img

L'héritière illégitime

Naelsh
img img

Chapitre 1 Bienvenue chez les Cross

La voiture noire glissa dans l'allée comme une ombre brillante sur le marbre, silencieuse et parfaitement contrôlée. L'air semblait suspendu, saturé de cette tension propre aux lieux trop riches pour paraître réels.

Noor ne toucha pas la poignée. Elle attendit que le chauffeur le fasse pour elle, comme on le lui avait dit. Tout ici semblait fonctionner selon un code invisible. Une chorégraphie bien huilée qu'elle n'avait jamais apprise.

Ses bottines, encore humides du trottoir new-yorkais, firent un bruit trop franc sur les dalles blanches du perron. Le manoir des Cross, dressé devant elle comme un palais étouffé de silence, sentait la pierre ancienne, les draps repassés, et quelque chose d'indéfinissable... quelque chose de froid.

Elle resserra son manteau autour d'elle.

Le majordome n'eut pas besoin de demander son nom. Il l'attendait. On l'attendait.

- Mademoiselle Noor Evans, dit-il simplement. Veuillez entrer.

Elle entra.

Et le monde changea.

Des lustres de cristal étincelaient au-dessus de sa tête, leur lumière se reflétant dans un sol si lustré qu'elle y vit son propre reflet trembler. Les murs étaient hauts, crème et or, ornés de tableaux qu'elle n'aurait jamais osé approcher dans un musée. Un escalier monumental, aux marches de bois foncé, s'élevait vers l'étage dans une courbe parfaite.

Noor avait grandi dans un deux-pièces à Savannah, où les rideaux ne fermaient plus et où la clim tombait en panne chaque été. Elle connaissait l'odeur des nouilles instantanées, pas celle du bois poli au citron. Et pourtant, c'était ici qu'on lui avait dit d'aller.

Parce qu'un homme avait prononcé, trois semaines plus tôt, une vérité qu'elle n'avait jamais osé soupçonner.

« Je suis ton père. »

Nathaniel Cross. Le roi de l'immobilier. L'homme dont le visage s'étalait sur les couvertures de Forbes et les murs de Wall Street. Un visage qu'elle avait vu des milliers de fois sans savoir qu'il contenait la moitié de son sang.

Il n'était pas là pour l'accueillir. Bien sûr qu'il ne l'était pas.

À la place, une femme au port raide, les cheveux d'un gris trop parfait pour être naturel, descendit quelques marches.

- Mrs. Abernathy, gouvernante en chef. Vous serez logée dans l'aile est, à l'étage supérieur. La chambre a été préparée.

Noor hocha la tête. Elle ne dit rien. Elle avait appris à ne pas parler trop vite.

- Monsieur Cross est en réunion, mais il souhaite vous voir ce soir, précisa Mrs. Abernathy, avant de se détourner.

Noor suivit la domestique qui l'accompagnait. Elles marchèrent en silence à travers des couloirs qui sentaient la lavande et la hiérarchie sociale. Aucun son ne filtrait à travers les lourdes portes. Même les horloges semblaient retenir leur tic-tac.

Quand on la fit entrer dans sa chambre, Noor resta figée.

Un lit immense, drapé de blanc. Un balcon qui donnait sur le jardin intérieur, où une fontaine chantait doucement. Une bibliothèque. Un bureau en acajou. Et une coiffeuse que sa mère aurait qualifiée de « royale », les yeux pleins de sarcasme.

Sa mère. Elle aurait détesté cet endroit. Elle aurait haï chaque détail, chaque silence. Et pourtant, c'était pour elle que Noor était venue. Pour comprendre. Pour savoir ce qu'elle avait fui, et ce qu'elle avait aimé.

Elle posa sa valise - une seule - près du lit. Et elle respira. Longtemps.

Ce n'est qu'alors qu'elle entendit la voix.

- Tu es arrivée.

Elle se retourna brusquement.

Il était adossé à l'encadrement de la porte. Costard gris foncé, col déboutonné, mains dans les poches. Les cheveux noirs légèrement en bataille comme s'il venait de retirer les doigts de quelqu'un d'autre de ses mèches. Il ne souriait pas.

Ses yeux, d'un bleu trop clair, la dévisagèrent sans émotion.

- Jude, dit-il. Je suis le fils de la maison. Celui qui n'a pas été planifié non plus.

Noor resta muette. La présence de cet homme la foudroya plus sûrement que le choc de la richesse. Il était beau. Dangereusement beau. Mais surtout... il était là comme une barrière.

Pas une bienvenue. Une alerte.

Il haussa un sourcil.

- Tu ne ressembles pas à ce que j'imaginais.

Et elle sut, à cet instant précis, que cette maison allait la briser.

Ou la transformer.

            
            

COPYRIGHT(©) 2022