Ce n'était pas un rêve.
C'était une seconde chance.
Je suis descendue.
La scène dans la cuisine était exactement la même que dans mon souvenir.
Mon père, Jean-Luc, buvait son café, un plan du château de Valois étalé sur la table.
« Manon, tu es enfin levée, » dit-il sans me regarder. « Prépare-toi, nous partons dans une heure. Aujourd'hui, c'est la Fête de la Musique. L'énergie positive va calmer les esprits. »
Les mêmes mots.
La même folie.
Ma mère était là, silencieuse.
Antoine se coiffait.
Clémence me dévisageait avec son air supérieur habituel.
Cette fois, la peur avait laissé place à une froide détermination.
Je savais tout.
Je savais où se trouvait le coffret.
Je savais ce qu'il contenait.
Je savais comment ils allaient me trahir.
Je ne dirais rien.
Je les laisserais y aller.
Je les laisserais réveiller le Comte Armand.
Et quand ils essaieraient de me sacrifier, je m'enfuirais.
Ils devraient alors faire face seuls à la colère de l'esprit.
Le plan était simple.
Parfait.
On a pris le petit-déjeuner.
J'ai mangé lentement, savourant chaque bouchée.
Le goût de la nourriture, la chaleur du café.
Des choses que je pensais ne plus jamais ressentir.
Alors que mon père se levait pour donner le signal du départ, un événement inattendu s'est produit.
Clémence s'est levée.
Son visage était déterminé, presque fiévreux.
Je savais pourquoi.
Dans la première vie, elle avait vu ma survie et les richesses qui l'accompagnaient.
Elle pensait pouvoir tout avoir : le trésor et la vie.
Elle était rongée par la jalousie et la cupidité.
« Père, » dit-elle d'une voix forte. « Cette fois, si quelque chose devait être offert... laissez-moi le faire. Je suis l'aînée. C'est ma responsabilité. »
Le silence est tombé dans la cuisine.
Mon père la regarda, surpris.
Antoine fronça les sourcils, ne comprenant pas.
Ma mère semblait sortir de sa torpeur, un éclair d'inquiétude dans les yeux.
« Clémence, qu'est-ce que tu racontes ? » demanda mon père. « C'est une simple précaution. Rien ne va se passer. »
« Je sais, » répondit-elle. « Mais si jamais... je suis prête. Manon est trop fragile. »
Elle me jeta un regard qui se voulait protecteur, mais qui était plein de calcul.
Elle se voyait déjà en maîtresse du château, couverte d'or et de bijoux.
Elle pensait pouvoir manipuler l'esprit comme elle manipulait notre père.
Quelle idiote.
Je n'ai rien dit.
J'ai juste baissé les yeux pour cacher le sourire qui naissait sur mes lèvres.
Le plan venait de devenir encore meilleur.
« Très bien, » dit finalement mon père, touché par la "noblesse" de sa fille préférée. « Tu as toujours été la plus courageuse. »
Il a posé une main sur son épaule.
Elle a rayonné.
Pendant qu'ils avaient cet échange ridicule, je suis remontée discrètement dans ma chambre.
J'ai pris un petit sac à dos.
J'y ai mis mes maigres économies, une bouteille d'eau et une barre de céréales.
Puis je suis sortie par la fenêtre de derrière, j'ai longé le jardin et j'ai disparu dans la rue.
J'ai marché jusqu'à la petite gare routière de la ville.
J'ai acheté un billet pour le premier bus, n'importe où, loin d'ici.
Assise sur le siège, regardant ma ville natale s'éloigner par la fenêtre, j'ai imaginé la scène au château.
J'ai imaginé leur excitation en trouvant le coffret.
Leur déception en voyant l'urne.
La terreur lorsque le Comte Armand apparaîtrait.
Et le moment où Clémence, pleine d'arrogance, s'offrirait comme fiancée spectrale.
Elle pensait obtenir un trésor.
Elle allait obtenir une éternité de solitude glaciale, liée à un esprit tourmenté, piégée dans les murs d'une ruine.
Une existence éthérée, sans chaleur, sans contact, sans vie.
La même existence qu'elle m'avait infligée.
Un sourire s'est étiré sur mon visage.
Ce n'était pas un sourire heureux.
C'était un sourire de pure satisfaction.
La vengeance était un plat qui se mangeait froid, et le mien était délicieux.
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