« Tu es mon univers, Amandine. La Maison Colin a besoin de toi, et moi, j'ai besoin de mon épouse. »
J'ai su qu'il était en train de construire son récit. Les mots étaient chargés d'un poids qu'ils n'avaient jamais eu. Je devais jouer mon rôle.
« Peut-être as-tu raison, Renaud, » j'ai dit, ma voix faible mais ferme. « Mais je ne suis pas encore prête à affronter Grasse. Ces murs... ils étouffent mon loup. »
Le souvenir de mon odorat perdu était une brûlure constante. J'avais besoin de temps, de solitude pour me reconstruire, pour orchestrer ma revanche.
« Je pensais... j'ai besoin d'un endroit où je pourrais me changer les idées. La Bretagne, peut-être ? Une thalassothérapie. Loin de tout. »
Il a froncé les sourcils. Une thalassothérapie. C'était loin, isolé. Idéal pour mes plans, mais cela le mettrait hors de son contrôle immédiat.
« Loin ? Mais, Amandine... j'ai besoin de toi près de moi. Et Maël... il commencera bientôt son adaptation. Tu seras une mère merveilleuse. »
Il a tenté de me manipuler avec la paternité de Maël, un enfant qui, je le savais, n'était pas le mien. La douleur a traversé ma poitrine. Mais je me suis accrochée à la rage froide qui m'animait.
« Près de toi, Renaud ? » j'ai répondu, ma voix teintée d'une tristesse feinte. « J'ai l'impression d'être un fardeau. J'ai besoin de retrouver mes forces, pour nous. Pour notre avenir. »
Il a hésité. Mon discours l'avait touché. Il fallait que je sois convaincante.
« Un avenir avec Maël, n'est-ce pas ? Il a besoin d'une mère forte. Je dois guérir pour lui. »
Le mot « Maël » était le sésame. Il a adouci son regard, l'ambition reprenant le dessus sur son inquiétude passagère.
« Tu as raison, ma chérie, » il a finalement dit, un sourire contraint sur les lèvres. « Je vais organiser ça. Une thalassothérapie. Ça te fera le plus grand bien. »
Je savais qu'il pensait pouvoir me contrôler même à distance. Il ignorait que chaque pas que je faisais me rapprochait de ma liberté.
Quelques jours plus tard, Renaud m'a emmenée dans un orphelinat immaculé, ses murs blancs criant la charité forcée. Les enfants jouaient, leurs rires emplissant l'air, mais mon cœur était lourd.
Puis, j'ai vu Maël. Un petit garçon aux cheveux châtains, avec les mêmes yeux perçants que Renaud. Il a couru vers mon mari, ses petits bras tendus.
« Papa ! »
Le mot a résonné dans la pièce, perforant mon âme. Renaud a pâli, ses yeux cherchant les miens, un éphémère éclair de panique.
« Maël, mon grand ! » Il l'a soulevé, riant trop fort. « C'est Amandine, elle va devenir ta maman. »
J'ai observé, le choc se mêlant à la confirmation de mes pires craintes. Leurs traits étaient si similaires. La même courbe du nez, la même expression déterminée.
« Il est si... grand pour son âge, » j'ai dit, ma voix étrangement calme. « Et si... expressif. »
Renaud a forcé un sourire. « Oui, un vrai petit homme. Il est orphelin, tu sais. Sa maman est... partie. »
« Il a le regard de son père, » j'ai murmuré, suffisamment fort pour que Renaud l'entende, mais avec une douceur qui le faisait douter de ma perspicacité.
Mon regard s'est posé sur Maël. J'ai respiré, essayant de me concentrer. Mon loup était mort, mais j'étais une parfumeuse. Mon cerveau avait été entraîné à décomposer les odeurs, même sans mon don. J'ai cherché des indices, des résonances. La même note de vétiver, de cèdre, que sur Renaud. La même signature olfactive. Le lien de sang était palpable, même pour mon sens diminué.
Maël a commencé à pleurer, s'accrochant à Renaud. « Maman... je veux Maman Christie ! »
Renaud s'est raidi. Son visage était livide. Il a jeté un regard furieux autour de lui, puis vers moi. La panique était réelle cette fois. Il avait peur que je comprenne.
Une étrange satisfaction a balayé mon cœur. Il était vulnérable.
« Chut, mon petit, » j'ai dit, ma voix pleine d'une fausse tendresse. « Maman Christie sera bientôt là. Tu es un garçon si courageux. »
J'ai vu Renaud se détendre, le soulagement inondant ses traits. Il croyait que je n'avais rien compris. Son arrogance était son talon d'Achille.
« Amandine a raison, Maël, » il a dit, sa voix forcée. « Maman Christie arrive. En attendant, tu veux aller jouer avec Papa dans le jardin ? »
Il a emmené Maël dans une petite cour attenante. J'ai attendu quelques minutes, puis j'ai discrètement suivi, me cachant derrière un grand buisson de roses parfumées. Mon cœur battait la chamade, non pas de peur, mais d'anticipation.
J'ai entendu des voix. Trois voix. La voix de Renaud, la voix de Christie, et la voix d'un autre homme.
« Comment va la petite ? » a demandé l'homme.
« Elle est brisée, » a répondu Christie, un ton jubilatoire dans la voix. « Son odorat est presque éteint. Elle ne se remettra jamais. »
« Et le plan pour Maël ? »
« Elle va l'adopter, » a dit Renaud. « Elle est si désespérée d'avoir un enfant. Elle ne se doutera de rien. L'héritage sera à nous. Enfin. »
Mon sang s'est glacé. Ils parlaient de moi. Ils riaient de ma douleur.
« Mais et si elle découvre... » a dit l'homme.
« Elle ne découvrira rien, » a tranché Christie. « Elle est trop naïve. Et de toute façon, elle sera trop faible pour faire quoi que ce soit. »
J'ai serré les poings, mes ongles s'enfonçant dans ma paume. Ils avaient planifié ma destruction avec une telle froideur.
« Je t'aime, Renaud, » a murmuré Christie. « Nous allons enfin être une vraie famille. »
J'ai entendu un baiser. Un bruit écœurant. Le monde autour de moi s'est écroulé. La trahison était complète. Mon mari, ma meilleure amie, mon fils. Tout était un mensonge.
Renaud a ri. « Pour la Maison Colin, ma chérie. Pour notre avenir. »
J'ai senti une force nouvelle monter en moi, une rage pure et froide. Ils pensaient m'avoir détruite. Ils allaient découvrir que j'étais une autre femme. Une femme qui allait se venger.