Elle a sursauté, surprise par ma demande. Elle a hésité, puis un petit sourire a illuminé son visage.
« J'ai une idée. Est-ce que tu aimes le pain perdu ? »
J'ai failli trahir ma comédie. Le pain perdu. Mon plat réconfortant d'enfance, celui que ma grand-mère me faisait. Un secret que même Chloé, après toutes ces années, ignorait. Comment pouvait-elle savoir ?
J'ai hoché la tête, un simple mouvement pour cacher mon trouble.
« Oui, j'aime ça. »
Je l'ai suivie dans la petite cuisine. Elle se déplaçait avec une grâce et une efficacité qui m'étaient inconnues. Ses gestes étaient précis, familiers. Elle a sorti du pain brioché, des œufs, du lait, du sucre vanillé. L'odeur a commencé à emplir la pièce, une odeur de souvenirs, de chaleur, de foyer.
Je me suis assis à la petite table, l'observant en silence. La lumière du soir filtrait par la fenêtre, éclairant la poussière de farine sur ses mains. C'était une scène paisible, une scène de vie domestique que j'avais toujours rêvé d'avoir avec Chloé, mais que nous n'avions jamais eue. Notre vie était un tourbillon de soirées, de vernissages, de gens bruyants.
Elle a posé l'assiette devant moi. Le pain perdu était doré, parfait. Elle m'a regardé avec une attente timide dans les yeux.
J'ai pris une bouchée.
La saveur a explosé dans ma bouche. C'était exactement comme celui de ma grand-mère. Une vague d'émotion m'a submergé, si forte que j'ai dû baisser la tête pour qu'elle ne voie pas mes yeux s'embuer. Ce n'était pas seulement du pain perdu. C'était un geste de tendresse pure, une attention qu'on ne m'avait pas portée depuis des années.
« C'est bon ? » a-t-elle demandé doucement.
Je n'ai pas pu répondre. J'ai simplement hoché la tête, la gorge nouée.
Elle s'est assise en face de moi, un petit sourire triste sur les lèvres. Elle a attrapé une miette sur le coin de ma bouche avec son pouce, un geste si naturel, si intime, que j'ai sursauté.
Je me suis reculé, mal à l'aise. Elle a retiré sa main, l'air blessé.
À cet instant, en la regardant, j'ai compris. Sa froideur passée n'était pas de l'indifférence. C'était de la douleur. La douleur de me voir avec quelqu'un qui ne me méritait pas.