Je suis entrée dans "L'Atelier de Marc", l'endroit que j'avais aidé à construire de mes propres mains. L'odeur familière des herbes fraîches, du pain chaud et des sauces mijotées m'a frappée, mais elle ne m'a plus procuré aucune joie. C'était l'odeur de ma servitude.
Le personnel m'a regardée avec un mélange de pitié et de gêne. La nouvelle de mon "départ soudain" s'était répandue, sans doute enjolivée par la version de Marc et Chloé.
J'ai demandé à voir le directeur administratif pour remettre ma démission officielle. Je n'étais pas seulement la femme du chef, j'étais aussi une employée, la directrice non officielle du développement et de la création.
Pendant que j'attendais, j'ai entendu deux serveuses chuchoter dans un coin.
« C'est tellement romantique, non ? Le chef Dubois qui quitte sa femme pour la jeune Chloé. C'est comme dans un film. »
« Oui, et elle est enceinte ! Il a tout quitté pour le véritable amour. L'autre, Jeanne, était apparemment très froide et possessive. Elle ne le soutenait pas dans ses ambitions. »
J'ai serré les poings, mes ongles s'enfonçant dans mes paumes. Froide ? Possessive ? J'ai repensé aux nuits blanches passées à perfectionner la recette de la sphère en chocolat qui fond sous la sauce chaude, son dessert signature. J'ai repensé aux week-ends passés à négocier avec les fournisseurs pour obtenir les meilleurs produits, aux soirées où je le massais parce qu'il était trop stressé avant l'inspection du guide Michelin.
Mon soutien était le fondement invisible de son succès. Et maintenant, on me peignait comme le méchant de l'histoire.
Le directeur est arrivé, l'air mal à l'aise.
« Jeanne... Je suis désolé pour tout ça. Voici tes papiers. Marc a dit de te donner un mois de salaire en guise d'indemnité. »
J'ai regardé le chèque. Une somme dérisoire. Une insulte.
Je n'ai rien dit. Je n'ai pas cherché à me défendre, à rétablir la vérité. Ce n'était pas le moment. Laisser les gens croire à leurs mensonges faisait partie de mon plan. Plus ils seraient aveugles, plus leur chute serait dure.
J'ai signé les documents, ma main ferme. J'ai pris le chèque. Chaque centime serait utile.
En sortant, j'ai croisé le sous-chef, un homme qui travaillait avec nous depuis le début. Il m'a regardée avec une tristesse sincère.
« Jeanne, les nouvelles recettes de dessert... Elles ne sont pas aussi bonnes. Il manque quelque chose. Ta touche. »
Je lui ai adressé un petit sourire triste.
« Il faudra vous y habituer. »
J'ai tourné les talons et je suis partie sans un regard en arrière. J'ai quitté le restaurant, le bruit des cuisines, les odeurs, les murmures. J'ai laissé derrière moi dix ans de ma vie, dix ans de sacrifices.
Dehors, le soleil brillait. J'ai pris une grande inspiration, l'air frais remplissant mes poumons. Ce n'était pas une fin. C'était une libération.
Je me suis dirigée vers la maison. Notre maison. Il y avait encore des choses que je devais récupérer. Des choses qui m'appartenaient.