Chapitre 3 Il ne dort jamais très loin

La nuit enveloppait le manoir Cross d'un silence trop parfait. Le genre de silence où chaque pas devient un aveu, chaque souffle un mensonge. Noor n'arrivait pas à dormir. Ses pensées tournaient en boucle, entre ce dîner glacial, l'étrangeté de son nouveau monde, et ce regard... celui de Jude.

Elle s'était levée sans faire de bruit. Juste pour marcher. Respirer quelque chose qui n'avait pas été nettoyé à la perfection. Pieds nus, elle s'avança dans le couloir. L'aile est semblait plus vivante la nuit. Les boiseries grondaient faiblement, comme si elles chuchotaient entre elles.

Au détour d'un virage, elle déboucha sur une galerie vitrée qui donnait sur le jardin intérieur. Elle ouvrit la porte et s'y glissa.

L'air frais la surprit. Enfin quelque chose d'authentique. Elle inspira longuement, s'approcha de la balustrade. En bas, la fontaine chantait toujours. Doucement. Lentement. Comme si rien ici ne pressait le temps.

Elle était seule. Elle le croyait.

- Tu ne dors pas ?

La voix jaillit derrière elle. Rêche. Calme. Parfaitement contrôlée.

Elle se retourna lentement. Jude était là, adossé au mur, les bras croisés sur la poitrine, vêtu d'un t-shirt noir et d'un pantalon de coton sombre. Pas de cravate. Pas de costume. Juste lui. Brut.

- J'aurais cru que tu dormais déjà depuis des heures, répondit-elle, le ton plus tranchant qu'elle ne le voulait.

- Je dors rarement quand il y a des inconnus dans la maison.

Elle serra les bras contre elle.

- Je ne suis pas une menace, si c'est ce que tu crois.

Il haussa les épaules.

- Tu es une inconnue avec des droits soudainement hérités. Ça revient au même.

Elle soutint son regard. Il était plus beau encore dans l'obscurité. Plus réel. Plus dérangeant. Ses traits durs, sa mâchoire crispée, son regard clair presque phosphorescent.

- Tu ne m'aimes pas, murmura-t-elle.

- Je ne te connais pas. Ce n'est pas pareil.

Un silence.

Elle se détourna, posa les mains sur la rambarde froide.

- Tu crois que je suis venue chercher un héritage ? Une chambre dorée ? Un père que je n'ai jamais eu ?

- Je ne crois rien. Mais je constate.

Elle le sentit s'approcher. Lentement. Il s'arrêta juste derrière elle. À quelques centimètres. Elle sentit la chaleur de son corps dans son dos, le souffle de ses mots s'écrasant à peine contre sa nuque.

- Tu ne ressembles pas à ton père. C'est peut-être pour ça que je t'observe.

Elle pivota, croisa son regard de plein fouet.

- Et à qui je ressemble, alors ?

Il la fixa un instant. Un battement de cœur. Deux.

- À un secret qu'il aurait dû enterrer plus profondément.

Elle recula d'un pas. Un frisson lui traversa la colonne. Pas de peur. Quelque chose d'autre. De dangereux.

- Bonne nuit, Jude.

Elle le contourna, regagna le couloir sans se retourner. Mais elle le savait. Il était resté là. Il la regardait partir. Et il avait semé quelque chose.

Un doute. Un trouble. Une faille dans ses défenses.

Elle referma doucement la porte de sa chambre, s'adossa contre elle, et ferma les yeux. Mais ce n'était pas le noir qu'elle voyait.

C'était lui.

            
            

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