La véritable histoire d'Adam et Ève, et autres nouvelles inconvenantes
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Chapitre 3 No.3

La chasse du colonel

À mon camarade et complice Georges Rivieccio et à la charmante Bernadette, qui n'ont d'autre point commun avec les personnages de cette histoire que leurs prénoms.

Georges ne serait-il pas colonel ?

Ah, si... Tant pis !

Georges arrêta son Range Rover derrière le vieux Pajero de ceux qu'il dénommait « les deux crétins » lorsqu'il parlait d'eux avec Bernadette. Le plus grand des deux, Alfred, le chef naturel de l'équipe, maigre, doté de longs bras qui lui donnaient une allure simiesque, et d'un air de faux témoin à faire douter de sa virginité une chaisière de Notre-Dame, vint à sa hauteur et lui dit :

- Passez d'vant, M'sieu, j'vais voir quéqu'un dans l'village. Y en a pas pour longtemps, j'vous rattrape. L'embranchement de la piste est à un kilomèt' à gauche, après, v'z'allez jusqu'au bout, environ trois kilomèt' encore, et là vous v'rez, la piste d'vient plus large. V's'y faites d'mi-tour et vous garez en marche arrière. C't'un cul d'sac. On arrive.

Le second crétin, Justin, petit et râblé, affligé d'un strabisme divergent qui lui donnait l'air de ne jamais rien comprendre et de toujours regarder ailleurs, était resté au volant du véhicule, placide, silencieux et obéissant comme à son habitude.

Georges, avec un sourire, acquiesça et redémarra. Bernadette, sa femme, à son côté, fut légèrement surprise de son attitude mais garda le silence. Depuis quelque temps, Georges lui paraissait un peu étrange, inhabituel plutôt, sans qu'elle puisse déterminer la cause de ce changement, quasi imperceptible. En était-ce d'ailleurs vraiment un ? Depuis qu'il avait pris sa retraite, Georges se consacrait à la chasse, loisir qu'il avait toujours aimé, même si, à l'époque de son activité professionnelle, ses rares moments de liberté ne lui avaient pas laissé l'occasion de s'y adonner autant qu'il l'aurait voulu. Il se rattrapait. Comme elle-même chassait, elle ne se plaignait pas de la marotte, y trouvant son compte. Ils partaient là tous deux au chamois, et Georges avait engagé les deux crétins comme guides ; il les avait rencontrés dans quelques chasses précédentes et les avait chargés de préparer le week-end dans tous les détails, conformément à ses ordres. Ces deux individus, aux activités assez floues, étaient guides de chasse occasionnels, parfois voleurs, souvent braconniers, toujours malhonnêtes ; Georges n'avait pas plus d'illusions sur eux que sur le reste de l'humanité.

Il avait conservé de sa carrière d'officier l'habitude de donner des ordres clairs et d'en contrôler la stricte exécution ; il jaugeait sans hésitation ni erreur les hommes, et s'adaptait à leur niveau sans rien perdre de son autorité naturelle. Il ne renonçait jamais à ses objectifs ni ne s'en laissait jamais détourner par un subalterne. De grande taille, mince - jeune il avait été mince à en être presque maigre, de cette maigreur vigoureuse et musclée des hommes qui luttent – il avait été qualifié par son colonel, alors qu'il était encore capitaine, de « jeune officier épais comme un ketam et méchant comme une teigne », le ketam étant en indochinois, comme chacun sait, un cure-dents. Passé cinquante ans, il avait pris quelques kilos, les épaules un peu plus épaisses, le cou un peu plus large, sans rien perdre de sa vigueur ; il avait gardé le cheveu court et dru sur sa tête ronde ce qui lui donnait un air assez juvénile malgré son âge. À soixante ans sonnés, il était resté vif et avait gardé le souci de sa forme, de son endurance et de sa force ; sportif depuis toujours par plaisir et par obligation, il poursuivait son entraînement quotidien au cross, au vélo et, l'hiver, au ski de fond comme au ski de piste. La chasse participait à son maintien en bonne santé, bien qu'elle l'entraînât parfois à quelques petits excès de bouche avec ses amis.

