Ce nom résonnait dans ce village et dans toute la région. Il n'était pas un homme riche, mais il avait été le chef du village pendant plus de trente ans. Un homme juste, sage, dont la parole était respectée comme la loi. Personne n'osait le défier ouvertement. Sa réputation était son armure et son épée.
Et ma grand-mère, Monique Dubois.
Si mon grand-père était la force tranquille, ma grand-mère était la tempête. Une femme au caractère de feu, qui n'avait peur de rien ni de personne. Elle pouvait vous déshabiller d'un seul regard et vous anéantir avec quelques mots bien choisis. Elle protégeait les siens avec la férocité d'une louve.
J'étais leur petite-fille. Le sang des Dubois coulait dans mes veines.
Cette pensée a ravivé une étincelle en moi. Je n'étais pas seule. Je n'étais pas une victime sans nom. J'avais une ancre, une forteresse.
Quand la femme Martin est revenue avec une écuelle de soupe claire et un morceau de pain rassis, j'ai redressé la tête. Je l'ai regardée droit dans les yeux.
"Vous faites une terrible erreur," ai-je dit, ma voix plus ferme.
Elle a ricané.
"Ah oui ? Et pourquoi donc ?"
"Parce que je ne suis pas n'importe qui. Je suis Jeanne Dubois."
J'ai marqué une pause, laissant le nom infuser dans l'air vicié de la pièce.
"La petite-fille de Jean et Monique Dubois."
Le ricanement de la femme Martin s'est figé sur ses lèvres. Ses petits yeux se sont écarquillés. J'ai vu le doute, puis la panique, s'y peindre. Elle a reculé d'un pas, comme si le nom seul était une force physique.
"Dubois ? Tu... tu mens."
Sa voix avait perdu de son assurance. Elle bégayait presque.
"Vous croyez vraiment que je mentirais sur une chose pareille ? Dans ce village ? Allez demander. Allez demander qui est Jean Dubois. Tout le monde ici le connaît. Tout le monde le respecte. Et tout le monde le craint."
La panique sur son visage était presque jouissive à voir. Elle a regardé la porte, puis moi, son esprit travaillant à toute vitesse. Elle était prise au piège.
Elle est sortie précipitamment, en oubliant de verrouiller la porte. J'ai entendu des chuchotements agités dans la pièce voisine. Des voix basses, urgentes. La mienne, celle de son mari, et une autre, plus jeune, que je n'avais pas encore entendue.
L'espoir a commencé à poindre. Un espoir fragile, mais réel. Ils avaient peur. Mon plan avait fonctionné.
Mais mon soulagement a été de courte durée.
La porte s'est rouverte brutalement. C'est Monsieur Martin qui est entré, le visage rouge de colère. Sa femme se tenait derrière lui, l'air à la fois craintif et haineux.
"Alors comme ça, la petite salope de la ville invente des histoires pour nous faire peur ?" a-t-il craché.
Mon cœur a sombré.
"Ce ne sont pas des histoires ! C'est la vérité !"
"Tais-toi ! On t'a achetée, tu nous appartiens ! Que tu sois une Dubois ou la fille du président, ça ne change rien ! Tu vas épouser mon fils ce soir, et si tu cries encore le nom de ton grand-père, je te jure que je te coupe la langue !"
Sa peur s'était transformée en une fureur irrationnelle. Il avait décidé de nier la vérité, de foncer tête baissée. C'était encore plus dangereux. Un animal blessé est imprévisible.
Il s'est avancé vers moi, la main levée. La terreur m'a saisie à nouveau, pure et glaciale. J'étais acculée.
J'ai reculé jusqu'au mur, mes mains cherchant désespérément quelque chose pour me défendre. Il n'y avait rien.
Il a attrapé mon bras, sa poigne était un étau de fer.
"Tu vas venir gentiment, et tu vas dire 'oui'."
Dans un accès de désespoir absolu, j'ai hurlé. Pas un cri de peur, mais un appel. Un appel qui venait du plus profond de mon être.
"PÉPÉ JEAN ! MÉMÉ MONIQUE ! AU SECOURS !"
Sa main s'est abattue sur ma bouche, étouffant mon cri. Mais c'était trop tard. J'avais crié leur nom. Dans ce silence de la campagne, un cri pouvait porter loin.
Et quelqu'un pouvait l'avoir entendu.
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