Manon: L'Amour et la Vengeance
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Chapitre 3

Le bus roulait, me berçant dans un état second.

Les visages de ma famille flottaient dans mon esprit, non pas comme des souvenirs aimants, mais comme les pièces d'un puzzle que je venais enfin d'assembler.

Pour comprendre leur trahison, je devais me souvenir de qui ils avaient toujours été.

Ma naissance même avait été une déception.

Ils voulaient un fils après Antoine, un autre héritier pour le nom Dubois, un nom qui n'avait de prestige que dans l'esprit de mon père.

Quand je suis née, ils m'ont appelée Manon.

Un nom simple, commun.

Pas un nom pour une fille chérie, mais un nom pour remplir un vide.

Ma mère m'a raconté une fois, dans un rare moment de lucidité, que j'avais failli mourir à la naissance.

Elle l'a dit sans émotion, comme si elle relatait un fait divers.

"Le médecin a dit que tu étais faible", avait-elle conclu avant de retourner à son silence habituel.

J'ai compris plus tard que pour eux, ma survie n'avait pas été un miracle, mais un fardeau.

J'ai grandi dans l'ombre de Clémence et d'Antoine.

Clémence avait les nouvelles robes, les cours de piano, les compliments de mon père.

Antoine avait la liberté, l'argent de poche, l'indifférence bienveillante de mes parents.

Moi, j'avais les corvées.

Dès que j'ai été assez grande pour tenir un balai, j'ai été chargée du ménage.

Je faisais la vaisselle pendant que Clémence lisait des magazines de mode.

Je nettoyais les outils de mon père pendant qu'Antoine sortait avec ses amis.

Ce n'était pas une aide, c'était un travail non rémunéré.

J'étais la bonne de la famille.

"Manon, fais ça."

"Manon, va chercher ça."

"Manon, tu ne sers à rien, au moins sois utile."

Cette dernière phrase était la préférée de mon père.

Il la disait souvent, avec un mépris désinvolte, quand je faisais une erreur ou que je n'étais pas assez rapide.

Clémence la répétait en ricanant.

"Tu entends ? Tu ne sers à rien."

L'amour était une monnaie d'échange dans cette maison, et je n'avais rien à offrir qui les intéresse.

Je n'étais ni belle comme Clémence, ni un garçon comme Antoine.

J'étais juste là.

Une présence silencieuse et laborieuse.

Je me souviens d'un anniversaire.

J'avais dix ans.

J'avais espéré, stupidement, un gâteau, un petit cadeau.

Quand je suis rentrée de l'école, la maison était vide.

Ils étaient tous partis au restaurant pour célébrer un contrat que mon père venait de signer.

Ils avaient oublié.

Ou plutôt, ils ne s'en étaient pas souciés.

Je me suis assise seule dans la cuisine sombre.

Je n'ai pas pleuré.

J'ai mangé un morceau de pain sec.

C'est ce jour-là que j'ai compris.

L'amour n'était pas un droit de naissance.

Dans cette famille, c'était un privilège que je n'aurais jamais.

Leur cruauté n'était pas toujours active.

C'était souvent une négligence, une indifférence si profonde qu'elle en devenait une arme.

Ils me volaient mon enfance, mon estime de moi, ma capacité à croire que je méritais d'être aimée.

Ils me façonnaient pour être la victime parfaite, celle qui accepterait son sort sans se plaindre.

C'est pour ça qu'ils n'ont pas hésité au château.

Me sacrifier était naturel pour eux.

C'était la continuation logique de toute ma vie.

J'étais l'objet le moins précieux de la collection Dubois, celui qu'on pouvait jeter pour sauver le reste.

Le bus s'est arrêté dans une petite aire de repos.

Je suis descendue pour prendre l'air.

Le soleil de l'après-midi était chaud sur ma peau.

Pour la première fois de ma vie, j'étais seule et personne ne me disait quoi faire.

La peur de l'inconnu était là, bien sûr, mais elle était éclipsée par un sentiment nouveau et puissant : la liberté.

J'ai repensé à Clémence.

À son geste "courageux" de ce matin.

Elle ne l'a pas fait par amour pour sa famille.

Elle l'a fait par pure cupidité.

Elle a vu la fiancée spectrale non pas comme une condamnation, mais comme un titre de propriété.

Elle pensait devenir la Comtesse de Valois et régner sur un trésor.

L'ironie était écrasante.

Toute sa vie, elle avait été la princesse.

Maintenant, elle allait être la prisonnière.

Et moi, la servante, j'étais libre.

J'ai regardé mon reflet dans la vitre du bus.

Un visage fatigué, mais des yeux qui brillaient d'une lueur nouvelle.

Je n'étais plus Manon la victime.

Je n'étais plus la fille de Jean-Luc, la sœur de Clémence.

J'étais juste Manon.

Et pour la première fois, cela me semblait suffisant.

Je suis remontée dans le bus.

La route continuait, m'emmenant loin de tout ce que j'avais connu.

Le passé était une cicatrice, mais il ne définissait plus mon avenir.

Ils m'avaient poussée du haut d'une falaise, s'attendant à ce que je meure.

Au lieu de ça, ils m'avaient appris à voler.

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