La Nounou du Millionnaire
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Chapitre 5 Chapitre 5

– Oui. Vous aurez votre intimité, tout le dernier étage vous sera réservé.Mais c'est un boulot qui requiert une attention constante et une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un enfant ne s'arrête pas de vivre au coucher du soleil, vous savez... Pas de bouton off.

Un microsourire s'esquisse sur ses lèvres, puis disparaît avant que j'aie le temps de l'admirer.

– Entendu, indiqué-je en dessinant vaguement son visage sur un coin dema page.

– Vous devrez également être prête à partir en déplacement aussi souventque nécessaire. Je ne laisse jamais ma fille plus de deux jours.

– C'est noté. Voyager, je n'appelle pas ça une contrainte.

– Vous n'avez jamais voyagé avec ma fille... commente-t-il en souriant –pour de bon, cette fois.

Ses dents sont parfaitement alignées et d'une blancheur irréprochable – je dois penser à lui demander le nom de son dentiste. Mais son sourire a beau me faire monter le rose aux joues, il est moqueur... et éphémère. Règle suivante.

– Personne n'aura le droit de mettre les pieds dans cette maison. Sansexception. Pas de petit ami, pas de membre de la famille, de meilleure copine, d'animal domestique : personne.

– OK.

– L'uniforme, maintenant...

– L'uni... quoi ? répété-je d'une voix aiguë.

– Pas la peine de me sortir que nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, que c'est sexiste, dégradant ou autre. C'est l'une de mes conditions et ça ne changera pas.

– Je vous écoute... répété-je, méfiante.

– Juste une tenue sobre, distinguée, qui montrera l'exemple à Birdie. Sans tache de boue, cela va sans dire, ajoute-t-il d'un air supérieur... et insolent. Pas de vulgarité, pas d'accessoires inappropriés. Un haut blanc, un bas noir. De votre choix. Certains éléments pourront évidemment varier : jupe et pantalon, par exemple. Mais toutes vos tenues devront être approuvées par Imogen lors de votre période d'essai.

– Hmm... acquiescé-je de la tête en continuant mon dessin – seul moyenque j'ai trouvé pour ne pas le bouffer outrageusement des yeux.

Une chose est sûre : il est plus agréable à regarder qu'à écouter... Quoique... Cette voix...

– Vous êtes toujours avec moi ? m'interroge-t-il soudain en revenant s'asseoir face à moi. Vous ne m'avez pas l'air très concentrée...

– Je le suis. Disponibilité totale, déplacements, pas d'invités, uniforme.Quoi d'autre ? récité-je d'une voix de première de la classe.

– J'aurais dû préciser « personnes insolentes s'abstenir » dans l'annonce... grogne-t-il en essayant de retenir un sourire.

– J'aurais postulé quand même, murmuré-je.

Il s'installe plus confortablement sur son fauteuil en cuir, pose nonchalamment la cheville droite sur son genou gauche et étend les bras derrière lui.

Si c'est une opération séduction, c'est réussi...

Ignore-le. Regarde ta feuille, obsédée !

– Règle suivante, énonce-t-il après s'être raclé la gorge. Qui va de pairavec celle de l'uniforme. Pas de piercing apparent, de tatouage, de maquillage trop voyant, de bijoux clinquants ou de coiffure fantaisiste. Un chignon est largement recommandé. Voire de rigueur.

– Vous plaisantez ?

– J'ai l'air de plaisanter ? me reprend-il sans sourciller.

– Vous cherchez une nonne, en fait. C'est le couvent qu'il fallait appeler,pas moi.

– Non, je cherche une jeune femme qui fera passer l'éducation de monenfant avant sa vanité ou ses goûts personnels. Mis à part votre vernis à ongles rouge et l'incident qui a fait que vous êtes arrivée trempée, je n'ai pas grand-chose à vous reprocher. Pas sur ce plan-là, en tout cas.

– Je ne sais pas comment je dois le prendre... grommelé-je.

– Je peux continuer ou votre ego ne le supportera pas ? s'amuse-t-il.

– Allez-y...

– Ne pas fumer et ne pas boire pendant vos heures de travail. C'est-à-diretoute la semaine. Et évitez les abus pendant les week-ends, aussi. Vous devrez être au top de votre forme à la reprise du travail, le lundi matin.

