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Lena détestait les lundis.
Pas parce qu'ils marquaient le retour au travail - elle aimait son boulot, à sa manière un peu désorganisée et passionnée - mais parce qu'ils avaient une fâcheuse tendance à lui faire croire qu'elle allait reprendre sa vie en main.
Chaque dimanche soir, elle rédigeait une liste avec des objectifs grands comme ça : boire moins de café, arrêter de googler ses symptômes de vieillesse à 30 ans, méditer au lieu de maudire ses voisins du dessus, et surtout... surtout, ne pas porter ses chaussettes trouées "porte-bonheur".
Évidemment, à 8h12, les chaussettes étaient aux pieds, le café brûlant entre les mains, et le reste de la liste dans la poubelle mentale qui bordait son imagination.
Elle vivait seule, mais pas vraiment. Il y avait les plantes - toutes nommées, évidemment - dont la moitié se remettait mal de son enthousiasme arrosant. Il y avait aussi son chat, Maurice, qui n'était pas à elle, mais passait ses journées chez elle. Officiellement, il appartenait à une vieille dame du 3e étage. Officieusement, Maurice avait choisi Lena comme sa colocataire illégale.
Et il y avait ses pensées. Beaucoup trop de pensées.
Elle riait souvent, toute seule. C'était une habitude qui mettait mal à l'aise les gens dans les transports, mais elle s'en fichait. C'était plus fort qu'elle : une fois qu'une scène absurde lui passait par la tête, impossible de ne pas pouffer. Ce matin-là, c'était l'image d'un pigeon en costume-cravate qui l'avait achevée - un rêve de la veille. Un pigeon d'affaires très sérieux, avec une attaché-case minuscule. Elle avait éclaté de rire en étalant son beurre, ce qui avait donné un croissant tranché net en deux. Glorieux.
Elle travaillait dans un petit studio de graphisme au dernier étage d'un immeuble fatigué. C'était loin d'être glamour, mais elle avait une fenêtre qui grinçait comme une porte de château hanté, une bouilloire rose fuchsia et un tiroir rempli de bonbons piqués à la compta. Elle appelait ça « son royaume ».
Ce que personne ne savait, c'est que Lena, sous ses airs de fille qui rit trop fort, planquait un agenda serré de petites angoisses.
Elle notait ses rêves.
Elle évitait certains numéros de rue.
Et parfois, elle sentait comme un frisson - un truc léger, une impression que quelque chose allait arriver.
Ce lundi-là, ce frisson revint. Juste avant qu'elle ne monte dans l'ascenseur. Il était discret, mais présent. Comme un murmure sous la peau.
Elle leva les yeux vers le miroir jauni du couloir, se regarda droit dans les yeux, et dit, mi-blagueuse, mi-sérieuse :
- Bon... que le jeu commence.
Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle venait d'invoquer.
Mais Lena n'avait jamais vraiment eu peur de ce qu'elle ne comprenait pas