Quand le taxi s'est arrêté, j'ai jeté des billets sur le siège et je suis sortie en courant. J'ai grimpé les escaliers de l'immeuble quatre à quatre, mon souffle court.
J'allais trouver Antoine. Le vrai. Il devait être là, avec elle. Il allait m'expliquer cette blague cruelle.
J'ai tambouriné à la porte de Chloé.
La porte s'est ouverte. C'était elle. Habillée d'une robe de soie, l'air surprise.
"Camille ? Mais... qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'es pas avec ton mari ?"
Derrière elle, j'ai vu Antoine. Mon Antoine. Il sortait de la chambre, torse nu, une serviette autour de la taille.
Le voir comme ça, dans l'appartement de ma meilleure amie, a été un choc violent.
"Antoine," ai-je dit, ma voix brisée. "Dis-moi ce qui se passe. S'il te plaît."
Il m'a regardée avec une froideur que je ne lui connaissais pas.
"Ce qui se passe, Camille, c'est que tu débarques chez moi et ma compagne en plein milieu de la journée. C'est assez déplacé."
"Ta compagne ?" ai-je répété, le mot me brûlant les lèvres. "Chloé ? Mais... et moi ?"
"Toi ?" a-t-il dit en haussant un sourcil. "Je ne sais pas ce que tu attends de moi. Nous n'avons jamais rien eu ensemble. Tu es l'amie de Chloé, c'est tout."
Le déni était si total, si calme, que j'ai commencé à douter de ma propre mémoire une seconde fois.
"Ce n'est pas vrai !" ai-je crié. "On a communiqué pendant trois ans ! Tous les jours ! Tu m'as dit que tu m'aimais !"
Antoine a soupiré, comme si j'étais une enfant capricieuse.
"Je crois que tu as un problème, Camille. Montre-moi ces messages."
Il savait. Il savait qu'ils n'existaient plus, ou qu'ils avaient été changés.
"Tu sais très bien qu'ils ont disparu !"
"Alors tu n'as aucune preuve," a-t-il conclu froidement. "Écoute, j'ai été poli avec toi par message parce que tu es l'amie de Chloé et que tu vivais une expérience difficile. J'ai essayé d'être un soutien. Mais si tu as mal interprété ma gentillesse, c'est ton problème."
Chaque mot était une lame. Ce n'était pas de la manipulation, c'était de la pure cruauté.
Et le pire, c'est que... il ne mentait pas. Je pouvais le voir dans ses yeux. Il semblait sincèrement croire à ce qu'il disait. Il n'y avait aucune trace de notre passé commun dans son regard. C'était comme si pour lui, ça n'avait jamais existé.
Mon esprit était au bord de l'implosion. Comment deux réalités pouvaient-elles coexister ? La mienne, pleine de trois ans d'amour et de promesses. Et la sienne, où je n'étais qu'une connaissance lointaine.
"Mais... le mariage..." ai-je murmuré.
"Tu es mariée à l'autre," a dit Chloé, posant une main possessive sur le bras d'Antoine. "L'artiste. Celui avec le masque. On était tous à ton mariage, tu ne te souviens pas ?"
Elle aussi, elle semblait sincère. C'était ça le plus terrifiant. Ils n'avaient pas l'air de jouer la comédie. Ils vivaient dans une réalité différente de la mienne.
À ce moment-là, on a entendu du bruit dans l'escalier. La porte de l'appartement était toujours ouverte.
L'homme à la gargouille est apparu sur le palier, l'air essoufflé.
"Camille... pourquoi es-tu partie ?" a-t-il dit.
Puis il a vu Antoine torse nu. Le masque s'est tourné lentement vers moi.
"Tu m'as quitté... pour lui ?"
La situation était tellement grotesque qu'elle en devenait surréaliste.
Des voisins ont ouvert leurs portes, attirés par le bruit.
"C'est la folle de l'aéroport !" a crié quelqu'un.
"Elle trompe son mari avec le copain de sa meilleure amie !"
"Quelle honte !"
Les accusations fusaient. J'étais prise au piège entre deux réalités, jugée par des inconnus, trahie par mes plus proches amis.
Antoine a secoué la tête avec un air de dégoût. "Chloé, je crois qu'on devrait appeler ses parents. Elle a besoin d'aide."
"Non !" ai-je crié.
Mes parents. Ils étaient ma dernière chance. Ils étaient des intellectuels, des professeurs d'université. Ils étaient rationnels. Ils ne pouvaient pas faire partie de ce complot insensé.
Je me suis souvenue de quelque chose. Un détail. Une dernière ancre dans ma réalité.
Avant de partir, j'avais caché une boîte dans notre ancien appartement, celui où j'avais vécu avec Antoine. Une boîte de souvenirs. Des lettres manuscrites, des photos non numérisées, un journal intime où j'avais tout consigné. Des preuves physiques. Des preuves qu'on ne pouvait pas pirater.
C'était mon seul espoir.
J'ai bousculé Chloé, je suis passée à côté d'Antoine sans un regard.
"Où vas-tu ?" a crié la gargouille.
Je ne me suis pas retournée. J'ai dévalé les escaliers, ignorant les cris et les insultes.
Je devais atteindre cet appartement. Je devais trouver cette boîte.
C'était ma vérité contre la leur. Et j'allais prouver que je n'étais pas folle.
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