Je me suis assise sur le canapé, le regard perdu dans le vide. Les souvenirs affluaient, un torrent d'images et d'émotions.
Mon mari, Jean, un sculpteur de talent, était mort trop jeune, me laissant seule avec Thomas, qui n'avait alors que dix ans. J'ai dû me battre, travailler jour et nuit pour joindre les deux bouts. J'ai fait des ménages, des gardes de nuit, j'ai accepté tous les petits boulots possibles pour que Thomas ne manque de rien.
Je me souviens des nuits passées à l'aider pour ses devoirs, des week-ends à l'emmener dans des musées pour nourrir sa sensibilité artistique, un héritage de son père. Je me souviens de la fierté dans ses yeux quand il a été accepté dans une bonne école d'art. Tous mes sacrifices, c'était pour lui, pour son avenir.
Puis, il y a un an, il a ramené Sophie à la maison.
« Maman, je te présente Sophie. On est amoureux. »
Elle était charmante, en apparence. Polie, souriante, elle disait tout ce que je voulais entendre. Mais il y avait quelque chose dans son regard, une lueur calculatrice que je n'aimais pas. Un instinct maternel, peut-être. Je sentais que quelque chose n'allait pas.
Quand Thomas m'a annoncé qu'il voulait l'épouser, j'ai essayé de le freiner.
« Thomas, tu es sûr ? Vous ne vous connaissez que depuis quelques mois. Prenez votre temps. »
« Je suis sûr, maman. C'est la femme de ma vie. »
J'ai senti une gêne. Cette fille me mettait mal à l'aise. Elle semblait trop parfaite, trop intéressée par notre maison, par les sculptures de Jean qui étaient encore dans l'atelier, par l'histoire de notre famille.
J'ai appris que sa famille était modeste. Sa mère ne travaillait pas, son père était décédé, et elle vivait avec sa mère et son oncle dans un petit appartement de banlieue. Il n'y avait rien de mal à ça, mais leur obsession pour l'argent était palpable. Lors de nos quelques rencontres, Madame Leclerc ne parlait que de ça, de ce que les gens possédaient, de la valeur des choses.
J'ai dit clairement à Thomas que je n'approuvais pas ce mariage.
« Maman, tu es injuste. Tu ne la connais pas. Tu verras, je te prouverai que notre amour est sincère. »
Pendant les mois qui ont suivi, Sophie a joué son rôle à la perfection. Elle m'appelait régulièrement, m'apportait des petits cadeaux, s'intéressait à mon travail, à ma santé. Elle était si prévenante que j'ai commencé à douter de mon propre jugement.
Peut-être que j'étais trop protectrice. Peut-être que j'avais peur de perdre mon fils.
J'ai fini par céder. Mon amour pour Thomas était plus fort que mes doutes. S'il était heureux, c'était tout ce qui comptait.
« D'accord, » lui ai-je dit un soir. « Organisons une rencontre avec sa famille pour discuter du mariage. »
Son visage s'est illuminé. Il m'a prise dans ses bras, reconnaissant.
« Merci, maman. Tu ne le regretteras pas. »
Et c'est ainsi que je me suis retrouvée dans cette situation. Assise dans mon salon dévasté, le cœur brisé. Je n'étais pas seulement en colère contre les Leclerc pour leur cupidité. J'étais dévastée par la trahison de mon fils. Il avait laissé ces gens m'insulter, essayer de me voler, et il n'avait rien dit. Pire, il avait pris leur parti.
Le bonheur de mon fils. C'était tout ce que je voulais. Mais à quel prix ? Certainement pas celui de ma dignité et de tout ce pour quoi Jean et moi avions travaillé si dur.
Non. J'avais été douce et aimante toute ma vie. Maintenant, il était temps d'être forte.