La Revanche de l'Héritière Oubliée
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Chapitre 1

La lettre est arrivée un matin brumeux, portée par un postier qui semblait surpris de devoir monter si haut dans les Pyrénées. Dix ans. Dix ans que je n'avais pas reçu de nouvelles de ma famille. La cire rouge qui scellait l'enveloppe portait l'emblème des Dubois, un aigle aux ailes déployées, symbole de notre empire du luxe.

Je l'ai ouverte avec des doigts calmes, des doigts habitués à la prière et au travail de la terre. L'invitation était imprimée sur un carton épais et glacé. Lucas, mon petit frère, allait avoir dix-huit ans. Il y avait une grande fête en son honneur, la fête qui marquerait sa prise de contrôle officielle de l'entreprise familiale. Mon père, Monsieur Dubois, exigeait ma présence. Pas une invitation, un ordre.

Le Père Jean, l'abbé du monastère qui m'avait recueillie, a posé sa main sur mon épaule. Son regard était rempli d'une sagesse profonde.

"Tu n'es pas obligée d'y aller, Amélie."

Sa voix était douce, mais je savais qu'il s'inquiétait.

"Je dois y aller, mon Père. C'est ma famille."

Il a soupiré, un son léger comme le vent dans les sapins.

"Alors prends ceci. Ne l'ouvre que si tu sens que tu ne peux plus supporter le fardeau."

Il m'a tendu une autre lettre, simple, sans sceau, avec seulement mon nom écrit de sa main. Je l'ai glissée dans la poche de ma robe simple.

Le voyage jusqu'à Paris a été un choc. Le bruit, la foule, l'odeur de l'argent et de l'ambition. Tout ce que j'avais oublié. Le manoir des Dubois se dressait comme une forteresse de verre et d'acier, arrogant et froid. Dès que j'ai franchi le portail, j'ai senti les regards sur moi. Ma robe de bure, mes chaussures usées, mon visage sans maquillage, tout en moi criait que je n'étais pas à ma place.

La fête battait son plein dans les immenses jardins. Des lustres de cristal pendaient aux arbres, la musique électronique pulsait dans l'air, et des centaines de personnes vêtues de créations haute couture buvaient du champagne. Personne n'est venu me saluer. J'étais un fantôme, une anomalie.

Puis je l'ai vu. Lucas. Il était au centre de l'attention, entouré d'une cour de jeunes gens riches et beaux. Il avait grandi, mais son visage portait la même arrogance que lorsqu'il était enfant. Le jour où ma vie a basculé. J'avais huit ans, il en avait six. Il avait reçu une voiture de sport miniature, un bijou de collection. En jouant, je l'ai accidentellement fait tomber. Une égratignure. Juste une petite égratignure sur la peinture rouge brillante.

Lucas a hurlé comme si je l'avais poignardé. Mon père est arrivé. Il n'a pas écouté mes explications. Il a vu la voiture abîmée, il a vu les larmes de son fils préféré, et il a vu en moi une source de problèmes. Une semaine plus tard, une voiture noire m'emmenait au monastère dans les Pyrénées. "Pour apprendre la discipline", avait-il dit.

Dix ans de silence. Et maintenant, il me faisait revenir pour le couronnement de ce même frère.

Lucas m'a enfin remarquée. Un sourire cruel s'est dessiné sur ses lèvres. Il s'est approché, ses amis le suivant comme une meute de loups.

"Tiens, tiens, regardez qui est là. Sœur Amélie a quitté sa montagne."

Les rires ont fusé, méprisants.

"Bonjour, Lucas. Joyeux anniversaire."

Ma voix était stable, mais mon cœur battait fort contre mes côtes.

Il a balayé ma tenue du regard.

"Tu n'as pas honte de venir habillée comme ça ? On dirait une paysanne. Tu nous fais honte."

Une de ses amies, une fille blonde couverte de diamants, a ajouté :

"C'est ta sœur, Lucas ? Je pensais que c'était une nouvelle bonne."

Nouveaux rires. Chaque mot était une pierre jetée avec force. J'ai serré les poings dans mes poches, sentant le papier de la lettre du Père Jean sous mes doigts.

Je me suis souvenue de mon arrivée au monastère. J'étais une enfant terrifiée et seule. Le Père Jean m'avait accueillie. Il ne m'a pas posé de questions. Il m'a juste donné un bol de soupe chaude et m'a montré ma chambre. Il m'a appris à lire les anciens textes, à cultiver le jardin, à trouver la paix dans le silence. Il m'a appris bien plus que ça, des secrets que personne dans ce jardin ne pourrait jamais imaginer. Il m'a parlé de la "Protégée de la Destinée", une lignée secrète dont le rôle était de veiller sur l'équilibre des fortunes des grandes familles, un rôle que ma propre mère avait tenu avant moi, en secret. Il m'a dit que j'avais hérité de ce don, de ce fardeau.

Face à Lucas et ses amis, je me sentais à nouveau comme cette petite fille de huit ans, seule et sans défense.

Mon père s'est approché. Monsieur Dubois. L'homme qui m'avait bannie. Il n'a même pas regardé dans ma direction. Il a posé une main fière sur l'épaule de Lucas.

"Mon fils, le futur de l'empire Dubois."

Puis son regard s'est posé sur moi, froid comme la glace.

"Amélie. J'espérais que tu aurais le bon sens de décliner l'invitation. Ta présence est une gêne."

Lucas a souri, triomphant.

"Ne t'inquiète pas, Père. On va régler ça. Je ne veux plus jamais la voir. Elle ne fait pas partie de cette famille."

Il a fait un signe à un de ses assistants, qui s'est approché avec un document et un stylo.

"Signe ça. C'est un accord de rupture familiale. Tu renonces à tout lien avec la famille Dubois, à tout héritage. En échange, on te donne une petite somme pour que tu retournes dans ton trou et qu'on n'entende plus jamais parler de toi."

La somme était dérisoire, une insulte. L'humiliation était totale. Le cercle de curieux s'était resserré autour de nous. Tous les visages affichaient le même mépris.

J'ai levé les yeux vers Lucas, puis vers mon père. Ils attendaient ma soumission, mes larmes peut-être. Mais ils ne verraient ni l'un ni l'autre.

Lentement, j'ai sorti la main de ma poche. J'ai regardé Lucas droit dans les yeux.

"Vous êtes sûrs de vouloir faire ça ?"

Ma voix était basse, mais elle a porté dans le silence qui s'était installé.

"Vous devriez faire attention à ce que vous souhaitez. Parfois, les vœux se réalisent."

Un frisson a semblé parcourir l'air chaud de la soirée. Lucas a froncé les sourcils, décontenancé une seconde par mon calme. Mais son arrogance a vite repris le dessus.

"C'est une menace ? La petite nonne sait menacer maintenant ? Signe ce papier et dégage !"

J'ai souri. Un sourire qui ne venait pas de mes lèvres, mais de plus profond, d'un endroit où la patience avait mûri pendant dix ans.

"Très bien. Mais ne venez pas pleurer quand tout s'effondrera."

            
            

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