Indriani Maheswara, vêtue d'une robe ivoire qui soulignait sa silhouette avec une grâce éclatante, captivait tous les regards. Chaque détail de sa tenue semblait calculé pour éveiller jalousie et admiration. À son bras, Haikal Adisurya, dans un costume clair, rayonnait d'une élégance étudiée, tel un héritier façonné pour régner. Tous deux souriaient aux invités, distribuant des salutations avec la maîtrise de ceux qui savent être au centre de l'attention.
- Haikal, tu crois que Christian viendra vraiment ? demanda Indri, la voix mielleuse, ses lèvres peintes d'un sourire de fillette capricieuse.
Christian Adipamungkas. Le nom seul suffisait à imposer le silence. Figure insaisissable, invisible aux yeux de la plupart, il incarnait un pouvoir qu'aucun ne contestait. Ses apparitions publiques se comptaient sur les doigts d'une main, si bien que son visage demeurait une énigme.
Les Adisurya et les Adipamungkas partageaient un lien familial lointain, fragile mais encore reconnu. À l'envoi des invitations, les Maheswara avaient pris soin d'inclure son nom, espérant l'attirer dans leur cercle. Mais Haikal n'avait aucune certitude qu'il se présenterait.
- Attendons, répondit-il calmement, bien que l'impatience dans son regard trahît son propre espoir. Il tenta de rassurer Indri d'un sourire doux, geste qui lui venait naturellement.
...
Un autre lieu, une autre respiration.
Ella, le pas hésitant, longeait le chemin qui menait à la maison où elle avait grandi. La froideur de son visage se fissura, laissant transparaître une douleur ancienne. Ses yeux, assombris par la colère et le chagrin, se fixaient sur la façade qui l'avait abritée jusqu'à ses dix-huit ans. Jadis refuge, cette maison avait été son abri, son paradis contre la rudesse du monde. À présent, chaque rire, chaque éclat de voix qui en provenait résonnait comme une insulte.
Elle comprit avec amertume combien la frontière entre le bonheur et la damnation pouvait être mince. Là où elle avait trouvé jadis réconfort, il ne restait plus qu'un gouffre de souvenirs brûlés.
Plongée dans ses pensées, elle fut tirée brutalement de sa torpeur par le hurlement d'un klaxon. Aveuglée par l'éclat brutal des phares, elle chancela. La voiture fonçait droit sur elle. Un crissement de pneus, strident, déchira l'air. Le choc du danger la fit vaciller, son corps traversé par une sensation de flottement, comme si le temps s'était ralenti.
- Tout va bien ?
Une voix masculine la ramena au réel. Ouvrant les yeux, elle distingua le visage fermé d'un inconnu qui s'était penché vers elle. Avant même qu'elle ne puisse répondre, il s'éloigna, s'adressant précipitamment à un autre homme resté dans la voiture.
- Monsieur, cette femme semble en état de choc, annonça-t-il avec une déférence appuyée.
Ella leva le regard. Derrière la vitre baissée, un homme se tenait immobile. Costume noir impeccable, port altier, aura de puissance glaciale : sa seule présence imposait la distance. Elle eut la sensation étrange de l'avoir déjà croisé.
- J'ai une réunion dans dix minutes.
La voix, sèche, émanait de l'arrière. Christian ne quitta pas des yeux l'écran d'ordinateur posé sur ses genoux. Sa réponse tranchait, nette comme une lame.
L'assistant demeura interdit. Pourquoi son patron s'était-il déplacé à une fête de fiançailles pour à peine quelques instants ? Cette incohérence le dépassait.
Ella, elle, fronça les sourcils, heurtée par cette indifférence.
- Très bien, je m'en occupe, reprit l'assistant, visiblement pressé.
Il tira une liasse de billets de sa poche et la tendit à Ella comme une indemnisation expéditive, avant de remonter précipitamment dans la voiture.
- Toutes mes excuses, lança-t-il à la hâte.
Alors que le véhicule redémarrait, Ella se plaça brusquement devant, paume posée sur le capot, regard de défi fixé sur l'homme assis à l'arrière.
- Tiens, vous êtes plus solide que vous n'en avez l'air, ironisa l'assistant, son ton dégoulinant de mépris. L'argent vous a déjà été donné. Écartez-vous. Mon patron n'a pas une minute à perdre.
- Pas question !
Ella, d'un geste ferme, resta plantée devant la voiture, fixant Christian à travers la vitre. Ses yeux lançaient des éclairs.
- C'est vous qui êtes en tort. Vous croyez pouvoir écraser les autres sans honte ?
L'assistant fulminait. Prêt à sortir pour la faire dégager, il fut stoppé par un simple mot.
- Avance.
Christian n'avait pas levé la voix. Le ton paresseux, mais l'ordre, incontestable.
- Pardon ? Vous voulez dire...
Le regard impatient de son patron le réduisit au silence. Pris de panique, l'assistant serra le volant, les mains moites. Contredire Christian n'était pas une option. Tremblant, il appuya sur l'accélérateur.
La voiture bondit en avant.
Ella ouvrit de grands yeux, stupéfaite qu'on ose réellement tenter de l'écraser. Pourtant, elle ne bougea pas. Elle affronta la masse métallique avec une détermination farouche, comme si son regard seul pouvait arrêter le bolide.
Le choc la heurta au genou. Son corps bascula, projeté au sol par l'impact, assez violent pour la faire tomber, mais pas pour la blesser grièvement.
Un crissement brutal déchira l'air. Ce n'était pas l'assistant qui avait freiné : Christian avait tiré lui-même le frein à main.
- Seigneur... est-ce que je l'ai tuée ? bredouilla l'assistant, terrifié, les yeux toujours fermés.
Christian, sans répondre, sortit de la voiture. Son visage fermé s'assombrit en découvrant Ella à terre.
Elle releva les paupières. Ses yeux noirs, intenses, se plantèrent dans ceux de l'homme qui lui faisait face. Ni peur, ni supplique : seulement un défi brûlant.
Leur duel muet dura de longues secondes. D'un côté, un regard dur et impassible, de l'autre, une fierté qui ne cédait rien.
Enfin, Christian rompit le silence.
- Employer ce genre de stratagème pour me forcer à vous remarquer ne peut qu'inspirer mon dégoût.
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