Chapitre 3

Je me suis souvenu de tout. Comment je l'avais trouvée, six ans plus tôt, échouée sur une route de campagne près de mon vignoble. Elle était blessée, confuse, et avait perdu la mémoire.

Je l'ai recueillie, je l'ai soignée. Les voisins m'avaient prévenu.

« Fais attention, Joseph. On ne sait rien d'elle. Elle pourrait être dangereuse. »

Mais j'étais tombé amoureux de sa vulnérabilité, de son innocence. Elle me suivait partout comme une ombre, m'appelant "Joseph" avec une dépendance touchante.

« Joseph, où vas-tu ? »

« Joseph, ne me laisse pas seule. »

Elle était devenue mon monde. Malgré son amnésie, elle avait un sens des affaires incroyable. Elle a vu le potentiel de mon vin et, ensemble, nous avons créé notre marque. Elle a transformé mes modestes récoltes en un succès commercial.

Un jour, des voyous du village m'ont cherché des noises. Elle s'est interposée, sans hésiter, recevant un coup destiné pour moi.

Ce jour-là, elle m'a dit : « Personne n'a le droit de te faire du mal, Joseph. »

Le soir, elle m'a offert un bouquet de lavande qu'elle avait tressé elle-même. C'était simple, mais c'était le plus beau cadeau que j'aie jamais reçu.

Mes parents l'adoraient.

« Épouse-la, mon fils. C'est une bonne femme. »

Je lui ai demandé de m'épouser. Elle a pleuré de joie.

« Oui, Joseph. Je t'aimerai et te protégerai pour toujours. »

Puis mes parents sont morts dans un accident de voiture. Elle est devenue ma seule famille. Elle m'a tenu la main pendant l'enterrement et a murmuré : « N'aie pas peur. Je suis là. Je te protégerai. »

Des promesses. Des mensonges.

Un an plus tard, elle a retrouvé la mémoire. Elle n'était pas une simple femme perdue. Elle était Juliette Gordon, l'héritière d'un empire du luxe parisien. Et elle s'est souvenue d'Alan Moore, son fiancé.

Elle a essayé de me rassurer.

« Joseph, Alan est comme un frère pour moi. Je ne peux pas l'abandonner. Laisse-le rester avec nous. »

J'ai accepté. Quelle erreur monumentale.

Quelques semaines plus tard, je les ai trouvés ensemble, dans notre lit.

« Prends soin de ton frère, hein ? » avais-je dit, le cœur en miettes.

Juliette avait paniqué, mais Alan avait souri, cynique.

« Elle était ma fiancée avant de te rencontrer, le paysan. Tu n'étais qu'un accident de parcours. »

Depuis ce jour, ma vie était devenue un enfer. Ils ne se cachaient même plus. Je les entendais souvent la nuit, dans la chambre d'à côté, alors que je faisais semblant de dormir, les larmes coulant en silence sur mon oreiller.

Cette fois, je ne pleurerai plus.