POV: Damien Beaumont
L'air de la salle d'attente de la maternité était épais, chargé d'une attente fébrile. J'arpentais le couloir, mon costume de PDG froissé, l'impatience me rongeant. Ce n'était pas l'expérience que j'avais imaginée, pas avec Éléanore. Elle avait été si... naïve, si sentimentale. Mais Victoire, elle, comprenait l'importance de cet héritier. Elle était forte, déterminée, une vraie Beaumont en devenir.
La porte de la salle d'accouchement s'est ouverte. Mon regard s'est immédiatement posé sur Victoire, pâle mais rayonnante. Dans ses bras, un petit paquet. Mon fils. Mon héritier. Un sourire, le premier sincère depuis des mois, a fendu mon visage.
Je me suis précipité, prenant le nouveau-né dans mes bras. Sa peau était douce, ses petits poings serrés. « Il est magnifique, Victoire. Absolument magnifique. » Ses yeux s'ouvraient à peine, de minuscules perles noires qui me regardaient. Je l'ai serré contre moi, un sentiment de plénitude m'envahissant. C'était ça. La lignée Beaumont était assurée.
Pendant un instant, une ombre a traversé mon esprit. Éléanore. Son ventre, autrefois rond, son regard plein d'espoir. J'avais eu une fille, il y a quelques semaines, un petit être fragile que j'avais à peine regardé, pressé que j'étais de voir l'héritier que Victoire devait me donner. Une fille. Inutile. « Si seulement... » murmura ma conscience, une pensée fugace de ce qu'aurait pu être son enfant. Aurait-il eu les mêmes yeux que le mien ? Le même nez ? La même ambition ? Je secouai la tête. Les pensées d'Éléanore n'avaient plus leur place ici.
Mon fils s'est endormi dans mes bras, un petit ange paisible. J'ai souri, mon cœur rempli d'une joie nouvelle. « Je vais le laisser se reposer. » J'ai murmuré à Victoire, déposant doucement le bébé dans son berceau. « J'ai une dernière chose à régler, et ensuite, nous pourrons commencer notre nouvelle vie, tous les trois. » J'allais enfin pouvoir me débarrasser de cette ombre qu'était Éléanore.
Alors que je me dirigeais vers la sortie, mon assistant, le jeune et timide Julien, est apparu, son visage pâle, ses yeux écarquillés d'effroi. Il se tenait là, tremblant, comme s'il avait vu un fantôme.
« Julien, qu'est-ce que tu fais là ? » J'ai demandé, irrité. « Je t'avais dit de rester au manoir. »
« Monsieur Beaumont... » Sa voix était à peine un murmure. Ses mains tremblaient si violemment qu'il ne pouvait pas les joindre. Il avait l'air d'avoir couru un marathon, ses cheveux en désordre, son costume chiffonné.
« Qu'est-ce qui se passe ? Parle ! » J'ai claqué des doigts, l'impatience me gagnant. Je n'avais pas de temps pour les faiblesses de mes employés.
Il a déglutit, ses yeux fuyant les miens. « C'est... c'est Éléanore. »
Mon corps s'est raidi. Ma respiration s'est coupée. « Quoi ? Qu'est-ce qu'elle a encore fait ? » J'ai serré les poings. « Une nouvelle tentative de manipulation ? Je t'ai dit de ne pas te laisser attendrir par ses caprices. »
« Non, Monsieur. » Julien a secoué la tête, ses yeux remplis de larmes. « Elle n'est plus... elle n'est plus là. »
« Qu'est-ce que ça veut dire, "plus là" ? » J'ai demandé, un frisson me parcourant. « Elle s'est enfuie ? »
« Non, Monsieur. » Julien a baissé les yeux, ses épaules secouées par un sanglot silencieux. « Elle... elle est morte. »
Mon monde s'est effondré. Le mot a claqué dans l'air, froid et brutal. Morte. C'était impossible. Éléanore. Morte. Elle ne pouvait pas être morte. C'était une farce, une ruse, une de ses manipulations pour me faire culpabiliser.
« Tu mens ! » J'ai hurlé, attrapant Julien par le col de sa chemise. « Elle ne peut pas être morte ! C'est une de ses ruses, n'est-ce pas ? Pour me faire revenir ! Pour me faire regretter ! »
« Non, Monsieur ! » Il a secoué la tête, ses larmes coulant sur son visage. « Jacques l'a trouvée... à l'hôpital local. Elle a eu une hémorragie massive après... après avoir perdu le bébé. »
Le bébé. Mon enfant. L'enfant que j'avais cru inutile. L'enfant que j'avais ignoré. L'enfant qui aurait pu être un garçon. Un fils. Le mien.
