Alors que j'attendais l'ascenseur, la porte du penthouse s'est rouverte brusquement. Pierre est sorti, son visage tendu.
"Jeanne !"
Il a commencé à marcher vers moi, mais derrière lui, Sophie a trébuché sur le seuil, poussant un petit cri.
"Pierre, attention ! Le sol est glissant !"
Instantanément, il s'est arrêté. Il a pivoté et s'est précipité vers elle, la rattrapant avant qu'elle ne tombe. Il l'a tenue dans ses bras, la grondant doucement.
"Fais attention, tu es si fragile."
Il a choisi. En une seconde, il a choisi. Il a choisi de la protéger, elle, plutôt que de me retenir, moi.
J'ai regardé la scène, le cœur froid comme la pierre. Ce n'est pas de l'amour, je me suis dit. L'amour ne fonctionne pas comme ça. Quand on aime quelqu'un, on ne le laisse pas partir pour secourir quelqu'un d'autre. Quand on aime quelqu'un, on traverse la pièce en courant, on se met à genoux s'il le faut, on ne se laisse pas distraire. Il ne m'aimait pas. Il ne m'avait jamais aimée. Il aimait le pouvoir qu'il avait sur moi.
Les portes de l'ascenseur se sont ouvertes. Je suis entrée sans me retourner.
Qui étais-je pour lui, finalement ? Une maîtresse ? Un animal de compagnie bien dressé ? Un trophée ? J'avais joué un rôle pendant si longtemps que j'avais oublié qui j'étais sans lui.
Dans le taxi qui me ramenait à mon propre appartement – un appartement qu'il payait, ai-je réalisé avec un haut-le-cœur – mon téléphone a vibré. Un message de Pierre.
Non. Un message de son numéro, mais ce n'était pas son style.
"Jeanne, c'est Sophie. Pourrais-tu s'il te plaît venir récupérer tes affaires demain ? Pierre et moi avons besoin d'intimité, et la présence de tes choses... l'odeur d'une autre femme dans son appartement... ça me met mal à l'aise. Merci de ta compréhension."
La bile m'est montée à la gorge. L'audace. La fausse gentillesse. "L'odeur d'une autre femme". J'étais là depuis cinq ans. C'est elle, l'autre femme.
Le lendemain, je suis retournée au penthouse. Pierre n'était pas là. Sophie m'a ouvert, vêtue d'une de mes robes. Une robe que j'avais dessinée moi-même. Ça m'a fait un choc.
J'ai commencé à rassembler mes affaires dans des cartons. Mes vêtements, mes livres, mes produits de beauté. Je réalisais à quel point ma vie était entremêlée à la sienne. Presque tout ce que je possédais ici, c'est lui qui me l'avait offert. J'avais lentement, insidieusement, perdu mon indépendance. J'étais devenue une femme entretenue, exactement ce que j'avais juré de ne jamais être.
Mon téléphone a vibré. Un vrai message de Pierre, cette fois.
"Tu n'es pas obligée de tout prendre. Laisse ce que tu veux. Je peux continuer à..."
Je n'ai pas lu la fin. J'ai tapé ma réponse, les doigts tremblants de rage.
"Continuer à quoi ? Me payer comme une prostituée de luxe ? Non merci. Je n'ai pas besoin de ton argent."
Sa réponse a été quasi instantanée.
"Ne sois pas ridicule. De quoi vas-tu vivre ? De tes petites créations ?"
Le mépris dans ses mots m'a blessée, mais il a aussi allumé un feu en moi. Mes "petites créations" m'avaient rendue célèbre bien avant de le rencontrer. J'étais Jeanne Dubois, une styliste reconnue. J'avais juste oublié.
J'ai regardé mon reflet dans la baie vitrée. J'étais peut-être une "rose épineuse", mais j'avais des racines profondes. Mon père avait peut-être fait de mauvais choix, mais il m'avait transmis le nom d'une famille respectée dans le milieu de l'art parisien. J'étais peut-être tombée, mais je n'étais pas n'importe qui. On ne m'appelait pas la "petite princesse du Marais" pour rien dans le cercle de mes amis.
J'ai envoyé un dernier message.
"Tu te trompes de combat, Pierre. Tu penses que tu as dressé un chien. Mais tu vas découvrir que tu as essayé de mettre en laisse un loup. Et tu n'as pas la moindre idée de ce qui t'attend."
J'ai bloqué son numéro, j'ai pris mes cartons et je suis partie sans un regard pour Sophie, qui me regardait avec un mélange de triomphe et d'anxiété.
En bas, dans la rue, j'ai appelé ma meilleure amie.
"Chloé ? J'ai besoin de toi. Et d'un verre. Ou peut-être de la bouteille entière."