Chapitre 5

Point de vue d'Aurélie :

La sonnette a retenti, un son joyeux qui semblait profondément déplacé dans mon état d'anxiété actuel. Mon cœur a bondi dans ma gorge. Je n'avais rien commandé, je n'attendais personne. Ma main s'est instinctivement posée sur mon ventre, un geste protecteur. J'ai regardé à travers le judas.

Camille.

Elle se tenait là, rayonnant d'une innocence artificielle. Ses cheveux, une cascade parfaite de boucles dorées, encadraient un visage soigneusement dépourvu de maquillage, lui donnant un air angélique et fragile. Elle tenait un récipient isotherme, un sourire écœurant de douceur plaqué sur ses lèvres. Elle ressemblait à un ange bienveillant, prêt à offrir du réconfort. Mais je connaissais la vipère sous le voile.

J'ai ouvert la porte juste d'une fente, laissant la chaîne de sécurité en place. « Qu'est-ce que tu veux, Camille ? » Ma voix était plate, dépourvue de bienvenue.

« Aurélie, ma chérie ! J'étais si inquiète pour toi ! » Sa voix était un ronronnement théâtral, dégoulinant de fausse sollicitude. Elle a essayé de passer le récipient à travers l'entrebâillement. « Jacques m'a dit que tu ne mangeais pas correctement. Je t'ai fait une soupe de poulet maison. C'est si nourrissant pour le bébé. » Ses yeux ont balayé l'appartement derrière moi, essayant d'en apercevoir un bout.

J'ai repoussé fermement le récipient. « Je ne veux pas de ta soupe, Camille. Et je ne veux pas de toi ici. Pars. »

Sa moue parfaite a vacillé une fraction de seconde, un éclair d'irritation remplaçant la douceur mielleuse. Puis elle a retrouvé son sang-froid, ses yeux s'emplissant de larmes parfaitement synchronisées. « Aurélie, comment peux-tu être si cruelle ? J'essaie juste d'aider. Nous sommes sœurs, après tout. Et ce bébé... c'est celui de Jacques, de notre famille. Nous sommes tous si inquiets. »

« Tu as perdu le droit de te dire ma sœur il y a bien longtemps », ai-je lâché, ma patience s'épuisant. « Et la famille de Jacques ? C'est la meilleure. Je divorce de Jacques. »

Une lueur de triomphe, rapide et presque imperceptible, a traversé son visage avant qu'elle ne réarrange ses traits en un masque de tristesse feinte. « Oh, Aurélie. Je sais que tu es contrariée. Jacques est si bouleversé. Il veut juste ce qu'il y a de mieux pour tout le monde. Surtout pour le bébé. » Sa voix est tombée à un murmure conspirateur. « Il veut vraiment que tu aies ce bébé, tu sais. Il est si excité d'être père. »

Ma tête s'est redressée. Mes yeux, plissés et perçants, se sont fixés sur les siens. « Il veut que j'aie ce bébé ? » Les mots étaient un murmure dangereux. « Pourquoi ? Pour que tu puisses jouer à la mère ? C'est ça, Camille ? Tu veux élever mon enfant ? »

Sa façade fragile s'est fissurée, juste un peu. Elle a bafouillé, ses yeux fuyant. « N-non, bien sûr que non ! Comment peux-tu même penser ça ? C'est juste... le bébé. Il mérite une famille. Une famille complète. Ce n'est pas la faute du bébé si vous deux n'arrivez pas à vous entendre. » Elle s'est tordu les mains, une image d'innocence angoissée. « Et Jacques... ça lui manque d'avoir des enfants autour de lui. Je veux dire, des enfants. Il veut vraiment juste faire l'expérience de la paternité. » Elle s'est interrompue, son regard tombant sur mon ventre.

Puis elle a murmuré, sa voix à peine audible, « Et tu sais... je ne peux pas. Je ne peux pas lui donner ça. Mon... mon corps ne me le permet pas. »

Les mots sont restés en suspens dans l'air, lourds et venimeux. Je ne peux pas lui donner ça.

Les pièces se sont assemblées, formant une image monstrueuse et horrifiante. L'avenant post-nuptial secret, les transferts d'actifs, la présence constante de Camille dans la vie de Jacques, son étrange obsession d'avoir un enfant maintenant, après des années d'indifférence. La façon dont il m'avait rejetée, moi, le réceptacle, tout en convoitant le produit. La vérité était un coup physique, pire que n'importe quel coup de poing.

