Mon regard s'est perdu dans le couloir, à travers la porte entrouverte. Et je les ai vus. Marc et Sophie. Ils étaient au bout du couloir. Sophie se plaignait d'une nausée matinale, et Marc la couvait du regard, lui caressant le dos, lui murmurant des mots doux. Il était venu à l'hôpital, mais pas pour moi. Pour elle. Pour un simple caprice de femme enceinte.
Alors que moi, dans une chambre à quelques mètres de là, je venais de perdre notre enfant. À cause de lui.
La haine m'a envahie, si puissante qu'elle a chassé la douleur. Je les regardais, et je savais que je ne leur pardonnerais jamais. Ni à lui, pour sa violence et sa trahison. Ni à elle, pour avoir volé ma vie et souri pendant que la mienne s'effondrait.
Soudain, une violente douleur m'a transpercée. Le moniteur cardiaque s'est affolé. Des médecins et des infirmières se sont précipités dans ma chambre. On me poussait sur un brancard.
« Hémorragie interne ! Bloc opératoire, tout de suite ! »
La dernière chose que j'ai vue avant de sombrer, c'est le regard de Marc qui a croisé le mien. Il n'y avait pas de remords. Juste de l'agacement. J'étais un problème sur son chemin.
Quand j'ai rouvert les yeux, je n'étais plus dans le même hôpital. La chambre était luxueuse, spacieuse, avec une vue imprenable sur un parc. Mon père était assis à mon chevet, me tenant la main. Ma mère dormait dans un fauteuil, le visage marqué par l'inquiétude.
« Papa ? »
Son visage s'est illuminé.
« Léa, mon trésor. Tu es réveillée. »
Il m'a expliqué. Les médecins de l'hôpital public les avaient appelés, car j'étais entre la vie et la mort. Mon père, furieux et paniqué, avait utilisé ses relations pour me faire transférer dans la meilleure clinique privée du pays.
Il n'a pas eu besoin de me dire la suite. Je le savais déjà. J'ai posé ma main sur mon ventre plat.
« Le bébé... »
Les larmes ont coulé sur le visage de mon père. « Je suis tellement désolé, ma chérie. Ils n'ont rien pu faire. »
Un cri a déchiré ma gorge. Un cri animal, plein de douleur et de rage. J'ai pleuré pendant des heures, pour mon enfant perdu, pour ma vie brisée, pour ma stupidité. Mes parents m'ont serrée dans leurs bras, impuissants face à ma détresse.
Et puis, au milieu de ce chagrin infini, une nouvelle résolution est née. Froide, dure, et inébranlable.
Je ne serai plus une victime.
Marc Dubois et Sophie Martin m'ont tout pris. Mon mari, mon enfant, ma confiance en la vie. Je vais tout leur reprendre. Et plus encore. Je vais les détruire. Je vais les anéantir. Je vais leur faire regretter d'être nés.
Pendant les semaines de ma convalescence, mon téléphone n'arrêtait pas de vibrer. Des messages de Marc.
« Léa, où es-tu ? Tes parents m'ont dit que tu ne voulais pas me voir. C'est ridicule. »
« Il faut qu'on finalise ce divorce. Sophie devient impatiente. »
« J'ai appris pour le bébé. Je suis désolé. Mais c'est peut-être mieux comme ça, non ? Tu n'aurais pas pu t'en occuper seule. »
Chaque message était un clou de plus dans le cercueil de l'homme que j'avais aimé. Je ne répondais pas. Je les lisais, je les enregistrais, et je laissais la haine me donner la force de guérir. Mon corps se remettait doucement. Mon âme, elle, se forgeait une nouvelle armure. Une armure de vengeance.