« Tu sais ce qui arrive aux petites filles qui jouent les martyres ? » chuchota-t-il, sa voix
un venin. « Elles finissent vraiment martyres. »
Il laissa tomber la toile par terre, la piétinant avec dédain.
« Nettoye-moi ça. Et si je trouve encore une trace de peinture dans cette maison, je te
jure que tu regretteras d'être née. »
Il sortit, claquant la porte derrière lui. Camila se leva, tremblante, et ramassa la toile
souillée. L'image de la femme enchaînée était déformée par l'empreinte de sa
chaussure. Comme elle.
Le lendemain, Alejandro partit tôt pour Madrid, une affaire « urgente » qui le retiendrait
deux jours. Un répit. Camila erra dans la maison, l'esprit en ébullition. La scène de la
nuit, la cruauté d'Alejandro, l'avait brisée, mais aussi réveillée. Une colère sourde
montait en elle, nouvelle, terrifiante.
Elle se souvint du numéro de Lucía, caché dans son téléphone sous le nom "Luna". Elle
prit son portable, enfermée dans la salle de bain, et composa le numéro d'une main
tremblante.
« Allô ? » La voix de Lucía était calme, professionnelle.
« C'est... c'est Camila. Camila Valdés. » Un silence. Puis : « Camila. Je suis contente
que tu appelles. »
« Je... j'ai besoin de parler. De voir quelqu'un. »
« Où es-tu ? Je peux venir à Séville dès demain. »
Camila sentit un poids s'alléger dans sa poitrine. « Vraiment ? »
« Vraiment. Dis-moi où et quand. »
Elles convinrent de se retrouver le lendemain après-midi au parc de Maria Luisa, près
de la fontaine des Lions. Un lieu public, discret.
Camila passa une nuit blanche, partagée entre l'espoir et la peur. Si Alejandro
l'apprenait...
Le lendemain, elle se posta près de la fontaine, enveloppée dans un châle, scrutant les
passants. Quand elle vit Lucía approcher, un soulagement immense l'inonda.
« Camila ! » Lucía l'étreignit chaleureusement. « Tu as l'air fatiguée. »
Elles s'assirent sur un banc. Sous le murmure de l'eau, Camila parla. Elle raconta tout.
Les humiliations, les interdictions, la destruction de ses toiles, la violence verbale,
l'isolement. Les mots sortaient comme un torrent, libérateurs et douloureux.
Lucía écoutait, sans jugement, son visage devenant de plus en plus grave.
« Camila, ce qu'il te fait... c'est de la violence psychologique. C'est une forme de
torture. Et c'est illégal. »
Camila baissa la tête. « Je sais. Mais... il est puissant. Personne ne me croira. »
« Moi, je te crois. » La voix de Lucía était ferme. « Et il y a des moyens. Des
associations, des refuges. Des preuves à rassembler. »
« Des preuves ? »
« Oui. Des enregistrements, des témoins, des documents. Tout ce qui peut montrer son
comportement. Et... » Lucía hésita. « Il y a autre chose. »
Elle baissa la voix. « Ces derniers mois, j'ai entendu des rumeurs dans le milieu
juridique. Sur ton mari. Des soupçons de corruption, de détournement de fonds publics
sur ses projets immobiliers. Beaucoup d'argent disparu. »
Camila ouvrit de grands yeux. « De la corruption ? »
« Oui. Si on pouvait prouver ça... non seulement il tomberait, mais ça affaiblirait son
emprise sur toi. »
Un espoir fou germa dans le cœur de Camila. Le faire tomber. Se libérer.
« Mais comment... »
« Sois attentive. Écoute ses conversations. Regarde ses papiers, si tu peux. Mais
prudence, Camila. Extrême prudence. »
Elles parlèrent encore un moment, Lucía lui donnant des conseils, des numéros
d'urgence. Puis Lucía dut partir.
« Tiens bon, » dit-elle en l'étreignant à nouveau. « Tu n'es pas seule. Plus jamais. »
Camila la regarda s'éloigner, un mélange de force et de peur en elle. Elle resta un
moment sur le banc, absorbée dans ses pensées. Puis elle se leva pour rentrer.
Alors qu'elle traversait une allée bordée de hauts buissons, un éclat bizarre attira son
regard. Entre les feuilles, à une dizaine de mètres, quelque chose brillait. Elle plissa les
yeux.