Je me suis retournée pour lui faire face. Son visage était un masque d'incompréhension et d'impatience. Il n'était pas habitué à ce qu'on lui résiste, surtout pas moi.
"Je veux ce collier. Le mien. Celui de ma mère."
"Je te l'ai dit, je l'ai donné à Sophie. C'est un cadeau. Tu ne peux pas le reprendre."
"Bien sûr que si. Ce n'était pas à toi de le donner."
"Je l'ai payé. Il est à moi. Et je choisis à qui je le donne."
Sa logique était implacable, et c'est ça qui était le plus révoltant. Pour lui, c'était une simple transaction. Pour moi, c'était une trahison.
"Très bien," ai-je dit, ma voix devenant glaciale. "Garde-le. Garde-la. Mais moi, tu me perds."
Je me suis détournée à nouveau, décidée à en finir.
"Ne sois pas stupide, Jeanne. Notre arrangement te convenait très bien. Tu as tout ce que tu veux. Une vie de luxe, l'accès à mon monde..."
"J'ai une phobie, Pierre," l'ai-je coupé, ma main sur la poignée de la porte.
Il a froncé les sourcils, surpris. "Une phobie ?"
"Oui. La saleté. Je ne supporte pas ce qui est sale. Et tout ce que tu touches, tout ce que elle touche, me semble soudain incroyablement sale."
Son visage s'est durci. "Fais attention à ce que tu dis."
"Ou quoi ? Tu vas me punir ?" J'ai ri de nouveau, mais cette fois, c'était un son libérateur. "Les règles de ton jeu ne s'appliquent plus, Pierre. J'ai été ta chienne, comme tu aimes le dire. Je t'ai été loyale. Mais une chienne, ça n'accepte pas de partager son maître. Surtout pas avec une petite chose insignifiante qui essaie d'imiter sa démarche."
J'ai ouvert la porte. L'air frais du couloir m'a semblé être le premier souffle de ma nouvelle vie.
"Adieu, Pierre."
"Jeanne, attends !"
Il a fait un pas vers moi, son visage déformé par une panique que je ne lui avais jamais vue. Il perdait le contrôle, et il ne le supportait pas.
Mais juste à ce moment-là, la porte de la chambre s'est ouverte. Sophie est apparue, vêtue d'un des peignoirs en soie de Pierre, beaucoup trop grand pour elle. Elle avait l'air d'une enfant qui a piqué les vêtements de sa mère. Elle avait les yeux rouges, comme si elle avait pleuré.
"Pierre ?" a-t-elle murmuré d'une petite voix tremblante. "Qu'est-ce qui se passe ? Elle te fait du mal ?"
Elle s'est approchée de lui, se blottissant contre son bras, le regardant avec des yeux de biche effarouchée. C'était une performance parfaite. La victime innocente, la fleur fragile qui a besoin de protection.
Pierre, automatiquement, a passé un bras autour de ses épaules pour la rassurer. Son instinct de protecteur, ou plutôt de possesseur, a pris le dessus.
Ce simple geste a brisé le dernier fil qui me retenait à lui. Le voir réconforter la cause de mon malheur a été la confirmation finale.
J'ai souri, un vrai sourire cette fois. Un sourire de pitié pour lui, et de liberté pour moi.
Sans un mot de plus, je suis sortie dans le couloir et j'ai laissé la porte se refermer sur eux. Le "clic" du verrou a été le son le plus doux que j'aie entendu de toute la soirée.