Ces mots, clairs et nets, ont transpercé le brouillard de ma conscience. C'était la confirmation finale, la plus cruelle. Mon corps était trop faible pour réagir, mais mon esprit était d'une clarté glaciale. Il n'y avait plus de doute, plus de place pour la moindre parcelle d'espoir. Juste un vide immense et froid.
Quand j'ai rouvert les yeux, il était là, assis à mon chevet dans la chambre d'hôpital impersonnelle. Il tenait un thermos.
"Aurore, tu es réveillée," a-t-il dit avec un soulagement parfaitement simulé. "Tu m'as fait si peur. Je t'ai apporté de la soupe."
Je l'ai regardé. J'ai regardé ses yeux, son sourire inquiet, le geste tendre avec lequel il voulait me servir. Et pour la première fois, j'ai ressenti un dégoût profond, physique. C'était un excellent acteur. Trop bon.
"Sors," ai-je dit, ma voix un simple murmure rauque.
Il a froncé les sourcils. "Quoi ?"
"Sors d'ici. Je ne veux plus jamais te voir."
Son visage s'est durci un instant, une fraction de seconde où le masque est tombé, avant de reprendre une expression blessée. Il a essayé de protester, mais j'ai tourné la tête vers le mur. Je ne voulais plus voir son visage, plus entendre sa voix.
Après son départ, j'ai systématiquement jeté tout ce qui venait de lui. Les fleurs sur la table de chevet, les chocolats, tout. Une infirmière a retrouvé un petit bracelet en argent qu'il m'avait offert pour notre premier anniversaire de partenariat. Je l'ai pris et, sans une hésitation, je l'ai laissé tomber dans la poubelle des déchets médicaux. C'était un geste froid, calculé. Je me débarrassais du passé, morceau par morceau.
De retour à notre appartement commun, le temps de rassembler mes affaires, j'ai agi rapidement. Je ne voulais rien garder de cette vie. Alors que je vidais mon ordinateur, un dossier a attiré mon attention. Il était verrouillé, un niveau de cryptage que je ne connaissais pas. Poussée par une curiosité morbide, j'ai utilisé mes compétences pour le déverrouiller.
Ce que j'ai trouvé m'a glacée. Ce n'était pas un dossier de travail. C'était un sanctuaire. Des centaines de photos de Sophie Bernard. Sophie à la plage, Sophie au restaurant, Sophie dormant. Des vidéos, des enregistrements de sa voix. Et des plans. Des plans détaillés sur la façon de la faire progresser dans sa carrière, en utilisant l'entreprise d'Édouard, puis la nôtre, comme tremplins. Mon nom apparaissait souvent, toujours comme un "atout" ou un "obstacle à gérer".
J'étais en train de faire défiler ces images de leur bonheur secret quand la porte s'est ouverte. C'était Marc. Il m'a vue devant l'ordinateur ouvert, le sanctuaire de Sophie exposé à la lumière.
La panique a traversé son visage. Une panique pure, animale. Il s'est précipité, a claqué l'écran de l'ordinateur portable.
"Qu'est-ce que tu fais ?" a-t-il crié, sa voix plus aiguë que d'habitude.
"Je sais tout, Marc," ai-je dit calmement. Le calme de ceux qui n'ont plus rien à perdre.
Il a tenté de se justifier, bafouillant des excuses, des mensonges incohérents. Il a dit que c'était du passé, qu'il avait gardé ça par nostalgie, que c'était moi qu'il aimait maintenant. Chaque mot sonnait faux, chaque excuse était une insulte à mon intelligence.
Je ne l'ai pas laissé finir. J'ai pris le petit carnet où j'avais noté toutes mes idées, toutes mes esquisses de projets futurs, ceux qui devaient assurer notre succès. C'était mon bien le plus précieux. Je suis allée à la cuisine, j'ai allumé un brûleur de la gazinière et j'ai laissé les flammes dévorer les pages, une par une. L'encre se tordait, les idées se transformaient en cendres.
Marc me regardait, horrifié. "Aurore, non ! C'est notre avenir !"
"Non, Marc," ai-je corrigé. "C'était ton avenir avec Sophie. Construit sur mes ruines."
Il a essayé de me prendre dans ses bras, de me consoler. Il a sorti une boîte de sa poche. Un collier de diamants. Un cadeau extravagant. Une tentative pathétique d'acheter mon silence, mon pardon.
"Prends ça, Aurore. C'est pour toi. Pour me faire pardonner."
J'ai ri. Un rire sec, sans joie. J'ai repoussé la boîte et je suis partie, le laissant seul au milieu des cendres de mes rêves et de son sanctuaire profané.
Je marchais dans la rue sans but, essayant de mettre de la distance entre moi et cette vie empoisonnée. C'est là que je l'ai vue. Sophie Bernard, en personne, sortant d'une boutique de luxe. Elle était exactement comme sur les photos, belle, arrogante, sûre d'elle. Nos regards se sont croisés.
Au même moment, un cycliste a dérapé sur la chaussée mouillée et m'a percutée de plein fouet. J'ai été projetée au sol, ma cheville s'est tordue dans un angle douloureux. La douleur était vive, fulgurante.
Sophie s'est approchée, non pas pour m'aider, mais avec un sourire suffisant.
"Aurore Dupont, je présume," a-t-elle dit, sa voix pleine de mépris. "Marc m'a beaucoup parlé de vous. Enfin, surtout de votre... utilité."
Elle me regardait de haut, moi, allongée sur le trottoir, blessée et humiliée. La douleur à ma cheville n'était rien comparée à la douleur de ses mots. Elle était venue réclamer son dû, savourer sa victoire.