Le cœur battant, elle se glissa hors de la maison, enveloppée dans un châle discret. La
galerie était un havre de fraîcheur, aux murs blancs inondés de lumière. Des toiles
vibrantes de couleurs y racontaient des histoires de résistance, d'amour, de douleur.
Camila se perdit dans la contemplation d'une œuvre représentant une femme
enchaînée par des lianes fleuries, mais dont les mains, libres, sculptaient la pierre.
« Puissant, n'est-ce pas ? »
Une voix masculine la fit sursauter. Un homme d'une quarantaine d'années, aux
cheveux poivre et sel et aux yeux pétillants d'intelligence, la regardait avec intérêt. Il
portait un badge : Rafael Soto, Directeur.
« Oui, » murmura-t-elle. « C'est... c'est comme si les fleurs étaient à la fois sa prison et
sa force. »
Rafael sourit, surpris. « C'est exactement ce que l'artiste voulait exprimer. Vous avez
l'œil. »
Il la regarda plus attentivement. « Vous savez, il y a quelque chose dans votre façon de
regarder... Vous êtes artiste vous-même ? »
Camila rougit. « Je... je peignais. Autrefois. »
« Autrefois ? Le talent ne se perd pas. » Il fit un geste autour de lui. « Nous cherchons
justement de nouvelles voix pour notre prochaine exposition, "Les Voix de l'Ombre".
Des artistes qui explorent les luttes intérieures, les résiliences cachées. »
Camila sentit une bouffée d'espoir, folle, dangereuse. Exposer ? Sous son nom ?
Impossible. Alejandro...
« Je... je ne sais pas, » balbutia-t-elle.
« Réfléchissez, » insista Rafael, lui tendant une carte de visite. « Appelez-moi. Ou
revenez avec quelques esquisses. Je sens que vous avez quelque chose à dire. »
Camila prit la carte, la main tremblante. Quelque chose à dire. Oui. Sa douleur, sa
colère rentrée, son désir étouffé.
Pendant les jours qui suivirent, l'idée la hanta. En cachette, dans le petit réduit sous les
toits où elle avait réussi à dissimuler quelques fournitures, elle se remit à peindre. Des
toiles sombres, tourmentées, où des femmes aux visages flous luttaient contre des
forces invisibles. Une rage contenue guidait son pinceau.
Un matin, elle rassembla son courage. Elle sélectionna trois petites toiles, les enveloppa
soigneusement, et se rendit à la galerie La Luna Roja.
Rafael fut immédiatement captivé.
« C'est... saisissant, » murmura-t-il devant une toile où une femme noyée dans des
volutes bleu nuit tendait la main vers une lumière dorée. « Cette dualité... la noirceur et
l'espoir. C'est parfait pour "Les Voix de l'Ombre". »
Il lui proposa un contrat pour exposer sous pseudonyme. « Beaucoup d'artistes le font,
pour diverses raisons. Vous choisissez un nom, et votre secret est bien gardé. »
Camila hésita, puis accepta. Elle choisit le nom "Sombra". L'ombre. Celle qui observe,
qui subit, mais qui existe.
« Signez ici, » dit Rafael, lui tendant le contrat et un stylo.
Camila prit le stylo, une étrange sensation de liberté l'envahissant. Elle allait signer,
quand une ombre tomba sur le comptoir. Une ombre familière, glaciale.
Le visage d'Alejandro, déformé par une colère froide, apparut derrière la vitrine.