Chapitre 4 Chapitre 4

Stella arriva devant le comptoir avant même d'avoir repris son souffle.

- Je l'ai lavée ! lança-t-elle aussitôt. Elle est propre, vraiment.

Le vendeur, qui examinait déjà l'ourlet, releva la tête avec un ricanement.

- Lavée ? Pour quoi faire ? Vous l'aviez pour une seule journée. C'était pour un mariage, pas pour défricher un champ.

Ses joues s'empourprèrent. Elle revit sa course sous la pluie, la boue qui éclaboussait la route, le bas de la robe qui se gorgeait d'eau sale. Sa journée de noces avait eu des allures de chantier, et ses pieds en portaient encore la trace.

Le vendeur soupira et pinça le tissu du bout des doigts, comme s'il manipulait quelque chose de douteux.

- Même abîmée, cette robe doit aller au nettoyage à sec, mademoiselle. Vous savez à quoi ça correspond, j'imagine ?

Il la toisait ouvertement, se délectant de son embarras.

- Depuis l'ouverture de la boutique, on en vend tellement qu'on a rarement l'occasion de faire de la location... fit-il mine de s'apitoyer. Enfin, si on n'a pas les moyens d'en acheter une, à quoi bon se marier ?

Il n'eut pas le temps d'aller plus loin.

- Qui vous a dit qu'il fallait absolument une robe pour se marier ? lança une voix sèche qui claqua comme une porte.

Stella se retourna d'un coup. Liam venait d'entrer, le visage fermé, l'attitude glaciale. Il la rejoignit et glissa calmement un bras autour de ses épaules, comme si la scène était parfaitement maîtrisée.

- Vous proposez bien la location, non ? dit-il en désignant l'enseigne. Alors ne nous prenez pas pour des idiots.

La vendeuse, qui s'était fait plus discrète jusque-là, ouvrit la bouche, mais Liam l'interrompit d'un ton froid :

- Et vu ce que vous exposez ici, vous feriez mieux de rester modeste. Ce n'est pas la qualité qui vous étouffe.

Elle leva les yeux au ciel, excédée.

- Si vous êtes fauchés, dites-le franchement. Nous avons des pièces de créateurs, mais évidemment...

Liam la laissa parler, puis son regard se posa sur la robe mise en avant : une coupe sirène travaillée, rehaussée de fils dorés et de petites pierres qui accrochaient la lumière. Il resta un moment silencieux.

- Ça ne sert à rien de la contempler, lâcha la vendeuse, cinglante. Vous n'avez clairement pas les moyens. Mademoiselle, sincèrement, quelle malchance... si jolie, et mariée à quelqu'un qui ne peut rien vous offrir.

Stella se redressa aussitôt.

- Vous n'avez pas votre mot à dire sur ma vie ou celle de mon mari !

Liam cligna des yeux, surpris. Elle n'avait pas l'habitude de s'emporter.

Stella franchit un pas et planta son regard dans celui de la vendeuse.

- J'irai la faire nettoyer correctement et je vous la ramènerai. Mais vous, vous allez présenter des excuses à mon mari.

- Quoi ?

La vendeuse resta bouche bée. Stella n'élevait presque jamais la voix, mais elle savait reconnaître la limite qu'il ne fallait pas franchir. On pouvait la bousculer ; pas toucher à ceux qu'elle considérait comme les siens.

- Je vous ai demandé de vous excuser, répéta-t-elle, le visage rouge mais ferme.

La vendeuse détourna les yeux, l'ignorant délibérément.

- Laisse, intervint doucement Liam.

Il se pencha légèrement vers Stella.

- Cette robe, tu l'aimes ?

- Hein ?

Elle suivit son geste. La robe dorée, la même qui brillait au centre de la boutique. Elle en resta bouche bée, sans comprendre où il voulait en venir.

Liam sortit une carte bancaire et la posa sur le comptoir.

- Ma femme apprécie cette robe. Je l'achète.

Un silence retomba, lourd.

La vendeuse le fixait comme si elle n'arrivait pas à y croire. Stella écarquilla les yeux.

- Liam, mais... qu'est-ce que tu fais ? murmura-t-elle en tirant sa manche. On est déjà mariés !

- On peut en garder une, répondit-il simplement. Comme souvenir.

Puis, sans changer de ton :

- C'est un modèle ajusté. Vous avez quelqu'un pour prendre les mesures ?

La vendeuse se reprit soudain et afficha un sourire obséquieux.

- Tout de suite, monsieur ! Je contacte la créatrice !

- Pas besoin, dit Liam. Vous ne pouvez pas le faire vous-même ?

Elle se figea, déstabilisée.

- Si vous ne pouvez pas, c'est inutile.

Face à son regard, elle perdit entièrement son aplomb. Les clients prêts à payer une pièce sur mesure étaient rares, et elle n'avait pas le droit de laisser passer ça. Tremblante, elle sortit un mètre ruban et s'approcha de Stella.

- Mademoiselle... je vais...

Liam indiqua l'ourlet du menton.

- Commencez par là. Mesurez comme je vous le montre.

La vendeuse resta immobile, hésitante.

Liam la fixa, impassible, les yeux sombres.

- Pour faire ce travail correctement, vous devrez vous mettre à genoux.

La vendeuse blêmit. Stella, elle, ne savait plus où se mettre. Mais Liam ne détourna pas le regard, attendant que la vendeuse s'exécute.