Les intonations moqueuses, masquées sous des sourires aimables, s'insinuaient jusque dans le silence, y laissant une brûlure. Les soldats de Zion semblaient s'amuser de cette affection ostentatoire ; quant à Claire, elle lui servait des bouchées comme si elle orchestrai t un rituel, offrant un spectacle où tout – jusqu'au moindre mouvement – semblait pensé pour être vu.
Addison percevait chaque nuance. Sa sensibilité de louve amplifiait les mots et les bruits ; chaque syllabe résonnait en elle comme une morsure. La voix de Claire, douce mais ourlée d'une légère réprimande joueuse, flotta dans l'air :
- Zion, il faut que tu manges. Après m'avoir portée du front jusqu'à ton sac, tu dois être épuisé.
Puis, avec un sourire mesuré :
- Et tu as donné plus de la moitié de ta ration au chiot et à moi.
Ces phrases, simples en apparence, étaient lestées d'un sens que personne autour de la table ne pouvait ignorer. Après un instant, Claire ajouta :
- Je ne devrais pas dormir dans la suite alpha... elle est tout en haut de l'entrepôt, ce serait trop fatigant pour moi, avec la grossesse.
Elle fit mine de réfléchir, puis poursuivit :
- J'aimerais plutôt une chambre à un étage intermédiaire, avec une belle vue sur l'endroit où tu as grandi.
Des regards complices fusèrent entre les membres de la meute. Leurs doutes, jusque-là murmurés, prenaient désormais corps : le petit que Claire portait serait l'héritier de Midnight River. L'atmosphère se réchauffa aussitôt ; les rires, les verres qui s'entrechoquaient en l'honneur du couple, emplissaient la pièce.
Assise à l'écart, Addison encaissait. Impossible de feindre l'ignorance ; la vérité lui frappait la poitrine, écrasant son souffle. Ses doigts se crispèrent sur le tissu de sa tunique, les jointures blanchies. La douleur lancinante du lien de couple lui vrillait l'âme.
Zion, avec une tendresse presque cérémonielle, déposa un morceau de viande découpée dans l'assiette de Claire.
- Mange, prends soin du petit, murmura-t-il. Après, je préparerai ta chambre. On te conduira te reposer... et demain, je t'emmènerai voir autre chose que ces murs.
Claire lui répondit dans un souffle qui se voulait léger :
- Alors je t'obéirai. Je mangerai davantage, pour que notre enfant soit fort.
Son rire clair se répandit autour d'eux. Elle brillait, et n'avait aucun scrupule à laisser cette lumière envelopper Zion. Sa présence affirmait une évidence : elle revendiquait sa place à ses côtés. Elle avait reconnu la marque de l'Alpha sur le cou d'Addison et n'en paraissait nullement troublée.
Dans cette salle, les règles qui protégeaient les couples semblaient avoir perdu toute valeur. La promesse d'un héritier effaçait tout. Les anciens savaient que Zion, dernier descendant de la lignée après la mort de son père, avait disparu trois ans en guerre. Son retour avec cette annonce valait, pour eux, toutes les concessions.
La vérité, crue, s'imposait : Zion n'avait jamais cherché à s'unir charnellement à Addison. Leur marquage à peine achevé, il était parti combattre, la laissant sans même lui confier le rôle officiel de Luna. Son absence, son détachement, parlaient d'eux-mêmes.
Certains, dans la meute, en venaient à souhaiter une rupture formelle. Addison, jugée trop fragile, ne leur semblait pas taillée pour ce rôle. Et l'évidence que Zion ne la toucherait jamais achevait de nourrir cette idée.
L'ancienne Luna observait la scène en silence, un bref éclat d'interrogation dans le regard. Mais Zion restait affaissé sur sa chaise, visage fermé, écoutant à peine Claire. Son esprit dérivait ailleurs, lesté par les souvenirs de combats et de nuits sans sommeil, hanté par les attaques brutales des vampires.
Le bêta Greg perçut son absence et l'interpella par le lien mental :
- Alpha, tout va bien ?
- Rien de nouveau... juste ce vieux problème, répondit-il, las.
Le bruit constant des batailles passées semblait encore résonner dans son crâne. Pourtant, chaque fois qu'il posait les yeux sur Claire, un calme étrange l'envahissait : elle représentait une promesse d'avenir, une lueur au milieu de l'usure.
À l'opposé de la table, Addison était seule. Personne n'osait s'asseoir près d'elle, hormis Gamma Levi. C'était comme si sa présence n'avait jamais été désirée ici.
Elle ne cherchait pas les honneurs, seulement un peu de considération. Même cela lui était refusé. Les conversations, les éclats de rire, tout transpirait l'exclusion.
Elle se répétait qu'elle devait tenir, par devoir envers Zion et sa meute. Mais au fond, le lien avec son loup s'était rompu, laissant un vide absolu. Elle ne pouvait plus lui parler.
- Luna Addison, ne te fais pas de mal avec tout ça. Je vais chercher à comprendre ce qui se passe vraiment, souffla Levi en posant une main rassurante dans son dos.
Il s'interrompit soudain, parcouru d'un frisson ; quelque chose, invisible mais oppressant, semblait s'être tourné vers lui. Il balaya la salle du regard, sans rien discerner. Mais le poids de cette menace restait là, sourd et glacé.
Déterminé, il se promit d'agir, même si cela signifiait se dresser entre l'Alpha et sa compagne.
Addison, incapable de supporter plus longtemps le spectacle de Zion veillant sur une autre, se leva.
- Excusez-moi... j'ai du travail, dit-elle d'une voix basse.
Aucune réaction. Comme si ses mots s'étaient dissous dans le brouhaha.
Zion, lui, poursuivait ses gestes tendres vers Claire, allant jusqu'à lui effleurer les cheveux, avant de jeter à Addison un regard chargé d'une satisfaction glaciale.