Mon vrai passé ? Fille d'une lavandière et d'un père inconnu, j'avais grandi avec l'odeur de la lessive et le bruit des ragots. Mais j'avais appris à lire, à observer, et surtout, à écouter. Ces compétences, je le sentais, valaient plus que n'importe quel titre de noblesse.
Le carrosse s'est arrêté. La porte s'est ouverte sur un monde de dorures et de marbre. J'ai respiré un grand coup. Le jeu commençait.
Je suivais une servante dans un dédale de couloirs. Le silence était lourd, pesant. Chaque portrait au mur semblait me juger. Ma robe, fournie par les de Mornay, me serrait. Elle était belle, mais ce n'était pas la mienne. Rien ici n'était à moi.
Soudain, une voix stridente a percé le silence.
« Qui est cette nouvelle venue ? On ne m'a pas prévenue. »
Une femme s'avançait vers moi. Elle était magnifique, couverte de bijoux, mais son regard était dur comme la pierre. C'était la Marquise de Montaigne, la favorite du Roi. Je la reconnaissais grâce aux descriptions qu'on m'avait faites. Elle était mon premier obstacle.
« Je suis Mademoiselle de Valois, madame, » ai-je répondu d'une voix que je voulais calme.
Elle a ri, un son sec et déplaisant.
« De Valois ? Encore une parente pauvre qui vient chercher fortune. Regardez-moi cette robe. On dirait une imitation bon marché de la mienne. »
Quelques personnes dans le couloir ont ricané. Le sang m'est monté au visage. La colère était une mauvaise conseillère, je le savais. La peur aussi. Je devais choisir une autre voie.
J'ai baissé la tête, feignant la timidité et la honte.
« Vous avez raison, madame. Je ne suis rien comparée à vous. Votre beauté et votre élégance sont sans égales à la cour. J'espérais seulement pouvoir apprendre en vous observant. »
Ma réponse l'a surprise. Elle s'attendait à de la résistance, pas à une soumission si rapide et si totale. Son ego a bu mes paroles comme un vin doux. Un petit sourire satisfait s'est dessiné sur ses lèvres.
« Au moins, tu connais ta place. Fais attention où tu mets les pieds, petite. Versailles dévore les filles comme toi. »
Elle m'a tourné le dos et s'est éloignée, suivie de sa cour de flatteurs. Je suis restée là, le cœur battant. Je ne l'avais pas affrontée, je l'avais désarmée. C'était une petite victoire, mais une victoire quand même.
Cette nuit-là, je n'ai pas dormi. J'ai pensé à la Marquise. Sa vanité était sa plus grande faiblesse. Je devais l'utiliser.
Le lendemain, lors d'une réception dans les jardins, j'ai entendu la Marquise se vanter d'une nouvelle étole en soie, un cadeau exclusif d'un marchand de Lyon. Elle la porterait au grand bal du soir. C'était l'occasion que j'attendais.
J'ai trouvé Pierre, un jeune serviteur au regard vif que j'avais remarqué plus tôt. Il semblait, comme moi, être un observateur silencieux. Je lui ai glissé une pièce d'or dans la main.
« Je veux que tu fasses courir un bruit, » ai-je murmuré. « Discrètement. Dis que le marchand lyonnais de la Marquise a vendu la même étole à la femme d'un simple baron. Dis que la Marquise n'a plus l'exclusivité. »
Pierre a hoché la tête, sans poser de questions. La pièce avait suffi à acheter sa loyauté, pour l'instant.
Le soir, au bal, l'air était électrique. La Marquise de Montaigne a fait son entrée, resplendissante. Son étole brillait sous les chandeliers. Mais des chuchotements parcouraient la salle. Je voyais des regards en coin, des sourires moqueurs.
La femme du baron, mise au courant par une de ses amies qui avait entendu la rumeur, portait une étole similaire, achetée à la hâte. La coïncidence était parfaite. Le visage de la Marquise s'est décomposé. Passer pour une femme qui porte les mêmes atours qu'une personne de rang inférieur était l'humiliation suprême.
Elle a quitté la salle de bal, rouge de fureur. J'ai senti son regard me chercher dans la foule. Elle ne savait pas comment, mais elle savait que j'étais derrière tout ça. Le jeu venait de monter d'un cran. Je n'étais plus invisible. J'étais une cible.
Quelques jours plus tard, la vengeance de la Marquise est tombée.
Je rentrais tard dans mes appartements. Le couloir était mal éclairé, les torches projetaient des ombres dansantes sur les murs. J'ai senti une présence derrière moi. Trop tard.
Deux hommes, des brutes épaisses, m'ont attrapée. Une main sale s'est plaquée sur ma bouche, étouffant mon cri. Ils m'ont traînée dans une alcôve sombre. L'odeur de vin et de sueur était insupportable.
« La Marquise te passe le bonjour, » a grogné l'un d'eux.
J'ai senti la lame froide d'un couteau contre ma gorge. La panique a glacé mon sang. C'était la fin. Tout ça pour une rumeur, une étole. La futilité de la chose rendait la mort encore plus absurde.
Non. Je ne pouvais pas mourir comme ça. Pas ici.
Mon instinct de survie a pris le dessus. J'ai planté mes dents dans la main qui me bâillonnait, de toutes mes forces. L'homme a hurlé de douleur, relâchant sa prise. J'ai crié, un son aigu et perçant.
Puis j'ai agi. J'ai donné un coup de pied violent dans le genou du second homme. Il a plié en deux en jurant. J'ai attrapé un lourd chandelier en bronze sur une table voisine et je l'ai abattu sur la tête du premier. Il s'est écroulé, assommé.
Le deuxième s'est relevé, le visage tordu par la haine. J'ai reculé, le chandelier toujours à la main, mon seul bouclier. Il s'est jeté sur moi. Je n'avais aucune chance dans un combat frontal.
J'ai lancé le chandelier vers une tenture murale. Elle a pris feu instantanément. Les flammes ont grimpé le long du tissu, éclairant la scène d'une lueur sinistre. La surprise a figé mon agresseur une seconde. C'était tout ce dont j'avais besoin.
J'ai couru. J'ai dévalé les couloirs, sans regarder en arrière. Mes poumons me brûlaient. La fumée commençait à se répandre, les cris d'alarme retentissaient. J'ai continué à courir, loin de la mort, loin de la Marquise.
J'ai fini par sortir dans les jardins, à bout de souffle. L'air frais de la nuit était un baume sur ma peau. Je me suis effondrée derrière un buisson, tremblante. J'avais survécu. Mais pour combien de temps ?
C'est là que Pierre m'a trouvée. Il tenait une lanterne. Son visage était pâle.
« Mademoiselle ! Je vous ai vue courir. J'ai entendu les cris. »
Il a vu le sang sur ma lèvre, ma robe déchirée. Il n'a pas posé de questions.
« Venez, vite. Je connais un endroit sûr. Personne ne vous y trouvera. »
Il m'a tendu la main. Je l'ai prise. À cet instant, ce jeune serviteur était mon seul allié dans ce nid de vipères. Je l'ai suivi dans l'obscurité, le cœur battant au rythme de mes pas. J'avais échappé à la mort, mais j'avais perdu mon innocence. Pour survivre ici, il ne suffisait plus d'être intelligente. Il fallait devenir impitoyable.