Quand l'alpha pleure sa luna
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Chapitre 4 Chapitre 4

Chapitre 4

Addison s'immergea dans ses tâches avec une ardeur presque mécanique, cherchant dans l'enchaînement des obligations une échappatoire à ce qui lui rongeait l'âme. Les heures glissèrent, et lorsque la nuit finit par draper la station de son silence, aucun appel mental, aucun signe ne vint rompre son isolement. C'était comme si le monde avait décidé de la laisser à l'écart, coupée de toute attache.

Elle enfouit ses pensées au fond d'elle-même, refusant de leur accorder la moindre place, et poursuivit son labeur dans un calme feint. Ce ne fut qu'au cœur de la nuit qu'elle se résolut à gagner ses quartiers du quatrième étage, suivant la routine qu'elle s'imposait depuis toujours.

Ce soir pourtant, ses pas s'arrêtèrent devant la porte close. Sa poitrine battait d'une inquiétude sourde. Cet espace n'était plus le sien seul : il était aussi celui de l'Alpha. Comment devait-elle se comporter avec lui désormais ? Et, plus troublant encore, c'était la première fois qu'ils devraient partager cette intimité.

Elle demeura plantée là de longues minutes, presque une demi-heure, immobile, le regard fixé sur le bois inerte. Puis, rassemblant tout le courage qui lui restait, elle poussa la porte... pour découvrir une pièce vaste, vide, glaciale, dépourvue de la moindre trace olfactive de son compagnon. Cette absence criante lui asséna un coup brutal : Zion n'avait même pas daigné occuper leur lit depuis son retour.

- Qu'espérais-je ? souffla-t-elle, la voix tremblante.

La chambre, qu'elle avait pourtant toujours connue déserte, lui apparut plus hostile que jamais. Cherchant à fuir cette impression d'abandon, elle sortit dans les couloirs, ses pas la menant sans but précis, espérant qu'une marche prolongée userait assez son corps pour que le sommeil vienne malgré tout.

Arrivée près du deuxième étage, un son inattendu la figea. Des gémissements féminins, entrecoupés de paroles étouffées, montaient d'une porte entrouverte tout proche de l'escalier.

- Ah... Zion... plus doucement... tu vas faire mal au petit...

Le souffle d'Addison se bloqua. Ses muscles se tendirent, sa peau se glaça. Elle resta là, figée, incapable de détacher son oreille de ces sons qui résonnaient dans l'air. Chaque note lui lacérait la poitrine, et une vague glaciale lui déferla dans le dos.

- Je... je... tenta-t-elle, mais sa propre voix sonnait creux.

La réalité se dressait devant elle, impitoyable : si Zion n'était pas dans leur lit, c'était qu'il se trouvait ici... avec une autre. Un rire bref et amer s'échappa d'elle, vite étouffé. Un poids écrasant s'abattit sur ses épaules, et l'impuissance se glissa dans ses veines comme un poison.

Elle n'osa pas franchir le seuil. L'idée de les interrompre, d'exploser, de perdre tout contrôle lui glaçait le sang. La peur d'aller trop loin, de blesser cette femme ou pire, la clouait sur place.

Alors elle fit la seule chose qui lui restait : fuir. Sans réfléchir, elle quitta le bâtiment et se lança dans la nuit, ses jambes avalant la distance jusqu'aux bois. Ses yeux se remplirent de larmes qu'aucune volonté ne parvenait à contenir.

Elle haïssait cette faiblesse, ce ruissellement de chagrin qu'elle ne parvenait pas à arrêter. Tant d'années à se battre pour la meute, à se sacrifier pour Zion, pour le trouver maintenant lové contre une autre.

- Pendant que je me brisais sur le front, lui... lui s'occupait d'elle. Et il ne m'a même pas touchée... Quelle humiliation plus parfaite ?

Sa vue brouillée par les pleurs, elle accéléra encore, laissant ses instincts guider ses pas. Même privée de transformation complète, elle sentait encore la force et la résilience héritées de son loup - un reste de lien, ténu mais présent. Un murmure au fond d'elle, presque effacé, qui l'appelait toujours.

- Reviens-moi... tu me manques... sanglota-t-elle en tentant de joindre cette présence.

Mais il n'y eut que le vide. Elle ne se rappelait même plus le nom de cette louve qui avait été son autre moitié. Peu importait : il ne lui restait qu'elle-même, et cette solitude dévorante.

Elle s'arrêta seulement lorsque ses jambes refusèrent d'avancer, et s'écroula dans une clairière baignée par la lumière laiteuse de la pleine lune. Alors ses sanglots éclatèrent, brisant le calme nocturne, et tout le poids de l'isolement l'écrasa.

Jamais elle n'osa blâmer la Déesse de la Lune ; elle savait au fond que cette douleur ne venait pas d'Elle. Mais cela ne changeait rien : pour un loup-garou, perdre son compagnon et sa meute équivalait à perdre sa vie.

Zion s'était détourné d'elle. Et la meute, elle n'en avait plus. Était-ce le prix à payer pour solder sa dette ? se demanda-t-elle. Elle ne ressentait pas cette brûlure déchirante que subissaient les couples liés lors d'une infidélité ; leur connexion avait toujours été imparfaite, incomplète. Cela l'épargnait peut-être de la douleur physique insoutenable qui menait tant de loups à la folie. Mais son cœur, lui, n'échappait pas au supplice.

Chaque jour, le lien se fragilisait un peu plus, comme une corde rongée par l'usure. Ce soir, il ne lui restait que le chagrin pur, et cette question muette :

- Pourquoi ? N'ai-je pas déjà payé ?

Elle avait tout donné. Espéré, en retour, un mot, un geste, peut-être même un semblant de compréhension. Mais il n'y avait rien.

- Est-ce que ma souffrance ne suffit donc pas ? souffla-t-elle entre deux sanglots.

Son loup frémit en elle, faible mais perceptible. Elle voulut y croire, imaginer que c'était une ébauche de réconfort. Pourtant, une fois la digue rompue, le flot des émotions l'engloutit, et elle pleura jusqu'à ce que ses larmes se tarissent.

Une pensée brutale la traversa alors : il fallait lâcher prise. Cette idée mit fin net à ses pleurs. Mais, aussitôt, le souvenir de Zion avant son départ au combat refit surface.

Elle revit son regard, entendu comme une lame, et entendit encore le timbre dur de sa voix :

- Je te condamnerai à vivre seule. Je m'assurerai que chaque jour tu portes le poids d'un compagnon qui te répugne, qui préfère le corps d'une autre au tien. Jusqu'à ton dernier souffle, tu connaîtras la douleur. Et tu regretteras de ne pas être morte ce jour-là.

            
            

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