Bernadette était sa compagne depuis la sortie de l'école des officiers ; elle l'avait suivi dans toutes ses garnisons, tenant son rang avec une gentillesse naturelle qui la faisait aimer de tous et de toutes, ou presque. Petite, mince en son jeune âge, devenue un peu trop grasse avec le temps, elle avait cette conscience innée de son devoir de femme d'officier que l'expérience confirme. Mais sous son air débonnaire de ronde, elle montrait une grande force de caractère et savait être cassante si nécessaire. Réaliste et volontaire, elle observait beaucoup et se trompait rarement. Deux enfants, désormais adultes, avaient été élevés par elle plus que par leur père, absent chronique que diverses missions avaient appelé en Afrique, en Asie, et autres lieux, pour des durées parfois longues. Elle restait bonne vivante, même si l'âge et le départ des enfants l'avaient rendue parfois un peu difficile à vivre, sans que pour autant elle soit devenue insupportable. Blonde Lorraine aux yeux verts, elle avait la ténacité de sa race, une grande intuition et connaissait les vertus du silence. Son habitude de diriger la maison lui avait donné une autorité domestique que Georges ne lui avait jamais contestée, sachant qu'il ne faut pas intervenir dans un système qui fonctionne bien, surtout quand on n'est pas à même d'en assurer la direction permanente.

Cette autorité était devenue tout de même un peu pesante à Georges depuis qu'il avait pris sa retraite. Heureusement il y avait la chasse, mais elle ne dure pas toute l'année... et Josette, mais cela, Bernadette ne le savait pas.

Josette était une femme d'une quarantaine d'années, brune et vive sportive qu'une pratique régulière du tennis avait musclée ; elle montrait une permanente bonne humeur qui cachait un sale caractère dont tous ceux qui s'opposaient à elle faisaient les frais. Divorcée, elle avait été brutalement évincée de la vie de son mari par le désir de celui-ci de se marier à nouveau avec une grande gourde, stupide, blonde et fade. Elle n'avait pas résisté, préférant employer toute son énergie à lui extorquer le maximum d'argent et d'avantages avec l'aide d'un avocat habile. Pressé de rejoindre sa nouvelle dulcinée, l'animal avait consenti à tout, prouvant par son attitude que l'homme pense souvent sous la ceinture. Si la perte du mari ne l'avait guère désespérée, celle d'un haut niveau de vie l'avait chagrinée et elle avait eu à cœur de se trouver des compensations. Le protocole d'accord avait fourni la matérielle et elle savait que sa beauté lui procurerait les satisfactions érotiques souhaitables. Déjà à l'époque de son mariage, elle n'avait jamais hésité à s'offrir un mâle qui lui plaisait. Georges était devenu son amant un peu par hasard et, s'il avait parfois envie de vivre avec elle, il savait que cette perspective lui était fermée, la dame n'ayant nulle envie de se lier à nouveau à un homme, d'autant qu'un remariage la priverait des subsides de l'ex-mari. Bref, elle appréciait Georges, qu'elle n'hésiterait pas à remplacer dès que l'envie lui en viendrait. Georges le savait.

Georges reprit la route, trouva le chemin, fit le demi-tour prescrit et s'aperçut sans surprise que le second véhicule viendrait lui interdire le départ une fois garé lui aussi en marche arrière. Cela le fit sourire. Tout s'enchaînait comme il l'avait pensé. Il sortit de sa voiture, aida Bernadette à descendre, puis ouvrit le coffre pour en extraire les sacs à dos, les fusils et leur matériel de chasse et de bivouac, heureusement restreint puisque les deux guides devaient se charger de l'essentiel. Quelques minutes plus tard le second 4X4 arriva, fit demi-tour et bloqua celui de Georges... comme prévu. Bernadette fut là aussi surprise de la passivité de son mari. D'un naturel méfiant, il devait à son métier d'avoir accentué ce trait de son caractère, qui s'était conservé intact malgré la retraite. Il n'était pas dans son comportement habituel de se laisser enfermer ainsi, sans chemin de repli ni échappatoire. Sa femme haussa les épaules, mouvement qui n'échappa pas à Georges, et pensa que son homme vieillissait, comme tout le monde...

Alfred et Justin sortirent de leur véhicule et se chargèrent de tout le nécessaire de campement ; tous les quatre se mirent en colonne, Alfred en tête, pour gagner une clairière environ deux cents mètres plus loin. De là, avait expliqué ce bon Alfred, ils se porteraient demain bien avant l'aube en lisière de bois d'où ils pourraient aisément tirer les chamois, ceux-ci ayant l'habitude de descendre du col à l'aube. Ils auraient environ deux heures de marche à cadence soutenue puis une demi-heure environ de mise en place silencieuse et précautionneuse. Justin, décidément le chaouch1du groupe, prépara un petit feu dans un rond de cailloux déjà en place et noirci de feux précédents. On était en pays connu, tout au moins les guides l'étaient. Les deux petites tentes montées, un frugal repas avalé, la nuit tombée, une conversation laborieuse s'établit, qu'habilement Georges orienta sur la chasse, sujet sans danger aucun, puis sur les armes, les habitudes de tir, les munitions... Bref, le pain commun de tous les chasseurs.

            
            

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