Chapitre 5 Il n'obéit pas

Noor n'était pas revenue s'asseoir. Elle avait quitté la salle de réunion avec un calme plus glacial que fragile, mais à l'intérieur, tout vibrait encore. Pas de honte. Pas de peur. Juste cette colère fine, lente, bien placée. Une morsure tranquille au creux de la gorge.

Elle déambulait dans les couloirs vitrés, les talons résonnant sur le carrelage. Elle n'avait rien à faire ici, pas vraiment. Mais elle n'avait pas envie de retourner à son bureau sans nom, près de l'imprimante. Elle voulait que Jude sache. Qu'il sente. Qu'il voit.

Elle ne croisa personne jusqu'à ce qu'elle ouvre, sans frapper, la porte d'un bureau vide. L'un de ceux en bout de couloir, inutilisés. Elle entra. Ferma derrière elle. Et soupira.

La pièce était baignée d'une lumière chaude. De là, elle pouvait voir les toits de Manhattan, le flux lent des voitures, les lignes d'or du soir qui commençaient à glisser entre les buildings. Elle posa les mains sur le rebord de la fenêtre et laissa retomber son front contre la vitre.

- Tu penses que c'est un jeu ?

Elle se retourna brutalement.

Jude était là.

Debout dans l'embrasure de la porte, les mains dans les poches, son regard plus sombre que tout ce qu'elle avait vu de lui jusqu'ici. Pas d'arrogance. Pas de façade. Seulement cette tension contenue, cette façon qu'il avait de ne jamais hausser le ton, mais de remplir tout l'espace.

- Tu m'as suivie ? demanda-t-elle.

Il referma la porte derrière lui, lentement.

- Tu viens d'arriver. Et tu commences déjà à provoquer à table, puis dans une salle pleine de cadres.

- Je pose une question simple, Jude. Un nom. Une identité.

Il s'avança d'un pas.

- Tu veux un nom ? Très bien. Je vais t'en donner un.

Il marqua une pause.

- Problème.

Elle le fixa.

- Tu aurais préféré que je baisse les yeux, que je reste dans mon coin ?

- J'aurais préféré que tu comprennes où tu viens de mettre les pieds.

Un silence. Lourd. Chargé.

Il s'approcha. Trop près. Elle ne bougea pas. Pas cette fois.

- Ici, dit-il lentement, les gens se taisent, apprennent, et attendent leur moment. Tu crois que le monde fonctionne autrement ? Regarde autour de toi. Tu crois qu'une fille comme toi débarque, s'assoit à la table, et fait plier les murs ?

Elle pencha légèrement la tête.

- Peut-être que je ne veux pas les plier. Peut-être que je veux les faire tomber.

Un éclat traversa son regard. Quelque chose entre surprise et fascination. Il s'approcha encore, jusqu'à sentir son souffle contre le sien.

- Tu devrais faire attention à ce que tu dis ici. Ce n'est pas le genre de maison où on aime les héroïnes.

- Et toi ? murmura-t-elle. Quel genre tu préfères ?

Le silence se fit brutal.

Puis, il se recula. Un pas. Deux. Son masque revint en place.

- Ce genre-là finit toujours par tomber. C'est une question de temps.

Il ouvrit la porte. Avant de sortir, il ajouta :

- Ton badge sera prêt demain. Il portera le nom qu'on t'a donné. Evans. C'est plus discret.

Et il disparut.

Noor resta immobile. Elle ne tremblait plus. Elle souriait presque.

Parce que, malgré ses mots, elle avait vu.

Jude Cross ne contrôlait pas tout.

Et surtout pas ce qu'il commençait à ressentir.

                         

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