Je n'étais pas seulement une épouse de substitution. J'étais une mère porteuse. Une machine à procréer. Il voulait mon enfant, non pas pour nous, mais pour eux. Pour Jacques et Camille, pour compléter leur fantasme tordu d'une famille parfaite. Je n'étais rien de plus qu'un utérus fertile et pratique, un moyen pour une fin pour un enfant qu'il avait l'intention de modeler à l'image de Camille, l'enfant qu'elle ne pouvait pas porter elle-même.

Un son guttural m'a échappé, un mélange d'incrédulité, de rage et de dégoût profond. « Tu veux mon bébé ? » ai-je craché, ma voix tremblant de venin. « Tu veux élever mon enfant pour Jacques, parce que tu ne peux pas en avoir ? C'est ça ? C'est pour ça qu'il m'a épousée ? Parce que je te ressemble assez pour le tromper, et que je peux te donner l'enfant que tu es incapable de porter ? »

L'absurdité pure et grotesque de tout cela m'a frappée avec une telle force que ma vision a tournoyé. Mon estomac s'est soulevé, la nausée montant. J'ai senti un cri primal monter dans ma poitrine, un besoin désespéré de me purifier de cette vérité écœurante.

Sans réfléchir, ma main s'est projetée. J'ai arraché le récipient isotherme des mains tremblantes de Camille. La céramique était froide, lourde. Avec un rugissement furieux, alimenté par des années de trahison et cette révélation ultime et écœurante, je l'ai lancé. Il a volé au-dessus de sa tête, la manquant de quelques centimètres, pour s'écraser contre le mur du couloir avec un fracas humide et écœurant. La soupe de poulet, autrefois destinée à être un geste de fausse gentillesse, a éclaboussé la peinture blanche immaculée, laissant une tache grotesque et graisseuse.

Camille a hurlé, un son aigu et authentique de terreur. Elle a reculé en titubant, se tenant la poitrine, sa façade soigneusement construite complètement brisée. Ses yeux, écarquillés de peur, me fixaient, ne voyant plus une douce victime, mais une femme poussée à bout.

« Dehors ! » ai-je hurlé, ma voix rauque, éraillée. « Sors de ma vue ! Sors de ma vie, espèce de serpent manipulateur et dégoûtant ! Et ne t'approche plus jamais, jamais de mon enfant ! » J'ai claqué la porte, la frêle chaîne cliquetant, la coupant au milieu de son cri.

De l'autre côté de la porte, j'ai entendu sa voix furieuse et venimeuse. « Tu le regretteras, Aurélie ! Tu ne gagneras pas ! Tu auras ce bébé, et Jacques s'assurera que nous l'obtenions ! » Elle a martelé la porte une fois, deux fois, puis ses pas se sont rapidement éloignés.

Je me suis laissée glisser le long de la porte, mes jambes flageolant, m'effondrant sur le sol. Mon corps tremblait violemment, mon souffle sortant en halètements saccadés. La peur, froide et insidieuse, a enroulé ses vrilles autour de mon cœur. Ils ne me laisseraient pas partir. Ils ne laisseraient pas mon enfant partir. Le pouvoir de Jacques, sa richesse, sa détermination implacable à obtenir ce qu'il voulait – c'était une force terrifiante. Camille, avec ses désirs tordus et sa ruse manipulatrice, était tout aussi dangereuse.

Ils voulaient mon bébé. Pas notre bébé, pas mon bébé, mais leur bébé. Une poupée vivante et respirante pour compléter leur grotesque portrait de famille.

Non. Je ne les laisserais pas faire. Je ne le ferais pas. Cet enfant, cette vie innocente qui s'agitait en moi, était à moi. Mon seul espoir, mon seul avenir, la seule chose pure qui restait dans un monde souillé par les mensonges. Je le protégerais, farouchement, avec chaque fibre de mon être. J'ai posé mes mains sur mon ventre gonflé, sentant un doux frémissement, un doux rappel de la vie que je portais.

« Il n'y a que toi et moi, mon petit », ai-je murmuré, les larmes coulant sur mon visage. « Juste toi et moi. Et je te promets, ils ne t'auront jamais, jamais. »

Une pensée folle et désespérée a jailli dans mon esprit, une idée terrifiante et exaltante née du pur désespoir. S'ils voulaient mon enfant à ce point, s'ils croyaient que ce bébé était le leur... et si le bébé, et moi, cessions simplement d'exister ? Et si nous disparaissions sans laisser de trace, ne leur laissant que des échos et des questions sans réponse ? C'était insensé. C'était dangereux. Mais c'était la seule solution. La seule façon de vraiment s'échapper, de vraiment protéger mon enfant.

            
            

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