Aller à confesse chaque soir, c'est obligatoire ?

– Noté, me forcé-je à répondre.

– Je suis exigeant, ça ne fait aucun doute. Et je ne tolérerai pas un seulécart de conduite. En retour, vous bénéficierez d'un salaire plus que conséquent et d'un confort optimal.

– Conséquent ? insisté-je.

– 1 500 livres par semaine.

Soit environ 1 800 euros. Par semaine ???

– Très bien... soufflé-je en me retenant de sauter au plafond.

Il passe doucement la paume sur sa barbe naissante, puis se lève. Je l'imite après avoir glissé le cahier dans mon sac à main. Nous nous fixons pendant quelques secondes, mes yeux clairs se perdant dans les siens, plus foncés. Ce noir... Ce n'est pas juste une question de couleur. Ses yeux sont... froids. Je les ai vus s'illuminer à deux ou trois reprises durant notre entretien, mais de manière fugace, presque imperceptible. Cet homme a souffert, ça ne fait aucun doute. Il porte les stigmates d'un mal lancinant. Celui du deuil.

Est-ce vraiment une bonne idée, ce job ?

Je suis venue ici pour combattre mes démons, pas pour les réveiller...

– Quand pensez-vous prendre votre décision ? demandé-je soudain, impatiente de retrouver l'air libre et parfumé des rues de Mayfair.

– Elle est prise. Vous commencez demain matin, sept heures.

– Pourquoi moi ?! m'écrié-je soudain, les yeux écarquillés.

– Pourquoi pas vous... souffle-t-il entre ses dents. Et puis votre accentest charmant. Ça ne me déplairait pas de l'entendre tous les jours.

Beau comme un dieu, autoritaire ET sarcastique. De mieux en mieux, Mr Rochester.

Un nouveau sourire se dessine sur son visage. Cette fois, j'ai le temps de le détailler – de l'imprimer dans ma mémoire – avant que le géant blond retrouve son masque glacial et tourne les talons en lâchant :

– Vous connaissez la sortie, Miss Merlin...

– Tu commences quand, Sid ? demande Jasper, assis à mes pieds, la bouche pleine de hot dog à la moutarde anglaise.

– Demain aux aurores. En gros, c'est ma journée d'essai. Si je survis auxcrises de Princess Birdie, j'y retournerai lundi... avec ma grosse valise.

– J'arrive pas à croire que tu vas me faire ça, soupire Joe, outrée, depuisla rambarde du balcon.

Je lui tends une Belhaven aux fruits rouges, accompagnée de ma plus irrésistible moue penaude, elle s'empare de la bière, mais ne se laisse pas attendrir.

– Je serai là tous les week-ends, murmuré-je depuis mon transat bringuebalant.

– Ouais, t'as intérêt.

Ma sœur et moi avons débarqué à Londres pour mener une nouvelle vie... ensemble. Je comprends sa contrariété, mais Joe devrait s'apercevoir que je fais ça pour nous. Pour pouvoir survivre dans cette ville où tout coûte un bras. Ou deux.

Elle porte la bouteille à ses lèvres, boit une gorgée sucrée, révélant au passage quelques centimètres de peau sur son ventre plat. Le soleil va bientôt se coucher, mais la température reste étonnamment élevée. En rentrant de l'entretien lunaire de ce matin, j'ai troqué ma tenue de bonne sœur contre un short en coton et un tee-shirt échancré. Une journée épuisante m'attendait : séance bronzette sur le balcon exposé plein sud.

– Quand même, bosser pour Rochester, c'est pas rien ! lâche soudain Jasper, après un long silence.

– Qu'est-ce qu'il a de si spécial ? Il est plein aux as, point barre. Pas de quoi s'extasier, rétorque ma jumelle.

– Tu rigoles ? Il a fait la une de dizaines de magazines, on ne parle que de lui ces derniers mois ! Ce type n'est pas seulement un requin de la finance, il a aussi fondé des tas d'associations caritatives. Pour les sansabri, les orphelins, les mères adolescentes, les grands brûlés et je ne sais plus quoi d'autre. Ce mec a un cerveau, mais aussi un cœur !

                         

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