Je me trouvais des excuses pour lui, pour ce mariage qui n'en était pas un. J'étais Ella Fowler, une sommelière qui savait marier les vins, mais incapable de comprendre son propre mari.
"Peut-être que je ne suis pas assez bien pour lui," me confiais-je souvent à Juliette, ma meilleure amie et sa sœur adoptive.
Elle me prenait la main, son visage d'ange empreint de compassion. "Ne dis pas ça, Ella. Alan est comme ça. Il a été élevé dans une famille très stricte. Laisse-lui du temps."
Je buvais ses paroles, reconnaissante d'avoir son soutien. Je ne savais pas que chaque mot était un poison doux, distillé pour me maintenir dans l'ignorance.
Ce soir-là, tout a basculé.
Après une dégustation de vin dans un prestigieux hôtel du 8ème arrondissement, je cherchais Alan pour rentrer. Je l'ai aperçu dans les jardins à la française, sa silhouette élégante se découpant sous la lueur d'un lampadaire. Il n'était pas seul. Juliette était avec lui.
Je me suis approchée, un sourire aux lèvres, prête à les rejoindre. Mais leurs voix, chargées d'une tension inhabituelle, m'ont clouée sur place.
"Juliette, je n'en peux plus," disait Alan, sa voix rauque de frustration. "Pourquoi m'as-tu forcé à l'épouser ? Trois ans. Trois ans que je dois la regarder, lui parler, vivre avec elle, alors que c'est toi que j'aime."
Mon souffle s'est coupé. Chaque mot était un coup violent.
"Mon amour pour toi me consume, Juliette. Je ne pourrai jamais toucher une autre femme. Jamais."
Juliette pleurait, ses larmes brillant sous la lumière. "Tu sais bien que c'est impossible, Alan. Notre famille... leurs traditions... ils ne l'accepteraient jamais. Sois gentil avec Ella, je t'en supplie. Chéris-la."
Chérir ? C'était une blague. Une blague cruelle.
Mon mariage, ma vie, mon amour pour cet homme... tout n'était qu'un mensonge. Un écran de fumée pour cacher leur amour interdit. La douleur était si intense, si brutale, que j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter.
J'ai reculé sans un bruit, mes jambes tremblantes, et je me suis enfuie dans la nuit parisienne, laissant derrière moi les ruines de mon illusion.
Le lendemain, le cœur en miettes mais l'esprit clair, j'ai contacté un avocat. Les documents du divorce étaient prêts en quelques jours. Je n'attendais que le bon moment pour les lui présenter, pour mettre fin à cette mascarade.
Mais le destin, ou plutôt Juliette, en a décidé autrement.
Mon téléphone a sonné. C'était Alan, sa voix paniquée. "Ella, c'est Juliette. Elle a eu un grave accident de voiture. Elle a besoin d'une transfusion... son groupe sanguin est extrêmement rare."
Je savais. C'était le même que le mien.
"Les médecins disent que tu es la seule donneuse compatible à Paris. Ella, je t'en supplie... sauve-la."
J'ai hésité. Sauver la femme qui avait orchestré mon malheur ? Mais en entendant son désespoir, une idée glaciale a germé en moi.
"Je le ferai," ai-je dit, ma voix étonnamment calme. "Mais à une condition. Tu me promettras de m'accorder tout ce que je désire le plus."
"N'importe quoi, Ella. Absolument n'importe quoi," a-t-il répondu sans une seconde d'hésitation.
Je voulais tester jusqu'où il irait pour elle. "Alors remplis tes devoirs conjugaux ce soir. Sois mon mari, pour une nuit."
Un silence. Puis, sa voix, résignée. "D'accord. Si c'est ce que tu veux."
L'amertume m'a envahie. Il était prêt à coucher avec moi, non par désir, mais comme un paiement pour sauver Juliette. Cela confirmait tout.
J'ai donné mon sang. Pendant que je me remettais seule dans une chambre d'hôpital impersonnelle, Alan était au chevet de Juliette. Je le savais. Je n'avais pas besoin de voir pour savoir qu'il la nourrissait, la réconfortait, lui tenait la main, ignorant complètement mon existence et mon sacrifice.