Un hurlement primal a échappé à mes lèvres, un son guttural de pure terreur. La panique m'a envahie, me submergeant. « Non ! » J'ai lâché Julien, mes mains tremblantes. « Ce n'est pas possible ! » Je me suis précipité hors de la maternité, laissant derrière moi Victoire et mon nouveau-né.
J'ai couru à travers les couloirs, mon cœur battant la chamade, ma gorge serrée. Non, non, non... C'est un cauchemar. Je vais me réveiller. Elle sera là, vivante, en colère, mais vivante.
L'air extérieur m'a frappé, froid et humide. La nuit était tombée, enveloppant Paris dans un linceul sombre. J'ai sauté dans ma voiture, démarrant en trombe, ignorant les feux rouges, les klaxons, le monde entier. L'hôpital local. C'était là qu'elle était.
Le bâtiment était un fantôme, ses lumières éteintes, ses couloirs déserts. La poussière recouvrait les sols, le silence était assourdissant. « Éléanore ! » J'ai hurlé, ma voix pleine de désespoir. « Éléanore ! Réponds-moi ! » Seul l'écho de mon propre cri me répondait.
J'ai trouvé la petite aile isolée, le dispensaire. La porte était entrouverte. Une odeur âcre de sang et de désinfectant m'a frappé, me donnant la nausée. J'ai trébuché à l'intérieur, mes yeux balayant la pièce.
Elle était là. Allongée sur une table d'opération froide et métallique. Éléanore. Son visage était pâle, ses lèvres bleues. Ses yeux étaient clos, pour toujours. Le silence de la pièce était assourdissant, brisé seulement par le battement frénétique de mon propre cœur.
Mon corps s'est figé. Le temps s'est arrêté. J'ai regardé son visage, si paisible dans la mort, si loin de la femme que j'avais tourmentée. Les détails de sa mort m'ont frappé, brutaux et implacables. Son bras, marqué par une brûlure. Ses vêtements, déchirés et maculés de sang. Son ventre, affaissé, vide. Mon enfant.
« Non... » J'ai murmuré, mes genoux cédant. Je me suis écroulé sur le sol froid, mes mains couvrant mon visage. « Non, Éléanore. Pas toi. »
J'ai rampé jusqu'à elle, mes mains tremblantes. J'ai posé mes doigts sur sa peau. Elle était froide. Glaciale. La chaleur de sa vie avait disparu, laissant derrière elle un vide abyssal. Le lien, le fil invisible qui nous unissait, s'était brisé.
Un hurlement de douleur a échappé à mes lèvres, un son primal qui a déchiré l'air. J'ai secoué son corps inerte, mes larmes coulant sur son visage. « Éléanore ! Réponds-moi ! » J'ai supplié, ma voix brisée par le chagrin. « Ne me laisse pas ! Je t'en supplie ! »
« Je te donnerai tout ! » J'ai hurlé, mes yeux fixés sur son visage. « Le manoir, l'argent, mon nom, tout ! Juste reviens ! Je ferai tout ce que tu voudras ! »
Mais elle ne répondait pas. Son corps était inerte, indifférent à mes supplications. Mon regard est tombé sur son poignet. Le bracelet de perles, le cadeau de son père, n'était plus là. Il avait disparu, emportant avec lui le dernier vestige de sa vie.
Les souvenirs ont défilé dans mon esprit, une succession de flashs douloureux. Ses sourires, ses larmes, ses regards pleins d'amour. La femme à qui j'avais promis une vie de bonheur. La femme que j'avais trahie. La femme que j'avais tuée.
Je me suis serré contre son corps froid, le sang séché de son corps se mélangeant à mes larmes. « Pardonne-moi, Éléanore. Pardonne-moi, mon amour. » J'ai murmuré, mes mots se perdant dans le silence de la pièce.
Je suis resté là, serrant son corps contre moi, le temps n'ayant plus de sens. La culpabilité, le remords, la douleur, tout m'a envahi. J'avais détruit la seule chose qui comptait vraiment. J'avais détruit Éléanore. Mon enfant. Mon héritier. Tout.