Ce soir-là, une intuition m'a poussée à vérifier un dossier sur son ordinateur portable, un dossier que je n'étais pas censée ouvrir. J'ai trouvé des e-mails, des conversations. Chaque mot était une confirmation glaciale de la vérité. Édouard n'avait jamais eu de sentiments pour moi. Il m'utilisait, moi et mes innovations, pour propulser son entreprise au sommet. Le mariage n'était qu'une dernière étape pour s'approprier légalement tout mon travail.
Le sol s'est dérobé sous mes pieds. La pièce a commencé à tourner. La douleur était si intense, si physique, que j'ai eu du mal à respirer. C'était une trahison totale, professionnelle et personnelle.
Le lendemain, je ne suis pas allée à la mairie. Je suis allée à son bureau. Je lui ai tout jeté au visage, les larmes de rage brouillant ma vue. Il n'a même pas essayé de nier. Son visage, autrefois si aimant, était un masque de froideur et de mépris.
"Aurore, sois réaliste," m'a-t-il dit, sa voix dénuée de toute émotion. "Tes innovations ? Sans moi, elles ne seraient rien. Maintenant, sors de mon bureau."
En quelques heures, j'ai tout perdu. Mon fiancé, mon travail, ma réputation. Édouard a utilisé son pouvoir pour me mettre au ban de la profession. Personne ne voulait plus m'embaucher. J'étais devenue une paria.
J'étais au plus bas, seule dans mon appartement vide qui aurait dû être notre nid d'amour. C'est alors que Marc Dubois a sonné à ma porte. Marc, mon ancien collègue, mon rival de toujours. On s'était toujours défiés, toujours concurrencés sur chaque projet. Il venait de quitter un poste prestigieux à l'étranger.
Il se tenait là, sous la pluie, l'air grave. Il m'a dit qu'il avait tout appris, qu'il ne pouvait pas laisser Édouard s'en tirer comme ça. Il a publiquement pris ma défense, sacrifiant sa propre réputation fraîchement acquise. Il m'a avoué qu'il m'aimait en secret depuis des années, qu'il avait toujours admiré mon talent derrière notre rivalité. Il m'a proposé de créer notre propre entreprise, de lui montrer, à Édouard et au monde entier, de quoi nous étions capables.
Ses mots étaient un baume sur mes plaies. Pour la première fois depuis des jours, j'ai senti une lueur d'espoir. Un homme sacrifiait tout pour moi. J'ai pleuré, mais cette fois, c'étaient des larmes de gratitude. J'ai accepté.
Ensemble, nous avons connu un succès fulgurant. Notre entreprise est devenue la nouvelle étoile montante de la tech. Nous étions partenaires dans le travail et dans la vie. J'avais l'impression de revivre. Marc était attentionné, passionné, tout ce qu'Édouard avait fait semblant d'être. J'étais heureuse, vraiment heureuse.
Mais un soir, alors que je rentrais plus tôt que prévu au bureau, je l'ai entendu au téléphone. Sa voix était douce, une douceur que je ne lui connaissais pas. Il parlait à son ex-petite amie, Sophie Bernard.
"Sophie, mon amour," disait-il. "Encore un peu de patience. Tout ce que je fais, c'est pour toi. Une fois que j'aurai consolidé notre position grâce aux derniers projets d'Aurore, je pourrai enfin faire pression sur le conseil d'administration d'Édouard. Tu auras le poste que tu mérites. Mes sacrifices ? Ce n'est rien. Aurore est si facile à manipuler."
Le monde s'est effondré une seconde fois. Mais cette fois, c'était pire. La première trahison m'avait brisée, la seconde m'a anéantie. Ce n'était pas seulement une manipulation, c'était une mise en scène macabre où j'étais l'unique spectatrice et la victime. Mon sauveur était un monstre encore plus froid que le premier.
Dévastée, le cœur en miettes, je suis rentrée chez moi. Mon regard s'est posé sur l'interface de mon "Système de gestion de carrière", une entité technologique qui m'avait accompagnée toute ma vie, m'offrant des "missions" et des "récompenses". Il y avait une option que je n'avais jamais envisagée. Une "porte de sortie". Pour les cas d'échec total, de désespoir absolu.
J'ai posé mon doigt sur l'écran. Une voix neutre a résonné dans le silence de la pièce.
"Êtes-vous sûre de vouloir initier la procédure de 'disparition' ? Cette action est irréversible."
"Oui," ai-je murmuré, la voix brisée. "Fais-moi disparaître de ce monde."
La lumière bleue de l'écran a commencé à pulser doucement. Marc continuait de jouer son rôle à la perfection. Il me préparait mon plat préféré, me demandait comment s'était passée ma journée. Son visage affichait une tendresse étudiée, mais je ne voyais plus que le manipulateur. Chaque geste, chaque mot était un mensonge.
Un appel est arrivé. Un problème majeur sur un de nos plus gros projets, un système de gestion urbaine pour une métropole. Le client était furieux, menaçait de tout annuler. C'était notre contrat le plus important.
J'avais une solution. Un prototype personnel, un algorithme que j'avais développé pendant des années, bien avant de connaître Marc. C'était mon chef-d'œuvre, mon jardin secret. Le donner à l'entreprise signifiait le sacrifier, le livrer à Marc et, par conséquent, à Sophie.
Marc m'a regardée avec des yeux suppliants. "Aurore, je sais ce que je te demande... Mais c'est notre seule chance."
Je l'ai regardé, le cœur vide. J'ai vu la cupidité dans ses yeux, l'ambition pour Sophie. Mon sacrifice ne serait qu'une autre marche pour eux. Sans un mot, j'ai transféré les fichiers. Il m'a prise dans ses bras, me remerciant avec une gratitude feinte. Je suis restée raide, un bloc de glace. Il n'a même pas remarqué.
Quelques jours plus tard, la catastrophe. Une panne générale du système que nous venions de livrer. Un chaos total dans la ville. Immédiatement, les accusations ont fusé. Un rapport interne, étrangement rapide et précis, a fuité dans la presse. Il me désignait comme unique responsable. Sabotage. Négligence grave.
C'était l'œuvre de Marc et Sophie. Ils m'avaient utilisée, puis ils m'avaient piégée pour se dédouaner.
Marc m'a confrontée devant toute l'équipe. Il a joué le rôle du PDG trahi et déçu. "Comment as-tu pu nous faire ça, Aurore ? Après tout ce que j'ai fait pour toi ?"
La punition a été rapide et cruelle. Pas de licenciement, c'eût été trop simple. Il m'a assignée à la maintenance des serveurs physiques, au sous-sol. Un travail humiliant, isolé, dans le froid et l'obscurité. Chaque jour, je devais supporter les regards méprisants de mes anciens collègues. C'était une torture psychologique constante.
Je me suis surmenée, dormant à peine, mangeant peu. Mon corps a fini par lâcher. Je me suis effondrée dans le couloir glacial du sous-sol. Ma dernière vision a été celle de chaussures chères s'arrêtant près de mon visage. J'ai levé les yeux. C'était Marc. Son expression était illisible, un mélange étrange d'inquiétude et de triomphe. Puis, tout est devenu noir.