?
- Oui. Elle m'avait dit où vous joindre. Alors je l'ai fait.
Il baisse les yeux et secoue la tête pour dire oui. Je vois son regard s'assombrir.
- Cela n'explique en rien ce que vous faites ici.
- Je suis venue arroser les fleurs de Madame May. Cassie et moi venons en prendre soin tous les jours.
Ses yeux s' embuent, on dirait qu'il veut pleurer.
- Vous étiez avec elle quand elle est...
- Oui. Nous étions avec elle jusqu'au bout.
- Est-ce qu'elle a souffert ?
- Le traitement qu'elle suivait était beaucoup trop fort pour elle. Alors elle était souvent très fatiguée.
Il se tourne comme pour ne pas qu'on puisse le voir. Il est triste, ça se voit qu'il tenait à elle. Moi je n'ai passé que trois ans près d'elle, alors lui qui a vécu toute sa vie avec elle je n'imagine pas sa peine. J'ai envie de le serrer dans mes bras pour lui donner un peu de réconfort. La perte d'un être cher fait toujours très mal.
- Mika pourquoi tu...
Cassie apparaît devant la porte restée entrouverte et s'interrompt quand elle voit les deux hommes. Elle lance un regard brûlant et demande:
- Mais qui sont ces deux beaux spécimens ? Je me racle la gorge et lui dit qu'il s'agit du neveu de Mme May, elle s'emporte.
- Comment ? Cette pauvre femme est restée ici toute seule durant sa maladie, elle n'avait aucune visite et aujourd'hui qu'elle est morte vous revenez comme si de rien n'était. Non mais vous ne manquez pas de culot. Je tire sur la chemise de Cassie pour lui demander de se taire mais il est trop tard elle a dit ce qui ne fallait pas. Je vois son regard s'assombrir, il s'avance vers ma meilleure amie d'un air menaçant, Cassie se rembrunit, elle comprend trop tard qu'elle vient de dire ce qui ne fallait pas. Elle a peur et moi aussi.
- Sortez tout de suite d'ici nous ordonne t'il.