Je me tournai vers Ethan. Depuis tout à l'heure, il n'avait pas prononcé un mot. C'était inhabituel chez lui.
- *Quelque chose te tracasse ?* demandai-je.
Il releva la tête, un sourire forcé étirant à peine ses lèvres.
- *Je réfléchissais, c'est tout.*
La porte s'ouvrit brusquement. Peter revint, essoufflé, tenant mon téléphone dans une main et une feuille chiffonnée dans l'autre.
- *Keith... on a un souci.*
L'atmosphère changea d'un coup. Tous les regards se croisèrent, sur le qui-vive.
- *Pas de danger extérieur,* précisa-t-il. *C'est ta sœur.*
Mon cœur se serra.
- *Qu'est-ce qu'il y a ? Elle va bien ?*
Ethan s'était déjà rapproché, inquiet.
- *Montre-moi,* dit-il d'un ton plus brusque qu'il ne l'aurait voulu.
Peter me tendit la feuille. Dès le premier regard, je reconnus l'écriture de Lily. Je lus à voix haute, la gorge serrée :
> *Je pars. Je sais reconnaître quand on ne veut plus de moi. Vous n'aurez plus à me supporter, ni à me chercher. Je quitte aussi la meute. Adieu.*
>
> *Lily.*
Le silence tomba comme une chape de plomb. Personne ne bougeait. Même Alan, d'ordinaire le premier à ironiser, resta figé.
- *Elle ne peut pas avoir quitté le territoire,* finit-il par murmurer. *C'est impossible sans prévenir.*
Je tentai aussitôt de la joindre par la voie mentale. *Lily ? Réponds-moi.* Mais rien. Le vide.
Je levai les yeux. Ethan semblait sur le point d'exploser.
- *Elle est partie...* soufflai-je. *Elle est vraiment partie.*
Je pris mon téléphone que Peter me tendait. Une idée me traversa - son portable ! Je composai le numéro. Elle décrocha au bout de quelques secondes.
- *Allô ?* Sa voix était basse, calme.
- *Où es-tu ?* lançai-je, plus fort que prévu. *Tu n'as pas le droit de partir comme ça !*
Un soupir me répondit.
- *Keith, tout est dit dans ma lettre. Ne me cherche pas.*
- *Reviens à la maison, Lily. On va arranger ça.*
- *Non.*
- *Lily ! Reviens tout de suite !*
- *J'ai dit non !* Sa voix monta soudain, vibrante d'une colère que je ne lui avais jamais connue. *J'en ai assez !*
Je la connaissais trop bien. Lily n'élevait jamais la voix, même face aux pires insultes. Les autres garçons me regardaient, pétrifiés.
- *Tu veux que je rentre dans une meute qui me méprise ?* reprit-elle, haletante. *Vous m'avez ignorée, humiliée, rabaissée. Et moi, je restais, persuadée que vous m'aimiez malgré tout. Mais ce n'était qu'un mensonge. J'ai compris que je ne comptais pour personne.*
J'ouvris la bouche pour répondre, mais elle m'interrompit.
- *Ne dis rien, Keith. Garde ton souffle. Je vais jeter ce téléphone, alors inutile d'essayer de me retenir. Et dis-leur... dis-leur que je les aime, même si je ne devrais pas. Vous étiez ma famille.*
- *Lily, attends !*
- *Adieu, Keith.*
Le silence qui suivit fut assourdissant. La communication venait d'être coupée.
Je restai figé, incapable de respirer. Les larmes me montèrent aux yeux malgré moi. Autour de moi, les garçons avaient baissé la tête. Ethan, lui, s'écroula sur une chaise, la tête entre les mains, répétant sans fin :
- *Non... non... non...*
Ma colère éclata.
- *Depuis quand tu t'intéresses à elle ?!* hurlai-je. *C'est toi, le premier à l'avoir blessée ! Vous tous !*
Ethan releva brusquement la tête. Ses yeux s'étaient assombris jusqu'à devenir noirs.
- *Ferme-la, Keith. Tu n'as pas plus de leçons à donner que moi.*
- *C'est toi qui l'as humiliée devant tout le monde !* criai-je.
- *Et toi, qu'as-tu fait pour la défendre ?* gronda-t-il.
Ses mots me clouèrent. Il avait raison. Aucun de nous n'avait levé le petit doigt pour elle.
- *On est tous coupables,* soufflai-je finalement. *Tous autant qu'on est.*
Un silence lourd retomba. La honte, cette fois, se lisait sur chaque visage.
La nuit suivante, la réunion de la meute se tint comme prévu. Le sujet officiel était la surveillance des solitaires. Mais personne n'écoutait vraiment. Mes yeux ne quittaient pas le siège vide à ma gauche - celui où Lily s'asseyait toujours. Ethan, lui aussi, le fixait sans un mot.
Et pour la première fois, je doutai. Et si elle avait dit vrai ? Si c'était vraiment lui, son compagnon ? Non... Ethan n'aurait jamais rejeté sa compagne. Aucun loup ne le ferait.
La réunion toucha à sa fin. Alan posa une main sur mon épaule.
- *Elle reviendra,* dit-il doucement. *Et cette fois, on fera mieux. On sera là pour elle.*
Je secouai la tête, amer.
- *Non. Elle ne reviendra pas.*
Ma voix résonna dans la pièce, brisant le silence. Tous se tournèrent vers moi.
- *Je m'en vais,* ajoutai-je, me levant brusquement.
Et sans attendre de réponse, je quittai la salle, le cœur plus lourd que jamais.