La lumière crue du bureau de Matthieu tombait sur ses épaules tendues. Trois ans de mariage, et je le voyais encore plus souvent penché sur ses plans de cuisine que sur moi. Il préparait un concours culinaire, le plus important de sa carrière, disait-il.
Je suis entrée doucement, tenant un petit flacon de parfum. C'était ma dernière création, une fragrance que j'avais commencée pour nous, pour notre amour.
« Matthieu, j'ai fait ça pour toi. »
Il n'a même pas levé les yeux de ses papiers.
« Pose ça quelque part, Éléonore. Je suis occupé. »
Sa voix était sèche, distante. J'ai posé le flacon sur un coin de son bureau, à côté d'un cadre photo. Dans le cadre, ce n'était pas moi. C'était Camille, son amour de jeunesse.
Il a finalement levé la tête, son regard s'est posé sur mon flacon. Un froncement de dégoût a plissé son front.
« Ne laisse pas tes affaires personnelles ici. C'est l'endroit de Camille. »
Mon cœur s'est serré. L'endroit de Camille. Même après trois ans, j'étais une intruse dans notre propre maison.
Soudain, son téléphone a sonné, brisant le silence glacial. Il a décroché, son visage changeant instantanément. La panique a remplacé l'agacement.
« Quoi ? Un incendie ? Camille ! »
Il n'a pas dit un mot de plus. Il a bondi de sa chaise, a attrapé ses clés et s'est précipité dehors. Il n'a même pas jeté un regard dans ma direction.
Je suis restée figée, le son de la porte qui claque résonnant dans mes oreilles. Puis, sans réfléchir, j'ai pris mon propre manteau et je l'ai suivi.
La scène à Lyon était un chaos de flammes et de fumée. Le bistro de Camille était en feu. Je l'ai vu, Matthieu, sans hésiter une seconde, se jeter à travers les débris pour entrer dans le bâtiment en flammes. Ses amis, qui étaient déjà là, criaient son nom, impuissants.
L'un d'eux m'a aperçue.
« Éléonore ? Qu'est-ce que tu fais là ? »
Un autre a ricané amèrement.
« Il est fou. Il a toujours été fou d'elle. Il a construit toute sa carrière pour l'impressionner, et maintenant il va mourir pour elle. »
Chaque mot confirmait ce que je savais déjà. J'étais un second choix, une obligation.
Un long moment plus tard, les pompiers sont sortis, suivis de Matthieu. Il portait Camille dans ses bras, inconsciente. Lui-même était couvert de suie, et ses mains... ses mains, son outil de travail le plus précieux, étaient horriblement brûlées. Il a fait quelques pas, a déposé Camille en sécurité, puis s'est effondré.
À l'hôpital, je suis restée à distance, cachée par une porte entrouverte. Je l'ai vu se réveiller. Camille était à son chevet, pleurant.
« Pourquoi as-tu fait ça, Matthieu ? »
Sa voix, même faible, était pleine d'une tendresse que je n'avais jamais entendue pour moi.
« Je suis devenu chef pour toi, Camille. Tu rêvais d'épouser un grand cuisinier. Tout ce que j'ai fait, c'était pour toi. »
Ils se sont étreints. À cet instant, une autre scène s'est superposée dans mon esprit. Un souvenir douloureux. Mon père, sur son lit de mort, me tenant la main.
« Éléonore, mon enfant... Matthieu est un bon garçon. Il prendra soin de toi. Je lui ai tout appris. C'est ma dernière volonté. »
J'avais appris plus tard la vérité. Matthieu avait accepté de m'épouser par devoir envers mon père, son mentor, juste après que Camille se soit mariée avec un autre homme. J'étais le prix de consolation.
Je suis rentrée seule dans notre appartement parisien. Le silence était lourd. J'ai sorti mon orgue à parfums, mes huiles essentielles. J'ai pris le flacon que j'avais créé pour notre amour, ce parfum qui sentait la fleur d'oranger et le jasmin, la promesse d'un bonheur simple.
Mes mains tremblaient, mais ma décision était prise. J'ai ouvert une petite fiole sombre. Du goudron de bouleau. Une note âcre, fumée, l'odeur de la destruction et de la trahison.
J'en ai ajouté une goutte dans mon "Parfum de la Rupture". La belle harmonie a été brisée, corrompue. C'était la première note de la fin.