Pierre avait des goûts particuliers. Il n'aimait pas seulement la soumission, il la fétichisait. Il aimait que je porte des tenues spécifiques, que je réponde d'une certaine manière, que j'adopte une posture précise. Au début, ça m'avait dérangée. Mais j'étais jeune, et follement amoureuse de cet homme puissant et charismatique. J'ai fini par y voir un jeu, une preuve de son désir unique pour moi. Je me suis convaincue que c'était notre secret, notre intimité. J'étais devenue la "rose épineuse" qu'il aimait "dompter", une femme forte en public, mais entièrement à lui en privé.
La nuit précédant le gala, tout semblait parfait. Nous avions fait l'amour avec une intensité qui m'avait laissée tremblante. Après, allongé dans les draps de soie, il avait caressé mes cheveux.
"Le gala de demain est important," avait-il dit.
Mon cœur s'était emballé. J'avais pensé qu'il allait enfin me demander de l'épouser, de rendre notre relation officielle.
"Je sais," avais-je répondu, ma voix douce.
"Je vais faire une annonce. Quelque chose qui va solidifier ma position et mon image."
J'avais souri dans le noir, certaine que cette annonce me concernait. J'imaginais déjà les titres : "Le magnat Pierre Leclerc épouse la célèbre styliste Jeanne Dubois." C'était la suite logique. Cinq ans. Une éternité dans notre monde.
Puis il avait ajouté une phrase qui, rétrospectivement, aurait dû m'alerter.
"Sophie m'a beaucoup aidé à préparer tout ça. Elle est d'une efficacité redoutable."
Je n'avais rien relevé, aveuglée par mon propre espoir.
Maintenant, l'image du collier autour du cou de Sophie revenait sans cesse. Chaque perle était un coup de poignard. C'était le collier de ma mère. Il le savait. Il savait ce que ça représentait. Et il l'avait utilisé pour m'humilier de la manière la plus personnelle et la plus publique qui soit. Le message était clair : même la chose la plus intime et précieuse pour moi n'était qu'un outil pour lui, un accessoire pour son spectacle.
Il m'avait rattrapée dans le grand salon, après que j'ai claqué la porte de la salle de bal. Il avait attrapé mon bras, sa poigne de fer me faisant mal.
"Qu'est-ce que c'était que ce cirque, Jeanne ?"
"Le cirque ? C'est toi qui l'as commencé, Pierre. En public."
"Je t'avais dit que j'allais faire une annonce. Je dois soigner mon image. Un mariage avec une jeune femme douce et respectable comme Sophie, c'est parfait pour les affaires."
Il l'a dit comme s'il parlait de la météo. Froidement. Logiquement.
"Et moi ? Qu'est-ce que j'étais, pendant cinq ans ?"
Son regard s'est adouci, mais c'était un adoucissement manipulateur, celui qu'il utilisait quand il voulait me ramener dans le jeu.
"Toi, tu es ma rose épineuse. Tu es excitante, passionnée. Mais tu n'es pas le genre de femme qu'on épouse. Tu es le genre de femme qu'on garde pour soi, dans le secret. Sophie, c'est une fleur délicate, une façade parfaite."
Pendant des années, j'avais trouvé ce surnom, "rose épineuse", presque flatteur. Il reconnaissait ma force, mon caractère. Mais ce soir, j'ai compris. Ce n'était pas un compliment. C'était une cage. Il aimait mes épines parce qu'il aimait le défi de les contourner, de me "dompter". Mais il ne voulait pas de ces épines dans sa vie publique. Pour ça, il voulait une "fleur délicate", une plante décorative sans volonté propre.
Je me suis regardée dans le grand miroir du salon. Quand je l'avais rencontré, j'étais une jeune styliste pleine de rêves, une "petite marguerite", comme disait ma meilleure amie Chloé. J'étais devenue cette femme sophistiquée, cette "rose" qui cachait ses blessures derrière une façade de perfection. C'était lui qui m'avait façonnée. Ou plutôt, j'avais laissé faire.
Je me suis dégagée de son emprise, une force nouvelle parcourant mes veines.
"C'est fini, Pierre."
Je me suis dirigée vers la porte, mon sac à la main. Je voulais juste partir, respirer un air qui n'avait pas son odeur.
"Attends."
Sa voix a craqué. Juste un mot. Mais il était chargé d'une possessivité paniquée. Il n'avait pas fini de jouer. Il n'acceptait pas que le jeu soit terminé.
J'ai senti sa main effleurer mon dos, juste avant que j'atteigne la poignée de la porte. L'odeur familière de son eau de Cologne, un mélange de cèdre et d'agrumes, m'a enveloppée une dernière fois. Une part de moi, celle qui avait été conditionnée pendant cinq ans, a eu envie de se retourner et de céder. Mais une autre part, plus forte, plus en colère, m'a ordonné de continuer à marcher.